Christophe Petchanatz
Chroniques pensives et oculaires
eudi 8
avril 1993, le soir : cet homme qui vacille, immobile, devant la porte tenue
fermée de l'intérieur du café Noëlle et Robert. Il a jeté son portefeuille par
terre. Il crie.
Ouvre... Laissez-moi entrer... je suis mort, vous vous en foutez... vous êtes
vivants, vous, vous vous en foutez, vous avez de l'argent, des enfants... j'suis mort...
mort, vous entendez...
Dès lors qu'il donne un coup de tête contre la vitre de la porte, le patron du Baladin et la Mère Pons interviennent. On prend l'homme par l'épaule, on lui parle avec bonhomie, on l'éloigne de chez Noëlle. [...] La rue est emplie d'uniformes : il y a au moins dix flics et fliquesses, dont une Magali qui a l'air pas mal. Police Nationale et municipale. Quelques P.-V. sont octroyés mais surtout, d'une voiture de police est extrait notre homme de tout à l'heure, menotté, ceinturé ; il est difficilement tiré de la voiture et transvasé dans le fourgon qui vient d'arriver. F. me dit qu'ils vont le conduire à l'hôpital psychiatrique. Les rares passants semblent impressionnés par la densité d'uniformes s'agitant dans la rue. Mauvaise soirée pour les bistrots.
Vendredi 9 avril
vers neuf heures, quai de Bondy, en attendant au feu de pouvoir traverser. Un
homme, cinquante/soixante ans, cheveux et moustache très blancs, presque argentés, très
soigné, avec un chien anodin. L'homme me dit «C'est plus possible, j'vais m'tirer dans
la brousse, moi ; ça peut pas continuer comme ça, ça va péter»...
J'opine.
Rue Longue, sur le trottoir : un canapé gris en assez bon état (il y a des miettes et un mégot sur les coussins) avec, dessus, comme en exergue, une grande plume bleu métallisé.
Au beau milieu de la soirée, G. se jette sur la table toute encombrée de bouteilles et de verres ; il dit que c'est une compulsion.
Samedi 10 avril
J'avais tout à coup l'idée qu'on peut très bien continuer à vivre même si le
coeur est arrêté, du moment que les poumons fonctionnent ; simplement, il faut faire des
mouvements et le poirier de temps en temps, pour que le sang circule.
Infos : manif et casse dans la rue de Champendal.
Jambon sale tête : poubelle.
Dimanche, Pâques.
Pluie.
Lundi 12 mars avril.
Rêve : on m'emmenait, on me disait :
Vous êtes condamné à mort, on va vous pendre...
Bigre, disais-je
La troupe s'arrête.
Ah, si c'est comme ça, on ne vous pendra pas. On va vous couper la
tête!
Ah non!
La troupe s'arrête.
C'est vrai, vous avez raison. Alors... on va vous fusiller!
Etc.
[...]
Allô à Monsieur L., ça va moyen. Est hospitalisé jusque jeudi. Aurait une poche de sérosité sous le diaphragme. Il dort mal et souffre après chaque repas.
F. était partie tôt et était passée chez Decître. Elle ne put être prise par sa dentiste finalement à cause d'un gars, avant elle, qui a eu une hémorragie de la mâchoire (?).
Mercredi 14 avril
Bifteck haché surgelé. Purée de carottes. Poire bien mûre. Balladur à TV
(Assemblée Nationale). Passerelle du petit collège revu ce type qui parle, délire à
voix haute ; la dernière fois sur le jambon, cette fois sur les Mercedes. En Allemagne
il n'y a pas de Mercedes normales : c'est tout des XM, XS, et c'est cher... Puis il
délira sur une Mercedes blindée qui résisterait aux tirs de chars, etc.
Le soir paupiettes et haricots beurre.
TV : Abbé Pierre et Bourdieu.
Monsieur L. est très gêné par cette douleur à droite dans les côtes, et par cette toux, et sa voix.
Jeudi 15 mars avril. Monsieur
L. : les médecins passèrent, mentionnant une poche de liquide (sang, urine) sous le
diaphragme, à droite, qui ne se résorbe pas comme à l'accoutumée.
Madame L. demanda quels organes étaient touchés. Ils dirent ne pas savoir. On lui
rétorqua non pour le poumon. Ils dirent : peut-être le foie, ou le rein. Madame
L. était hautaine, sèche.
Quand les médecins partirent, elle déclara qu'ils mentaient, etc.
Le matin rencontré
Charlotte sur la passerelle du collège. Elle a fait une dépression, surmenage : 14
heures de travail par jour. Ils l'ont licenciée.
Motif : perte de confiance.
Éric ne peut manger que
des bouillons de légumes.
Nous : chou, jambon, rosette. Reçu les rideaux promis par J.
Vendredi 16.
Il y a eu comme un grand coup dehors, une sourde explosion ; ça faisait peur.
Quand je suis descendu, après que F. m'a dit de faire attention aux voitures en sortant,
j'ai vu que le local aux poubelles était éclairé et j'imaginais tout à fait que les
murs en étaient éclaboussés de sang et de chair. Au total, quand je débouche sur la
place, mon regard cherche des jambes ou un cul auxquels s'accrocher, de sorte que cela
puisse me mener sans effort jusque l'autre côté du pont La Feuillée. En général nos
voies divergent par là et moi parfois je préfère emprunter le quai, piétiner des
tessons de canettes et louvoyer entre les étrons gras.
Passâmes voir la fille C. Elle était avec une copine ; je lui donnais cependant son petit bonbon habituel, mais en douce, et à la dernière minute.
Avant la Part-Dieu, en haut, des jeunes (5 ou 6) faisaient la manche d'une manière un peu agressive (comme on ne donna rien, car je n'aime pas avoir le sentiment qu'on me force la main, ils s'interpellaient l'un l'autre : ils s'en foutent, ils ont de l'argent, un appartement mais nous on ira les cambrioler, on ira cambrioler vos appartements !).
Chez Maxi-Livres pour 50 francs un tome des lectures érotiques, les gros volumes Pauvert.
Rue où il y a Bonnard,
une jeune femme, bien faite, mais bizarre, avec deux plastiques : elle relève sa (courte)
jupe, enfile des bas (des Dim-Up) puis de vilains bottillons fantaisie. Je me suis
arrêté et je regarde sans me gêner. Elle crie (à la cantonade) :
Vous avez jamais vu un cul ?
In petto je me dis «on n'en a jamais assez vu».
Accident devant la poste St-Jean. Femme aux cheveux courts assise sur le trottoir. Se tient la tête à deux mains [j'avais écrit à demain] et un pompier lui dit « Allez Madame, levez-vous, on va vous emmener » ; elle a plus l'air choqué (traumatisée par ce qu'elle aurait vu?) que blessée.
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