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  Christophe Petchanatz

  Épîtres.

 
  Christophe Petchanatz  
 

 

à Thierry Weyd

Le jeune Alfred en lettres rouges (ombre très noire, sèche, buvard) — le jeune Alfred écrit, gravé dans le ciel fade du Calvados : constructions pâtissières aux perspectives à peine supportables et là, posées sur une table, denrées avec lesquelles on nous persécuta des années durant, avant que ses parents divorcent et qu’il put imposer sa LOI, aliments mous alvéolés où se perdre, claquement des drapeaux au-dessus des plates-bandes (comme elles sont éloignées ce fut facile à faire : une ligne de colle, une pincée de pigment). Insolence des pelouses (vu d’aéroplane, le terrain avoue certaines bizarreries, comme un message inscrit là, pour nous). Sur la nappe très jaune les légumes très vifs, la viande à l’impudeur presque modeste, alcool dont on devine la densité (plomb parfumé qui tôt ou tard lestera nostre sang, nos viscères — qui tost ou tard molestera les registres de certains échanges dont nous avons la vanité de penser qu’ils sont de ceux qui nous définiraient). Au dos de ton envoi rien qui (n’) indique la provenance. J’ai même décollé la partie ajoutée, celle où il est question du conservateur, du guide, du gardiens [sic], etc. — déçu car j’espérais découvrir là-dessous quelque message dérouté, betterave, gouache, self-portrait (?) charbonneux qu’on affuble chaque matin d’un col marin, d’un seau, d’un râteau et d’une pelle, et qu’on emmène vaille que vaille jusqu’à ce square dont le gravier, particulièrement aigu, brille péniblement. Alfred est à chacune des fenêtres, qu’il ouvre, qu’il referme soigneusement. Pour certaines d’entre elles, il joue au vitrier : un peu de mastic, un petit clou sans tête... il a horreur que vibre le carreau quand passent les camions. Alfred s’octroyant le corps principal, les dépendances et la petite chapelle contiguë, j’habiterai l’aile droite du bâtiment. Dans la cour, et cela nous écoeure, les aliments ne cessent de grossir. Corps de poulets (comment dire autrement?) dilatés à l’extrême, moignons épouvantables, marécage d’épinards mixés sur lesquels nous devons naviguer. Le vin nous a trompés, son couvercle de cire. On se demande même si l’on pourra tenir (intacts!) jusqu’à ce mois de juin. Alfred compte les girouettes, les antennes de télé et les paratonnerres. Alfred compte les fanions, les équipes prévues. Dès qu’il aura retrouvé son sifflet on pourra y aller. Gigantesques, les aliments emplissent désormais le ciel et commencent à peser sur les habitations... Si le match avait eu lieu à temps (les arbustes se soulever et projeter leurs baies multicolores, les récipients avaler goulûment cet excès, cette épuisante prolifération)... Mais rien, Alfred reste muet, la main posée sur la bakélite de l’interrupteur général. Il pense à ce qu’ont dit de lui (ou pensé, ou rêvé) les voyous rencontrés jadis, il y a peut-être dix ans, ces garçons à qui, anxieusement, il désirait parler — lui qui n’a su que bafouiller lamentablement. Ils n’ont même pas daigné le regarder. Et aujourd’hui : vengeance.

 
Christophe Petchanatz    

 

 
    

  
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