Christophe Petchanatz
Chiens.
à Michel Barry
hiens affublés de bottillons en caoutchouc et que lon fait courir dans des bassins à leau tranquille trop limpide Chiens déférents et sinclinant chacun son tour sans aucune ironie cette respiration courte et lourde cette respiration
Chiens nombreux alignés et rangés en quinconce, absents, humant lair parfumé du matin Chiens assis dans la brume épiant leur ombre tout sourire
Au fond sous leau il y a
Et entre loeil et le fond il y a
Vaguelettes, chiens en vaguelettes, petits chiens argentés embryons repliés sur eux-mêmes et qui gémissent en rêvant du rêve des chiots non sevrés ils voient au fond, très loin, très bas, les cailloux et les crânes, passionnément disposés, rassemblés, polis et patinés, Vaguelettes ouvrant et refermant leurs ouïes
Chiens assis dans des voitures, exaspérés, surveillant les passants, la foule, cette respiration (le caoutchouc des garnitures, mégots, essence, bakélite) et limpossibilité de regarder ailleurs (le ciel, par exemple trop haut) Chiens aux pylônes accrochés par les crocs Chiens en grappe glapissant accrochés aux poteaux télégraphiques mâts de Cocagne terrifiants fichés sous le ciel bas Chiens accrochés aux Chiens comprenant pas comment on se fait mal
& Chiens dodus errant par la nuit moche dans les quartiers où les chiens nont que faire (aucune nourriture) Chiens avec lunettes noires et polos ajustés Chiens boudinés et amers avec casquette avec visière et marchant déambulant sans voir (conscients du ridicule) et il y a dautres chiens, des maigres, avec une casquette aussi, des écritures de Chiens, des pancartes de Chiens « Dogs on Stage Continuous Shows » et dautres chiens, banalisés, anodins, en attente donc : je passe, je marche droit devant, je ne remarque rien (tous les regards divergent et pourtant tout se tient). Nous adorons cette naïve cohérence.
Chiens amoureux mordant des fleurs avec en arrière-plan les chiots articulés, rigides, faux, épouvantablement faux mais sympathiques, tous les Chiens alignés attendant on ne sait quoi mais le Chien amoureux ne voit rien lui il a loeil éclairé, liquide ; il traîne un vieux carton et sétonne dêtre seul à jouer.
Chien qui travaille et que lon bat, qui tire des chariots lestés dobjets inexplicables, respiration torse, sèche, et les os qui affleurent. Tout le corps est malade, cela ne fait que commencer. Et le dessin trop charmant dune oreille, de la truffe levée (mais sèche aussi ; trop chaude) lorsque chair a séché ne reste plus que peau, peau tendu sur los jaune découvrant les gencives avec un clop qui se consume et les yeux, les orbites, le regard fixe fatigué désirant la pitance et lautre, lennemi, planqué dans un coin de pénombre lennemi prêt à mordre il est vif il est jeune juste assez bien nourri prêt à se battre, toujours
Toujours prêt à se battre on voit
Ses poings serrés son corps
Des Chiens roulés dans une couverture et ligotés garrottés quon laisse Ils continuent de vaquer, daboyer et de fouiller le caniveau Cela nempêche rien il leur faut peu de choses pour persévérer, un peu de vent, un papier chiffonné, linextricable amas de pourriture, de moisissure, de croûtes et de déchets qui constitue le monde
Le Chien frimeur près de son stock. Trésor. Il fait mine de ne pas comprendre. Il surveille les autres. Qui font mine de ne pas regarder (le coin de loeil absolument perfide, très aigu et perfide), chacun est imbriqué dans une action quelconque, parler, marcher, humer lair du matin, comprendre. Leur stratégie est simple. Il suffirait de la mettre en oeuvre. Il suffirait davoir envie de la mettre en action. Ils sont assez nombreux, et forts. Ils sont en forme. Le Chien frimeur ne ferait pas un pli. Ils le laissent frimer. Peut-être ils sen iront, ou ils resteront là, en alerte, et lui aussi, content dêtre en alerte. Cela passe le temps. La nourriture sabîme mais cela ne fait rien. On na pas vraiment faim.
Il y a dans le lointain de schématiques petits Chiens dont la vue chaque fois, sans quon sache pourquoi, nous émeut plus que de raison. Peut-être un souvenir, ou lillusion dun souvenir. Carcasses de poulets, gobelets aplatis, épluchures, pansements. Cela saméliore avec le temps, quelque chose se lisse, prend corps ; on y revient sans cesse.
Il marche (Chiens qui marchent repus, à la parade) en tirant quelque chose. Chien soigneux, bien élevé, nayant rien à prouver. Les ombres sont agréables, les dénivellations. Odeur de lencre du journal des boîtes de pizza du gilet de la crasse sueur constellation et mécanismes gras avec ce bruit de froissement quand ils avancent, lair dinsister (hein, tas vu? nos jambes plient : on marche). Et chaque jour se dessécher davantage, trimbaler des paquets, des cartables, des pantoufles. Jouer avec de la ficelle. Éviter les camions. Éviter les camions. Découvrir cette viande qui est en nous et douter. Javance, je nai plus de tête. Plus de tête, plus de jambes. Mais je ne souffre pas. Jai de quoi être heureux. Montre bracelet, cartable, boîte de pizza, tickets déchirés par terre. Tous par terre. Et lui de dos, la victime idéale, planter ses crocs dans cette nuque et labourer les reins avec les pattes arrière et ne plus le lâcher nêtre plus que mâchoire et serrer loeil révulsé surveillant les agrafes aux coins des boîtes de pizza les hommes en blue-jeans et polos à rayure les pancartes et des femmes qui marchent comme des paquets. Façades incurvées où glissent en hurlant les Chiens quon jette des balcons non ils ne hurlent pas cest plutôt
Je relève le buste mon poids est en arrière léquilibre est changé. Chaque fois léquilibre est changé. On peut utiliser des équilibres différents, poser en quelque sorte dans le corps un repère, pour plus tard, et qui na rien à voir avec ce quon fait dhabitude (mordre, bondir, jouer, aboyer). Ce sont des exercices arbitraires, insensés, auxquels on trouve ce plaisir sourd qui les caractérise.
Ce sont des chiens, de vrais chiens avec les
yeux une membrane et qui lèvent le visage pour sentir le soleil lèvent la hure lèvent
le groin pour sentir le soleil, la puissance du corps, les muscles, les jupes relevées
sur les cuisses, regarder dans les yeux, au fond, tout au fond il y a cet espoir quelque
chose de champêtre et simple, quelque chose de gai, de tendre oublier un moment
cette mélancolie.
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