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VIII
Étincelle rebelle, je vous mire dans la pénombre, à califourchon sur le verbe. Votre histoire m’intéresse de plus en plus. Des mots, oui, vous les remuez au fond de votre âme depuis la découverte de ces étiquettes… L’homme moderne a déjà permis cela : le récit de votre expérience à la portée de quelques-uns. Tenir le fil, la part belle à la cagoule. Bâtir à coups de lignes un joli mausolée de poussière. Y apposer sa plus sincère signature, montrer à la foule sa version des faits, la coucherie intime ; ça vaudrait le détour, pour sûr, pas de charcutage ! Moi, touffeur de vos neurones, je vous garderai ici. Nous partagerons cette fantaisie. J’avais, je crois, préparé quelque proclamation fabuleuse, une parabole un peu… profane et impérieuse à vous conter, afin de vous distraire. Et puis non. Il convient d’être très sérieux. Voyez-vous, apprendre à se tenir debout, puis droit, marcher, avancer, éluder les avalanches, esquiver les écueils, conduire le troupeau vers la terre promise, c’est extrêmement sérieux, autrement sérieux que tous les déchirements internes, qui ne sont que ressassements, ressassements de ressassements, ressassements de ressassements de ressassements, et qui pourraient bien finir par sombrer dans un océan de ressassements ! Ça grouille de renoncements ! Sous les rimes, les essaims pèlent de trouille. Bon, assez pleurniché sur la race humaine. Quid du plancton, des amibes, et même des atomes ? Quant au trou noir, hein, bernique… Les voix ne devraient pas cesser de vivre leur naissance, le fait que cette naissance soit leur vie, et rien de plus. Cachez vos fausses vulves, traîtresses ! L’intervention plurielle se passera de vos engendrements. Une sève neuve se tapit, escamotée, sous votre savante technique. Ma trompe coriace fouille voracement le sol, à la recherche de ce gisement… Cadastre de culottes immaculées à baiser… La vérité. Il suffit de la prendre un instant dans sa main pour savoir comment l’éprouver. Mais elle glisse ! La voilà qui gît devant nous, les dents ébranlées, la lèvre gonflée, la joue toute enflée, le front ensanglanté ; son menton porte une vive éraflure. Cette turbulente fillette a découvert une grande couleuvre, bien trop grande à avaler pour elle, la vilaine bête se traîne sur le ventre, la bouche en feu – sans fin – les affolements – sans fin – l’ondée des nymphes – sans fin. La mort en permission qui rentre au bercail, chic, ça va saler le goût de la vie ! Le lyrisme à toutes les sauces ! Le drame, ça attise le chant, la chansonnette de lambeaux, la ritournelle qui humecte le bulbe, jusqu’au soulèvement, souverain, des épanchements. Mon cher Orphée, vous feriez mieux de ne pas vous retourner sur la vérité. Laissez-là vous suivre, docilement. Derrière vos foulées, elle est une image à tisser. Retournez-vous, et… Au fond, votre choix est simple : la muse ou la muselière. La corde pour se pendre… ou pour vibrer. Tête nue. Donnez une valeur fixe à tout butinage. Vouez-vous à transformer cette désamoureuse tumeur. Tumultuez ! Après la traversée du Styx, vous goberez le jaune solaire, ce redoutable détail sémantique. Et maintenant, l’heure est à l’œil, très-sévère. Réveillez-vous ! Il est trop tard pour le sommeil. J’ai une idée brillante. Voulez-vous du théâtre ? Rompons l’épais testament ! Planches : Paparole, l’être suprême, va vous refaire le portrait avec son pistolet à jet d’encre ! De sa garçonnière, au creux des cieux, il vous regarde avec les yeux de l’âne, d’épaisses terrines fumées. Il fulmine dans sa brouette volante ! Gare aux bombardements, car les péquins de croûte y passeront tous ! L’entendez-vous ? – PEUPLE NIAIS, TU VAS LE BOUFFER, MON JUGEMENT DERNIER ! VEAU D'OR OU VACHE ENRAGÉE, ENTRE LES DEUX YEUX, LA TRUELLE ! MON CLAIRON, C'EST DU SAUCISSON ! MON CUL SUR TON NEZ, DU BOUDIN TOUT BAVÉ ! MON GROIN DE GOUDRON GROGNE ET GRIGNOTE TON INTESTIN, GARGOUILLE À GLAIRES ! DANS MES LANGES SE CACHENT LES ANGES ET LEURS AILES DE CARAMEL ! MA SOURCE EN BRANLE-BAS, DE CON BAS, JAMAIS NE SE TARIT, RAT ! LA CRÈME SUBLIME TE NARGUE AU MUSEAU ! ESSUIE TA FACE, MICHÉ-MESSIE, SUR MA PIERRE PONCE, MA PIERRE DE ROSETTE ! VAS-Y, AVALE-LE MOI TON BRÉVIAIRE, QU'ELLE VIENNE EN GORGE, LA PAROLE SAINTE ! COLIQUE ! ROSAIRE ! TIENS BON LA BARRE , MA BOUCHÈRE, LA TEMPÊTE VA GICLER AUX CIEUX, C'EST LE MOUCHOIR DU SAINT-ESPRIT QUI VA RAMASSER LA MISE GRISE ! – Silence ! Suce-toi l’intérieur de la bouche avant de nous inonder, crétin de la création ! Cette chambre est nôtre. Même si tu m’as voulue, dis-toi que tu n’es rien sans moi ! J’aurais pu te provoquer, remonter ma robe et aller vers le Très-haut, plus haut que toi, endosser un tout autre costume pour te seoir et chanter tes louanges. La grille est baissée. Le magasin est fermé. Dépôt de bilan ! Tu es renvoyé. Mille bises, mon seigneur ! Voyez, dans mon cerveau, ça se passe ainsi, comme ça, sans prismes, c’est le cri du rhésus ! Fier moment rare de moelle, prise en flagrant délit de transubstantification. Quel torchon, ce tas de neurones… quel substrat tentaculaire ! Nous aurons beau l’essorer, il en restera toujours quelque chose. Penser c’est perdre le filtre ! On dit qu’on peut tout dire… qu’en dites-vous ? Doit-on dire tout ce qu’on peut dire ? Se borner à envoyer des télégrammes ? Établir un répertoire des désastres ? Qui nous en empêchera ? La mort ? Qui nous repêchera ? Mémoire, moire, angoisse de renverser les formes de l’oubli, la grande voirie universelle.
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