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  Christophe Petchanatz

  La jungle.

 
  Christophe Petchanatz  
 

 

dans la jungle, il y a les petits et les gros. Les gros sont plus forts, les petits sont malins. Si les petits sont pas rusés, ils crèvent ; si les gros sont pas forts, ils finissent par crever.

LA JUNGLE (rien de commun). À la suite d'une intoxication alimentaire, si l'on en croit le livre de bord, la jungle lui était apparue très simplement, et très précisément : espace rectangulaire, immense, certes, entouré d'une très vaste plaine grise, veloutée. Il se promit d'inspecter plus tard la vaste plaine grise. Un examen général ne donnerait rien. Il faudra y passer quelques mois, au bas mot. En revanche, on pouvait facilement imaginer qu'en y regardant de tout près (avec, éventuellement, les instruments idoines) on finirait par discerner un espace rectangulaire, vert, et vraisemblablement grouillant d'une vie luxuriante, ravageuse, ricanante et absolument affreuse. Sur le bateau (assemblage de tôles, de planches, et d'accessoires divers : bouées, caisses, cordages) la maladie gagnait. Le bateau, notoirement connu pour passer, à prix d'or, des clandestins désireux de fuir d'improbables pays pour rallier d'hypothétiques eldorado, navire trop pittoresque aussitôt reconnu, dans chaque port, dans chaque crique, et salué avec force rires et aussi une pointe de méfiance, le bateau paraissait chaque jour plus petit ; on se sentait réellement à l'étroit, malgré que le nombre des « passagers » fût, cette fois-ci encore, fort réduit.

Un homme sur le pont, démarche raide. Il en rajoute. Il avance à tâtons, main glissant sur le bastingage.

On l'a depuis longtemps prévenu, lui qui est presque aveugle (à la suite d'un stupide pari), qu'il est dangereux, vu l'état du navire, de continuer cette vie-là. On peut se prendre les pieds dans quelque chose, tomber — quelqu'un a même osé, un jour : « se perdre »... On lui répète sans cesse qu'il ferait mieux de rester tranquillement dans sa chaise-longue mais lui prétend qu'il a besoin de se dégourdir les jambes. D'autres pensent qu'il a fait son temps et qu'il ferait mieux de rester à terre désormais.

Sous la visière lourde de sa casquette que le sel a blanchie, il hume l'air marin, apprécie, les mains sur la tôle, les vibrations et les sursauts des machines (il y a en bas quelqu'un, en maillot de corps, baignant dans le cambouis, quelqu'un qui mâchonne sans cesse un mégot éteint détrempé de salive, quelqu'un avec qui, tôt ou tard, un drame se jouera). Il avance doucement. Il ne s'éloigne pas. Il se rappelle la jungle ; enfin, cette idée qu'il avait. Mais il n'y avait pas tout ce mouvement, roulis, tangage, bien sûr, cette odeur de poisson. Il ne sait plus où est la cabine. Il ne veut pas qu'on l'aide. Peut-être que le bateau est sur cales, que des gamins s'amusent à le secouer... peut-être qu'il y a sur la grève un tas de morues et, accroupis devant les hangars, de jeunes gars souriants.

La jungle avait ceci de particulier, quoiqu'elle fût enchevêtrée, nouée, paroxystique, de représenter, pour qui l'eût survolée, un rectangle parfait : branches, lianes, palmes s'interrompaient brutalement : la coupure était nette, quoique, visiblement, naturelle. Une retenue.

Le reste, tout le reste du paysage était : plaine grise, billard, poussière lourde. On y marchait avec difficulté ; l'empreinte des pas s'effaçait aussitôt. On s'effaçait (quoiqu'il semblât n'y avoir pas de brume) ; on s'estompait... Certains prétendent avoir entrevu des navires, des caravanes... des citadelles! Ceux qui racontent cela ne sont crus de personne. Les seuls qui eussent pu dire, on les imaginait marchant dans l'épaisse poussière, bras tendus, ne connaissant ni haut ni bas, ni gauche ni droite, seulement le geste de marcher, qui se perpétue machinalement.

 
Christophe Petchanatz    

 

 
    

  
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