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à Thierry Weyd
e jeune Alfred en lettres
rouges (ombre très noire, sèche, buvard) le jeune Alfred écrit, gravé
dans le ciel fade du Calvados : constructions pâtissières aux perspectives à peine
supportables et là, posées sur une table, denrées avec lesquelles on nous persécuta
des années durant, avant que ses parents divorcent et quil put imposer sa LOI,
aliments mous alvéolés où se perdre, claquement des drapeaux au-dessus des
plates-bandes (comme elles sont éloignées ce fut facile à faire : une ligne de
colle, une pincée de pigment). Insolence des pelouses (vu daéroplane, le terrain
avoue certaines bizarreries, comme un message inscrit là, pour nous). Sur la nappe très
jaune les légumes très vifs, la viande à limpudeur presque modeste, alcool dont
on devine la densité (plomb parfumé qui tôt ou tard lestera nostre sang, nos viscères qui
tost ou tard molestera les registres de certains échanges dont nous avons la vanité de
penser quils sont de ceux qui nous définiraient). Au dos de ton envoi rien qui
(n) indique la provenance. Jai même décollé la partie ajoutée, celle où
il est question du conservateur, du guide, du gardiens [sic], etc. déçu car
jespérais découvrir là-dessous quelque message dérouté, betterave, gouache,
self-portrait (?) charbonneux quon affuble chaque matin dun col marin,
dun seau, dun râteau et dune pelle, et quon emmène vaille que
vaille jusquà ce square dont le gravier, particulièrement aigu, brille
péniblement. Alfred est à chacune des fenêtres, quil ouvre, quil referme
soigneusement. Pour certaines dentre elles, il joue au vitrier : un peu de
mastic, un petit clou sans tête... il a horreur que vibre le carreau quand passent les
camions. Alfred soctroyant le corps principal, les dépendances et la petite
chapelle contiguë, jhabiterai laile droite du bâtiment. Dans la cour, et
cela nous écoeure, les aliments ne cessent de grossir. Corps de poulets (comment dire
autrement?) dilatés à lextrême, moignons épouvantables, marécage
dépinards mixés sur lesquels nous devons naviguer. Le vin nous a trompés, son
couvercle de cire. On se demande même si lon pourra tenir (intacts!) jusquà
ce mois de juin. Alfred compte les girouettes, les antennes de télé et les
paratonnerres. Alfred compte les fanions, les équipes prévues. Dès quil aura
retrouvé son sifflet on pourra y aller. Gigantesques, les aliments emplissent désormais
le ciel et commencent à peser sur les habitations... Si le match avait eu lieu à temps
(les arbustes se soulever et projeter leurs baies multicolores, les récipients avaler
goulûment cet excès, cette épuisante prolifération)... Mais rien, Alfred reste muet,
la main posée sur la bakélite de linterrupteur général. Il pense à ce
quont dit de lui (ou pensé, ou rêvé) les voyous rencontrés jadis, il y a
peut-être dix ans, ces garçons à qui, anxieusement, il désirait parler lui
qui na su que bafouiller lamentablement. Ils nont même pas daigné le
regarder. Et aujourdhui : vengeance.
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