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à Guy Ferdinande
n dit
c’est la chaleur, le bruit, et pourtant tout remue, c’est surtout ça, ça
bouge, mais lentement, insidieux, très souple et comme une poche emplie d’eau,
voilà, et cette opacité, ce trouble, une poche translucide à travers laquelle les
couleurs, les flonflons et les ris — ont cette pénible vérité, faces difformes
regardant d’un peu près, mères et aînées déjà laides déjà, l’effet de
cette lumière, mentons, acné, et rien qui aille vraiment, les vêtements, lourdeur des
gestes endimanchés, la lourdeur saccadée et même les jeux, même les jeux des tout
petits ont cette gravité, cette douleur constitutive — ah, pour jouer, pour parler,
il faut sans cesse démolir cette chose, et aussitôt cela reprend, dedans, cela se fige,
ankylose, raideur des membres et de la nuque (mais ce seraient des impressions ; au
vrai, chacun vaque souplement, et les filles sont belles, c’est autre chose qui
grince, comme la souffrance d’un très très proche anéantissement, c’est
imminent, ça n’arrive jamais). Au-dessus des maisons, les petites maisons autour de
la place, loin, vers l’horizon, de gros morceaux nuages viandes ocres, nuages
boucanés, torchons d’hôpital avec le sang le pus ; derrière les maisons, que
l’on sait plates et inutiles, il y a tous les laissés pour compte, les vieilles, les
infirmes, les étrangers, tous les surnuméraires. Les maisons tiennent à peine debout,
elles sont étayées, reclouées, repeintes à la hâte chaque fois qu’il le faut, et
derrière se tiennent les autres, les punis, les affreux. Avec lesquels on vit vaille que
vaille les autres jours de l’année, et les dimanches également, on les traîne à
la messe, on leur garde une place aux repas de famille, aux baptêmes et aux
anniversaires. Ils sont petits et sombres, mal aimés, amers, mais sans humeur ; leur
air de chien battu suffit à empoisonner n’importe quelle réjouissance. C’est
pourquoi, les jours de fête, les jours où chacun veut un peu respirer, respirer pour de
bon, loin de ce regard lourd insupportablement modeste, on les laisse là-bas, derrière
les maisons. C’est pourquoi le retour, ce soir, n’en sera que plus navrant, et
que bien des silences, bien de petites attentions, bien des allusions à peine
compréhensibles seront nécessaires pour dissiper ce qui pourra sembler, à terme, un
stupide malentendu. Jusqu’à l’année prochaine.
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