Contemporains |
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Favoris (Les) |
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La Crécelle. |
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à Éric Watier a fait des jours quil est pelotonné sur cette branche. Il me surveille du coin de loeil. Je suis tout sec, miteux ; cela ne mempêche pas de descendre de temps en temps pour me dégourdir les jambes. Les bouts de bois cloués au tronc commencent à sabîmer. Je fais un petit tour, je souffle sur mes doigts ; je mennuie presque tout le temps. Goguenard, il sétire en soupirant. (Cela grésille à peine. À peine.) À lintérieur, quand on regarde, outre que ça fait loucher et que ça donne mal à la tête, on aperçoit de petites encoches parfaitement régulières. Des écailles concaves. On pourrait y ranger des agates, des bonbons, des allumettes... Ce serait ravissant. Lorsque je remonte, il hoche un peu la tête, comme pour mapprouver. Cela minquiète assez. Je mapproche du mur ; le courant dair fait bouger les persiennes. Il y a dans la cour quelques personnes silencieuses qui attendent en battant la semelle. Amnésie. Quand je marche dans lherbe mouillée, quand je considère les taupinières et cette vieille chambre à air dans le fossé, devant tant de bassesse le désespoir me prend ; je pourrais tout abandonner. Je grimperais quatre à quatre les
marches, mes basques voleraient, claqueraient, tranchantes! (Je reste là devant le pré. Il fait un peu frisquet. La vaisselle sèche dans lévier, je lentends qui très sournoisement se cristallise. Dans un an, peut-être moins, dimperceptibles fissures apparaîtront sous le verni. Pour ceux qui arriveront, qui ne seront pas au courant, il conviendra quils se montrent très prudents, quils marchent en levant bien les pieds et quils aient, si possible, chaussé de solides bottes en caoutchouc.) Alors je retrouve mon gîte, avec lautre qui transpire et sourit à mes côtés. On se connaît, on partage certaines idées ; on a même jadis échangé quelques mots. Le soir quelquun sen va, quelquun démarre péniblement sa mobylette, avec force jurons et ahans. Le moteur cale, regimbe, pétarade, entraîne enfin dans lombre grasse du chemin cet équipage truculent. Lhomme a bu, cest certain, et les sacoches paraissent drôlement lourdes. On se demande pourquoi il prend, dans ce vacarme, la peine de siffloter. Guilleret. Alors je minstalle de mon mieux sur la fourche moussue dune grosse branche. Il faut faire attention : lécorce se détache, laubier est tout gluant et les feuilles sont couvertes de pucerons. Feuilles vertes, trop vertes, et cirées, avec de petites baies violettes en dessous, petites baies daspect inoffensif, ayant tout lair davoir envie, terriblement envie, de se faire manger, de craquer sous la dent, de répandre leur jus sur les gencives et sur la langue, suc qui brûle, qui creuse la chair et fait lancer aux malheureux qui sy sont laissé prendre des cris épouvantables. Leurs faciès inhumains, sanguinolents, sont comme de gros morceaux de viande posés sur leurs épaules : un atroce collage. Ceux qui nen meurent pas continuent de errer en vociférant, se roulent dans les ronces, essaient de se noyer en plongeant ce qui leur sert de tête dans un frais ruisselet ; ils courent à laveuglette en se tordant les mains, se jettent contre les arbres... Pour finir, compatissantes, les bêtes viennent et les mangent. Il est intéressant le chemin des fourmis dans les os... Lautre me tourne le dos ; il bougonne, remue des papiers... Je ne serais pas plus surpris sil se retournait, me tapotait lépaule, mannonçant tout de go quil doit sabsenter un instant, que quelque chose lappelle, lAmour, Amour qui lattendrait avec ombrelle et bottines vernies, près dune haie toute carrée. Il coiffe son chapeau, il se pommade rapidement et descend, un peu emprunté, avec ses guêtres et son gilet. Peut-être ne le reverrai-je plus jamais, peut-être sinstallera-t-il avec sa dulcinée dans un fiacre incrusté de coquillages et de pierres précieuses qui les emportera en ville, et toutes les cloches carillonneront, et les gens pousseront des vivats en déchirant des annuaires pour en lancer les feuilles par les fenêtres, en guise de confettis. Jai déjà vu cela. La rue était étroite, profonde. Jétais juché sur un câble tendu entre deux immeubles, et leur cortège passait en bas, minuscules automobiles brillantes, et tous les badauds aux balcons, sapostrophant, riant, pleurant, émettaient une rumeur cruelle, déchiquetée comme le bruit des vagues, et ce serait aussi une machine très lente, très lourde, une machine qui attendrait au fond dun entrepôt, et parfois des enfants viendraient, inoffensifs, samuseraient un peu, grimperaient sur les plaques de fonte, se tairaient, regarderaient dehors et puis il y aurait ce déclic, très bref, très désagréable, suivi de la longue rumeur, la râpe sur les os, les minces corps mâchés et recrachés, masses sanglantes avec encore les cheveux et des lambeaux dhabits, masses qui tentent de sen aller (le couloir est bien long, et pentu ; le sol est recouvert de graisse, de billes et de tessons). Ce qui reste des doigts se déchire en saccrochant au sol qui bascule un peu plus, et la machine, joviale, triomphante, comme une vieille cuisinière à charbon, démoniaque, avec sa bouilloire prétentieuse, lourde, noire, mate, et ses flancs rougeoyants, LA MACHINE SEMBLE VOULOIR BOUGER. Les orties près de lauvent se tassent, quelque chose dégringole du toit ; les couvercles des poubelles sont un peu de biais, comme les casquettes des voyous. Je suis là-haut tel un petit aéroplane, relié au sol par une longue amarre. Ainsi, plus je mélève et plus cette ficelle, sortant de moi, me travaille la chair. Il y a, à lintérieur, une grosse bobine. Tout tourne, cest difficile. Lautre, ensuite, devant un vaste bâtiment. Il semble satisfait ; il a grossi. On devine à peine, à travers sa voilette, le long visage anxieux de celle qui laccompagne. Il y a des éclairs, de grands sourires carnassiers. La liesse ne cesse pas. Les photographes se bousculent, des fillettes agitent des fanions multicolores, dautres dévalent à toutes jambes les interminables escaliers en tôles des buildings. Cela résonne de façon déplaisante, cest un roulement qui enfle, un roulement goulu quoique douceâtre, qui submerge soudain toute la ville. Dans ce flot gris épais qui sèchement les dépossède ce sont des silhouettes creuses, grotesques, hâtivement découpées , ils continuent de vaquer, de crier, dacheter des journaux. À la surface, sur cette pellicule grasse et irisée, des bulles flottent, des grappes de bulles, de petits amas farineux, animaux boursouflés. Alors la petite hélice se met à tourner, je suis tiraillé dans tous les sens. Jai envie de retrouver la cabane avec nos trésors, nos coquilles, nos biscuits effrités au fond des poches, le bourdonnement du transformateur, le château deau, les flaques qui se rejoignaient... Hélas, ce temps-là a passé. Je
métais promis de revenir, riche, puissant, spirituel, et tous les autres seraient
restés petits et gringalets. Mais je nai plus de nouvelles ; je nose en
demander Ensemble nous allions dans les bois,
avec nos bicyclettes, et nous nous élancions par des sentiers vertigineux. Nous longions
le mur de la caserne. Jy retourne parfois, différemment. Et ce sont des
masures au bord de la route inondée. De vieux hommes ratatinés se tiennent là, sur le
perron, et regardent lendroit où nous garions notre voiture, vieillards qui se
souviennent de la chevelure dorée de la jeune femme qui passait sur le pont avec ses
sandalettes un peu trop grandes qui lui blessaient les pieds et les
têtards, en bas, dans la vase, dans sa respiration... |
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