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IV
Les
trottoirs servent à s’approcher des vitrines.
Nathalie
Quintane
Ensemble,
nous tremblons. La chambre est pleine de rouges-gorges et de toupies.
Ce bruit ? Ça craque, derrière les façades…
Revenir vers le mémorial, vers ces femmes en costume traditionnel,
coiffes de pélican et mâchoires dispersées. De la
fenêtre, vous pouvez voir le parc et les arbres défleuris,
les mouettes accidentées dans un ciel de beurre. Les images. Frange
en décomposition. Regardez cette bouche : se cachent,
derrière ces lèvres, des dents prêtes à abîmer
l’intrus qui troublera notre nuit de noces. Il me faudra me dénuder
un peu plus pour garder vos mains collées sur moi. N’ayez crainte : vous
me posséderez entièrement. Et je vous posséderai…
Nous tenterons de conserver l’usage de la parole, à défaut
de celui de la vie. Un acte sans importance, puisqu’on peut le répéter
indéfiniment. Si vous m’abandonnez, sachez que vous laisserez une
aurore derrière vous. Réfléchissez avant d’annuler
ma présence. Je vous en prie, laissez-moi vous soulager de votre
mal. Comptine : Fermez les yeux ! Qui suis-je ?
– Je suis votre souffle, je suis votre nombril, je suis la terre-mère
éternelle, je suis le confessionnal et la confession, je suis les
mains qui flanquent la frousse, je suis le doigt, monsieur Doigt en personne,
je suis l’éclaireur à la recherche de son parcours, je suis
le coupe-coupe du planteur, je suis la vélocité véhémente.
Ouvrez les yeux ! Qui suis-je ? – Je suis les
pas sur lesquels vous marchez, je suis la dépénalisation
de l’esprit, je suis la fiction surdimensionnée du dedans, je suis
la casserole que vous allez traîner à mort, je suis votre
maîtresse-crevasse, je suis vieille comme la pluie, je suis la levée
du décor, je suis le torrent circulatoire, je suis le drelin des
tirelires. Fermez les yeux ! Qui suis-je ? – Je
suis le verso du repentir, je suis ce que me bon semble, je suis vivante
trop tard, je suis le seuil, je suis l’allégorie du seuil, je suis
le besoin de l’algèbre, je suis la cloque du cloaque, je suis l’applaudissement
des solstices, je suis la pure de la purge. Ouvrez les yeux !
Qui suis-je ? – Je suis le transport des tanières, je
suis l’orgeat de l’os, je suis la saveur de la mouillette, je suis l’échéancier
raturé, je suis la cacophonie des récréations, je
suis une fable fabriquée avec des organismes textuellement modifiés,
je suis la crème fraîche de l’angélus, je suis la
gangue de Babel-fromage, je suis la promesse du territoire. Fermez
les yeux ! Qui suis-je ? – Je suis l’exiguïté
de la configuration, je suis les modernes et leur changement de camp,
je suis l’artefact de l’encre, je suis la cabine d’essayage, je suis la
piste entre les pylônes, je suis la feinte du plomb, je suis la
reconstruction des limites, je suis le diamant du charbon, je suis la
déchue heureuse. Ouvrez les yeux ! Qui suis-je ?
– Je suis Notre-Dame de la peinture et mes bottines sont à
vos pieds, je suis l’action en avant, je suis la vidange du piéton,
je suis l’avoine lactée, je suis le calembour des hamburgefionts,
je suis la litière des allitérations, je suis l’épanouissement
des épanadiploses, je suis la tiare des tmèses, je suis
le ferment du grabat. Fermez les yeux ! Qui suis-je ?
– Je suis l’oracle des pâquerettes, je suis un outil rhétorique
pour narrateurs obligés de narrer, je suis le gruère azuré,
je suis le caca des astres, je suis la ralentie accélérée,
je suis le fondement de l’effondrement, je suis le calepin du plagiaire,
je suis l’évanouissement face aux aplats, je suis la gueule fendue
du moignon. Ouvrez les yeux ! Qui suis-je ? – Je
suis l’ablation du prépuce, je suis la barricade miséreuse,
je suis la promenade des jours ceints, je suis la borgne écarlate,
je suis la chienne d’arlésienne, je suis la catcheuse des rébus,
je suis l’arpège des querelles, je suis l’atlas du déluge,
je suis la valse des syllabes. Fermez les yeux ! Qui suis-je ?
– Je suis l’étonnant genou tremblant des vies courtes, je
suis l’opéra des opérations, je suis l’âne des rations,
je suis la vendange des papillons, je suis la bière du kaolin,
je suis la cécité interdite, je suis une histrionne boguée,
je suis l’excédent de rigueur, je suis l’excrément de l’excès
et je sais me taire. Ouvrez les yeux ! L’espace n’existe que
pour être aboli ou constellé. Sertir la représentation
de mirages, gésir, brûler la plante de ses propres pieds.
Brindilles, clous, stigmates au catalogue. Dissimulée, la finalité
du voyage ; sous le chemin, les morts se tiennent par la main,
farandolent, queue-leu-leutent, bien que le banquet soit fini et les restes
partagés, chacun avec sa boîte-à-chien sous le bras,
rentrant au purgatoire. Voyez, là, sous la lampe : le
magnésium convoque la guêpe à son chevet. Ça
n’annonce pas l’éclipse, ça ne lave pas la tache, ça
ne sectionne pas le jarret. C’est, c’est, c’est. Craquelures, jouissance
de la cire. Serpentins enfouis sous les gravats : nos mots font
épissure. Derrière la porte, toute la classe vivante des
témoins s’agite. Les uns préparent arcs et flèches,
les autres balles et armes à feu. Leurs ombres rampent malicieusement
et se transforment en viande, oui, viande à malaxer, à manger,
à digérer, à rejeter. Ce n’est pas réel, bien
sûr, vous le sentez, mais ça bouge, vraisemblablement. Ça
sert à la vie. Ça balaye le couloir en prenant soin de coller
une oreille vermineuse sur le bois. Les araignées. La matière
branlante s’infiltre dans chaque pore de votre peau, plantant drapeaux,
arborant blasons, déposant copyright, inaugurant, coupant le cordon : la
maladie de l’esprit. Ridicule. La vitesse, notre grande difficulté,
s’est évanouie. Nous avons tout le temps de nous apprivoiser. Fauteuil
contre fauteuil, gouffres. Buvez. Murmure des monuments à venir.
J’ai oublié stupidement ce qui avait lieu d’être, ici.
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