Contemporains |
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Favoris (Les) |
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Chutes. |
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à Guy Ferdinande e (le personnage) franchis le seuil. Invocation : que passe à travers moi la voie qui mène à... où mène-t-elle, déjà? Passé le seuil il chut. Brutalement, personnage dodu et satisfait, chute tranquille immobile dans la résine ambrée dun gros presse-papiers. Légèrement de biais, ce qui agace. Den haut, dici, du coin de loeil, on discerne quelques mots : il écrit large, ce sont des notes sans importance (pense-t-on, puisquon ne parvient pas à lire mais on ne peut se défaire de ce sentiment quon a, disons, des vues supérieures). Avant de passer le seuil, avant de choir javais cherché le paillasson ou au moins le gratte-pieds, le décrotteur, cette lame émoussée que lon trouvait jadis près des perrons. En vain. Contrarié jai poussé lhuis, jai avancé, jai reçu en pleine figure le souffle de la chute, une illumination (mes yeux étaient deux bulles noires, atrocement contractées, et qui roulaient dans mes orbites avec ce bruit désagréable quont ces billes minuscules, dans ces petits « passe-temps » énervant, exaspérant, quon doit placer toutes dans des concavités à peine marquées avant de remettre lobjet dans sa poche, réduisant à néant le fruit (!) de longs et patients efforts : lordre. Un peu dordre. Ça colle aux doigts). Je chus donc, avec un sentiment de satiété : depuis le temps que jattendais ce moment-là... Je lattendais depuis longtemps, depuis lenfance sans doute (je métais plaint, moi, de ne jamais rêver que je volais ; plus prosaïquement je me retrouvais en route pour lécole, cul nu, terriblement gêné, en proie à des impératifs de tous ordres dont la teneur sest perdue. Je nai jamais, en rêve, volé, même si plus tard jai su considérer avec circonspection, voire défiance, les fenêtres ouvertes, la grande angoisse dune fenêtre ouverte sur quatre étages de vide, une mesquine courette avec des bouteilles entassées. Dans cette chute je devins le personnage, aussitôt de guingois pétrifié, ubuesque (un peu). Dordinaire ça ne se passe pas ainsi. Il y a au moins un sol de terre battue, quelques vieilles gens, des ustensiles abracadabrants, des animaux pisseux. Ce nest pas de la malveillance, vraiment, ça se passe souvent comme ça. Par exemple, « on » ma appris récemment que les pendules à une seule aiguille sont très rares (ou précieuses, ou coûteuses, je ne sais plus) ; que, de nos jours ; les cambrioleurs viennent mais ne volent rien : ils prennent des photos. Cest de ce genre de chose que lon mentretient, dordinaire, après que jai passé le seuil. Jimagine quil y eut un long trajet, cahotant, en voiture, ou bien quà pieds nous parcourûmes, en longues enjambées solides et altières un sentier particulièrement bucolique, malgré ici ou là, quelque ravin vertigineux au fond duquel achevait de pourrir une vache. La chute, déjà. Cétait un signe, je ne lai pas su lire. Fier avec mes godillots, mon alpenstock, javançais vite dans lair limpide, en sifflotant, une pâquerette entre les dents (bien que la tige, ligneuse et poilue, me déplût assez). Montrer les dents : sourire. Javais beaucoup marché, et connu de nombreuses aventures que peut-être je relaterai ultérieurement, si lon veut bien me libérer de cette étreinte lisse, de ce bloc translucide où mes yeux hors de moi séloignent désormais, dérivent, se retournent et me considèrent et je me vois, égaré, flottant petit dans ce solide, avec plusieurs mètres de nerfs qui sortent des orbites et ça a une sale couleur rougeâtre, là, derrière, qui me ferait me sentir mal. Javais beaucoup marché, éprouvé la verdeur de mes mollets, la résistance des montagnes. Torse bombé je respirais. Javais dans ma musette de la saucisse, du fromage et du pain, une gourde deau tiède, gourde jaune, bouchon rouge, caoutchouc fendillé. Jétais seul au monde, bien sûr, mais réellement (je ne métais pas encore donné la peine dy songer, tout occupé par la chute de certains cailloux le long des pentes abruptes). Jétais bien plus grand, bien plus robuste quaujourdhui, encore que vous me voyez sous un jour relativement flatteur : je sais écrire, je peux me tenir correctement, je peux suivre une conversation ordinaire. Javais marché des jours et des jours, dormant dans des refuges, dans la paille, ou parmi les bêtes. Les bêtes des montagnes avaient de longues dents triangulaires affûtées comme des rasoirs. Mais elles craignaient ma présence ; il suffisait que je tende la main, paume vers le bas, pour quelles se roulent à mes pieds en gémissant, en imitant des bêlements! Javais une parole réconfortante pour chacune (elles tremblaient!), je me montrais attentionné. Elles me conduisaient vers un bon coin quelles connaissaient. Les chardons y étaient dun bleu tonitruant, il y avait des creux tapissés de mousse sèche. On se mettait là, on bâillait un peu en regardant le ciel et les cimes, on ne pensait à rien. On se grattait, on dénouait ses lacets et on dormait. Il ne faisait pas froid. Le matin je repartais et les bêtes pleuraient (bien soulagées, quand même : elles allaient pouvoir recouvrer leurs sanguinaires instincts, traquer les petites bêtes naïves, les dévorer avec satisfaction et clappements, sébrouer et faire gicler le sang partout. Ça les amusait). Je nétais plus quun petit point (oblong cependant) qui samenuisait et leur regard redevenait affreux, veule, plein de carnage. Ces bêtes-là, le temps passant, je nen ai plus revu, et je narrive pas à me rappeler exactement comment elles étaient faites. Cest le genre de lacune qui mennuie, limpression davoir manqué dattention. A lheure quil est, si javais été prévoyant, je pourrais ressasser des souvenirs dignes de ce nom reste le sentiment davoir été escroqué... Ces bêtes, par exemple : elles navaient même pas de nom. Et quand aujourdhui, jessaie de leur en donner un, je ne puis que sombrer dans le ridicule. Rien qui leur aille. Des sobriquets, des élucubrations. Aujourdhui, je cherche. Par exemple : quétais-je venu faire dans ces montagnes. Jaurais pu choisir de voyager dans la vallée... Mais non, à lépoque, rien nétait trop beau pour moi, rien nétait trop vaste. Je sillonnais les continents, à coups de pied jébranlais les glaciers, je choisissais une route, un chemin (de plus en plus exigu), je poussais une porte et (cette maison, jaurais dû men méfier. Je nai dailleurs pas lhabitude de rencontrer des maisons sur mon chemin ; cétait bien la première. Des cahutes écroulées parfois, des granges à la rigueur, mais ce genre de maisonnette suant le quant-à-soi, la modestie immodérée, la banlieue... Au beau milieu de mon chemin. Je venais de quelque part (dassez loin, sans me vanter), jallais ailleurs, et voilà cette bicoque qui me barre le chemin. Jai pensé un instant : jouvre la porte, je traverse la maison, je pousse une autre porte : je suis dehors. A peine le temps dentrevoir quelques bibelots sur une étagère. Jai sous-estimé le danger. Cette maison, posée là, puait le piège. Quel imbécile, quel fieffé imbécile, sûr de lui! Dabord : pas de nom, pas de plaque (il y avait une trace, une marque plus claire sur la pierre), pas de sonnette non plus. Rien. La porte était légèrement entrouverte, ça sentait le gâteau, le quatre-quarts à fleur doranger. Alors on entre et) Cest comme ça, me suis-je dit plus tard : on change détat. Je suis resté longtemps dans cette clarté sèche. Si quelquun pouvait me voir, pensais-je, il trouverait que je ressemble à un poisson. Bouche bée. Il ny avait personne. Ou bien les autres personnages étaient tellement grands que je ne pouvais les percevoir. En dautres circonstances, leur existence se serait manifestée en : cataclysmes, bouleversement, séismes, etc. On se serait précipité sur les journaux, quitte à se noircir les doigts, on aurait tenté de comprendre. Car il y aurait eu des malins pour se douter de quelque chose, et dautres malins pour croire leurs sornettes. Jaurais été ainsi. Toujours bien mis, soigné, avec un emploi stable et bien rémunéré. Jaurais su cultiver quelque jardin secret. Jaurais été, par exemple, persuadé que des êtres immenses et peu, presque jamais visibles, des êtres violents, déchaînés (mais on ne savait pas pourquoi, cétaient peut-être leurs façons ordinaires) causaient ces catastrophes dont les quotidiens étaient emplis, quoique cela ne concernât jamais notre environnement proche. A mieux y regarder, on navait même pas un oncle ou un vague cousin qui avait péri, même sil habitait déjà relativement loin. Au reste, ces continents, à la fois très spacieux et très éprouvés, ces continents, dont on nous rebattait les oreilles, ces continents dont les fleuves majestueux charriaient des milliers de cadavres, ces continents, dis-je, me semblent navoir existé que dans limagination de quelques échotiers. Comment faire confiance aux gazettes? Lune delle relatera-t-elle ma triste mésaventure? Dici où je suis, posé sur une table, avec une sorte de petite lueur desséchante qui me presse, dici je ne vois rien, ces quelques mots, si je fais un effort, une liste de commissions, peut-être, choses dénuées dimportance. Jessaie de me rappeler, jessaie de remplir à nouveau mes poumons de cet air délectable, je crois que si je respirais assez fort je pourrais faire éclater cette gangue quoique ma situation risquerait de sen trouver aggravée. Ici je flotte, je tombe, je nai pas faim. Le souvenir de lodeur du gâteau me flatte agréablement les narines ; cela peut durer longtemps. Labsence de sol (on croit pendant une fraction de seconde quil y a des marches quon na pas vues, on nenvisage pas immédiatement léventualité, la radicalité de la chute). Entrevoir, à peine, un intérieur ordinaire, factice, croire entrevoir, même, une personne qui se retournerait, outrée. Ses pieds sont posés sur le sol (des tommettes) et pourtant nous tombons. Je puis facilement supposer que cette personne a vu lintrus senfoncer, littéralement, dans le sol et disparaître ; comme happée. Elle est restée un moment à tourner sa cuillère en bois dans sa toute petite casserole avant de se mettre à hurler. Je crois que ce genre dexpérience peut bouleverser une vie. Nous autres, dans le Remugle (cest une façon de nommer ce lieu-là), nous aimerions bien jouir de ce type dexistence, même passablement amoindrie (car il faudra expliquer, répéter, jurer, douter, mentir, se taire, avaler des pilules et rester des années avec le geste de tourner une cuillère en bois dans une petite casserole où le caramel commence à figer, dans un coin, dans une maison de santé, avec des cheveux blancs, un regard las, lointain, et on nosera plus guère marcher, avancer sur ce sol illusoire, et lon devinera que « là-dessous » quelque chose se trame et que ce nest pas tous les jours dimanche). Juste avant de tomber, je pensais à mille
choses imprécises et tout sest précipité ; je commence à peine le grand
remembrement : tâcher de se souvenir, tâcher dénumérer, classer, passer
tout en revue. Lherbe, par exemple, sa forme. On se coupe avec ça. Cest vert.
Foncé. On peut grignoter la tige. Sucrée. Quand on a de la chance (au début ;
après on sait les reconnaître, les bonnes). Il y a cette façon de serrer un brin
dherbe entre les pouces des deux mains jointes, de souffler dans le creux qui se
forme émettre comme de longs cris doiseaux. Parfois ça rate, la feuille se
déchire, on sy prend mal, il faut recommencer. Juse de pensées vertes. Le
monde que je reconstruis est vert, chlorophyllien, une jungle contrôlée, sans
prolifération, une jungle petite (nous serions des géants), légèrement acidulée, avec
des oiseaux-mouches, des toucans, des pygmées sur des pirogues, deux ou trois
explorateurs, maigres, barbus, avec des chapeaux, des tas de ballots quon ne
déferait jamais, une destination rien moins quimprécise, un temple aztèque, une
lumière immense, une cathédrale de lumière, le bruit de leau... Le vert a
des inconvénients : il reste spongieux, par exemple. On ne peut sasseoir nulle
part. De fait, rien ne tient debout : on sadosse à un arbre, il sécoule
en silence, mou, pourri, creusé par des larves verdâtres qui fuient la lumière en
clignant des yeux (JE LES AI VUES). Le vert a des alliages cuivrés qui deviennent
toxique. Des armes apparaissent dans les mains des porteurs, des armes lourdes ourlées de
vert-de-gris. Les armes vont sabattre, trancher nos nuques tendres et nous savons
déjà que ce sera un sang émeraude qui jaillira, car lintrusion du rouge serait
intolérable, cela détruirait tout, créerait une brèche discordante par où
sengouffrerait prestement cette savante, délicate construction ;
lapparition du rouge goberait tout, retournerait tout, bêtes et gens seraient
écorchés vifs, tas de chair pantelants et hurlant atrocement, sans espoir que cela cesse
jamais, millions de fourmis agglutinées sur la viande, grouillant, bourdonnant le
rouge est derrière la paupière, les veinules rompues : je me réveille,
jouvre les yeux et cela coule. |
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