Contemporains |
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à Philippe Morice Les Fouffes. Cest dans une forêt. Ils vont, en voiture, par une petite route en lacets, à travers une épaisse forêt, très sombre, très étendue, très froide. Pas le froid sec dun hiver gelé : un froid sournois, quon ne sent presque pas, un froid humide qui ne vous quitte plus dès quil vous a touché. La voiture est garée un peu plus bas, dans un renfoncement. Ils continuent à pieds. Il porte une cagoule. Il est engoncé dans ses vêtements. Ses parents ont lair content mais ils avancent sans mot dire. Il semble quils se dirigent vers un endroit précis. Il y a là-bas, après un virage, un petit monument. Ils approchent. Il ne se passe rien de spécial. Ses parents ont lair de plus en plus content. Sa mère le prend dans ses bras, ils atteignent lédicule, on le soulève pour quil voie bien cela lui hurle à la figure, lambeaux de chair arrachés et collés aux barreaux de la grille non, ce sont des hardes, des morceaux de tissu déchirés. Il pleure. Il est terrifié, il veut sen aller. Dans une forêt ils allaient parfois jouer à cache-cache ou au jeu de piste avec le patronage au-dessus du champ de tir où ils ramassaient des douilles et des balles à blanc, bien après ce territoire intermédiaire, qui nétait plus la ville, pas encore la campagne. Dépôts dordures, terrains vagues, caravanes, peaux de lapins tendues sur les buissons. En montant encore, suivant la trouée ouverte par les pylônes à haute tension quon entendait bourdonner, il avait un jour atteint une combe, le lit dune rivière asséchée, ou dun torrent, une vallée de galets blancs, tous de la même taille, tous de la même forme, et dune blancheur extraordinaire. Un sentiment dexaltation sétait emparé de lui. Il est resté assez longtemps, bouche bée, en contemplation puis, à contrecoeur, il est rentré à la maison. Cest un appartement situé tout en haut dun immeuble assez vétuste dans un quartier à la fois équivoque et désert. Nous y emménageons, semble-t-il, avec réticence. Lappartement est constitué de deux pièces en ciment. Au-dessous, une vaste pièce couvrant tout létage est inutilisable car une chaudière à mazout y est installée, et lodeur est très désagréable. En haut (on voit les Monts dOr par les fenêtres, et la Saône), la pièce du fond ouvre sur lextérieur : un tout petit surplomb en terre avec quelques touffes dherbe domine la falaise. Cest très haut. Je trouve absurde davoir prévu une porte ouvrant ainsi sur le vide. Nous navons que deux meubles, deux très beaux meubles de style basque semble-t-il. Christian est affalé dans un fauteuil et nous explique, dun ton hautain et un peu suffisant, que trouver un appartement, aujourdhui, est chose difficile mais quil sait pouvoir compter sur mon bon sens et mon réalisme... Sous le pont perpendiculaire à la rue du Breuil. La Lizaine est ici peu profonde ; lun de ses bras disparaît sous la cotonnière (la filature). On peut, dans le noir, avancer sous lusine, mais pour aller où? Ils franchissent la balustrade et se laissent tomber sur le petit banc de sable, en bas. Ils sont trois. Les autres lont entraîné là pour fumer. Il na jamais fumé. Ils se passent la cigarette. Puis lun deux la lui tend. Il refuse et recule dun pas. Ironiques et cruels ils lui demandent de quoi il a peur. Il hausse les épaules. Il prétend quil a déjà fumé mais que là, il nen a pas envie. Ils nen croient pas un mot. Ils insistent, répètent quil a peur. Enjôleurs ils le mettent au défi. Bien sûr il prend la cigarette. Il aspire mais navale pas la fumée. Puis ils remontent. Il les a trouvés un peu menaçants. Ils continuent de se moquer de lui car ils ne sont pas dupes. Ils auront pris quelque chose. Après un moment de vacuité, ils se retrouvent très nerveux dans la cave de limmeuble. Ensuite ils sortent. Il se sent mal. Il ne peut plus de parler. Les mots nont aucun sens. Ce sont des objets, inadéquats. Il part avec Isabelle, ils se tiennent la main. Ils suivent lavenue de France en direction du lac. Il pleut, il fait nuit. Les voitures sont des blocs sombres, menaçants, projetant sur lasphalte humide des stries de lumières criardes, et dont le passage est accompagné dune écrasante symphonie de bruits incroyablement complexes. Et le passage de chaque voiture sera une épreuve. Et lon va perdre la raison. Ils sont au bord du lac et cest insupportable : entre leau et le ciel, masses pesantes, métalliques, implacables, lespace est si ténu, il étouffe. Ces deux masses gigantesques ne peuvent que se rejoindre, elles se rejoignent, elles ne cessent de se rejoindre. Ils fuient. Ils courent, se perdent, traversent des champs dans le noir. Les fils barbelés des clôtures sont ondulés, sinusoïdales très serrées que nimbe une désagréable aura multicolore ils vibrent dun chant très mince, savant tressage de grésillements, de bourdonnements, sonorités métalliques... Et là, au beau milieu du champ, dans la pénombre, ils sarrêtent devant un carré, un mètre carré de pâturage phosphorescent, inexplicablement lumineux. Fascinés, ils regardent, ils ne comprennent pas. Létonnement est tel que la parole leur revient, ou plutôt : ils en oublient limpossibilité de parler. Ils lont découverte par hasard, en faisant du cross-country avec lécole. Il y a une petite ouverture dans une clôture, des escaliers taillés dans la terre soutenus par des planches. Petit chemin en sous-bois, anodin. Il faut suivre le ruisseau quon surplombe. Il y a quelques hésitations, cela ne mène à rien. Le chemin se dilue. On redescend dans lombre et là, cet ensemble, cet enchevêtrement descaliers, dépaisses tôles rouillées, de pontons, fougères, labyrinthe de rouille et de mousse, penché, usé parfois, dentelles de rouille, poutrelles puis cette porte, ce portique en pierre de taille, massif, inutile, conduisant à une sorte de minuscule écluse en remontant vers la lumière, au centre dune petite clairière rafraîchissante, cette chapelle minuscule, modèle réduit charmant, déplacé, irréel. Il y avait conduit Samia. Assez curieusement, cette fille si brillante, si belle, si courtisée, avait accepté de sortir avec lui. Il lavait conduite là. Au moment de la quitter, assez maladroitement, il avait essayé de lembrasser. Ils se sont fait la bise après que sa bouche eut effleuré celle qui se refusait. Prends le vélo. Sors de la cour. Prends à gauche par la rue du Breuil. Au bout tu tourne à gauche, tu passes devant les masures (cette femme trop grosse qui ne pouvait plus sortir de chez elle à cause de lescalier trop étroit et trop raide...), tu franchis limprobable passerelle qui paraît pouvoir céder chaque fois (planches pourries, dangereusement flexibles) puis tu obliques à droite. Ainsi, tu évites la grand route. La rue devient imprécise, devient chemin. Les repères : à gauche latelier abandonné. Plus loin, à droite, les immeubles en ruine, puis, à gauche, labattoir. Lodeur métallique du sang. Ensuite le chemin traverse les prés, sans jamais quitter les parages de la Lizaine. Tout au bout, au fond du paysage (le bout du monde en quelque sorte), une autre passerelle, anodine, cette maison où des chiens ne cessent daboyer (ils y ont lancé des pétards, une fois, mais, pour une raison que tu as oubliée, ça sest terminé dune manière désagréable), prendre à droite et là... tu ne te souviens plus. Mais si : tu passes ensuite devant les jardins ouvriers puis derrière la caserne. Parfois des militaires sont installés à une porte qui donne sur le fossé. Quand tu passes, immanquablement, ils te demandent si tu as une sur. Et une fois tu as répondu oui pour voir mais la conversation sest embrouillée et, sils sesclaffaient de bon cur. Tu te sentais grugé : ils se moquaient de toi. La dernière fois que je lai vu, il lui manquait des dents. Il souffrait dallergies, des boursouflures rouges qui mettaient des heures à se résorber. On est allé marcher sur le terrain de golf. Il ne parlait que drogues, datura, belladone (sous leffet de la belladone, mapprit-il, toutes les femmes quon regarde sont belles : belladona, belle dame) amanites, mithridatisme. Il sétonnait du nombre de pharmacies de cette ville. On a marché sur le green, cétait très beau, un peu irréel (nature imperceptiblement arrangée ; leffet est à la fois familier et gênant). Plus tard on est allé sur le port. La tempête remuait tout et les mâts des bateaux émettaient des sifflements lugubres, fantomatiques, choeur de spectres dérisoires, décharnés. Les bateaux sentrechoquaient, il faisait froid, des papiers volaient partout, et la poussière. On ne parlait pas beaucoup mais on avait encore cet agrément dêtre ensemble. |
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