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Christophe Petchanatz

  Lieux.

 

 

Christophe Petchanatz

 

 

 

à Philippe Morice

Les Fouffes.

C’est dans une forêt. Ils vont, en voiture, par une petite route en lacets, à travers une épaisse forêt, très sombre, très étendue, très froide. Pas le froid sec d’un hiver gelé : un froid sournois, qu’on ne sent presque pas, un froid humide qui ne vous quitte plus dès qu’il vous a touché. La voiture est garée un peu plus bas, dans un renfoncement. Ils continuent à pieds. Il porte une cagoule. Il est engoncé dans ses vêtements. Ses parents ont l’air content mais ils avancent sans mot dire. Il semble qu’ils se dirigent vers un endroit précis. Il y a là-bas, après un virage, un petit monument. Ils approchent. Il ne se passe rien de spécial. Ses parents ont l’air de plus en plus content. Sa mère le prend dans ses bras, ils atteignent l’édicule, on le soulève pour qu’il voie bien cela lui hurle à la figure, lambeaux de chair arrachés et collés aux barreaux de la grille — non, ce sont des hardes, des morceaux de tissu déchirés. Il pleure. Il est terrifié, il veut s’en aller.

La vallée des cailloux blancs

Dans une forêt ils allaient parfois jouer à cache-cache ou au jeu de piste avec le patronage — au-dessus du champ de tir où ils ramassaient des douilles et des balles à blanc, bien après ce territoire intermédiaire, qui n’était plus la ville, pas encore la campagne. Dépôts d’ordures, terrains vagues, caravanes, peaux de lapins tendues sur les buissons. En montant encore, suivant la trouée ouverte par les pylônes à haute tension qu’on entendait bourdonner, il avait un jour atteint une combe, le lit d’une rivière asséchée, ou d’un torrent, une vallée de galets blancs, tous de la même taille, tous de la même forme, et d’une blancheur extraordinaire. Un sentiment d’exaltation s’était emparé de lui. Il est resté assez longtemps, bouche bée, en contemplation puis, à contrecoeur, il est rentré à la maison.

du 5 au 6 novembre 1992

C’est un appartement situé tout en haut d’un immeuble assez vétuste dans un quartier à la fois équivoque et désert. Nous y emménageons, semble-t-il, avec réticence. L’appartement est constitué de deux pièces en ciment. Au-dessous, une vaste pièce couvrant tout l’étage est inutilisable car une chaudière à mazout y est installée, et l’odeur est très désagréable. En haut (on voit les Monts d’Or par les fenêtres, et la Saône), la pièce du fond ouvre sur l’extérieur : un tout petit surplomb en terre avec quelques touffes d’herbe domine la falaise. C’est très haut. Je trouve absurde d’avoir prévu une porte ouvrant ainsi sur le vide. Nous n’avons que deux meubles, deux très beaux meubles de style basque semble-t-il. Christian est affalé dans un fauteuil et nous explique, d’un ton hautain et un peu suffisant, que trouver un appartement, aujourd’hui, est chose difficile mais qu’il sait pouvoir compter sur mon bon sens et mon réalisme...

Héricourt

Sous le pont perpendiculaire à la rue du Breuil. La Lizaine est ici peu profonde ; l’un de ses bras disparaît sous la cotonnière (la filature). On peut, dans le noir, avancer sous l’usine, mais pour aller où? Ils franchissent la balustrade et se laissent tomber sur le petit banc de sable, en bas. Ils sont trois. Les autres l’ont entraîné là pour fumer. Il n’a jamais fumé. Ils se passent la cigarette. Puis l’un d’eux la lui tend. Il refuse et recule d’un pas. Ironiques et cruels ils lui demandent de quoi il a peur. Il hausse les épaules. Il prétend qu’il a déjà fumé mais que là, il n’en a pas envie. Ils n’en croient pas un mot. Ils insistent, répètent qu’il a peur. Enjôleurs ils le mettent au défi. Bien sûr il prend la cigarette. Il aspire mais n’avale pas la fumée. Puis ils remontent. Il les a trouvés un peu menaçants. Ils continuent de se moquer de lui car ils ne sont pas dupes.

Isabelle

Ils auront pris quelque chose. Après un moment de vacuité, ils se retrouvent — très nerveux — dans la cave de l’immeuble. Ensuite ils sortent. Il se sent mal. Il ne peut plus de parler. Les mots n’ont aucun sens. Ce sont des objets, inadéquats. Il part avec Isabelle, ils se tiennent la main. Ils suivent l’avenue de France en direction du lac.

Il pleut, il fait nuit. Les voitures sont des blocs sombres, menaçants, projetant sur l’asphalte humide des stries de lumières criardes, et dont le passage est accompagné d’une écrasante symphonie de bruits incroyablement complexes. Et le passage de chaque voiture sera une épreuve. Et l’on va perdre la raison.

Ils sont au bord du lac et c’est insupportable : entre l’eau et le ciel, masses pesantes, métalliques, implacables, l’espace est si ténu, il étouffe. Ces deux masses gigantesques ne peuvent que se rejoindre, elles se rejoignent, elles ne cessent de se rejoindre. Ils fuient. Ils courent, se perdent, traversent des champs dans le noir. Les fils barbelés des clôtures sont ondulés, sinusoïdales très serrées que nimbe une désagréable aura multicolore — ils vibrent d’un chant très mince, savant tressage de grésillements, de bourdonnements, sonorités métalliques... Et là, au beau milieu du champ, dans la pénombre, ils s’arrêtent devant un carré, un mètre carré de pâturage phosphorescent, inexplicablement lumineux. Fascinés, ils regardent, ils ne comprennent pas. L’étonnement est tel que la parole leur revient, ou plutôt : ils en oublient l’impossibilité de parler.

La petite chapelle

Ils l’ont découverte par hasard, en faisant du cross-country avec l’école. Il y a une petite ouverture dans une clôture, des escaliers taillés dans la terre soutenus par des planches. Petit chemin en sous-bois, anodin. Il faut suivre le ruisseau — qu’on surplombe. Il y a quelques hésitations, cela ne mène à rien. Le chemin se dilue. On redescend dans l’ombre et — là, cet ensemble, cet enchevêtrement d’escaliers, d’épaisses tôles rouillées, de pontons, fougères, labyrinthe de rouille et de mousse, penché, usé parfois, dentelles de rouille, poutrelles puis cette porte, ce portique en pierre de taille, massif, inutile, conduisant à une sorte de minuscule écluse — en remontant vers la lumière, au centre d’une petite clairière rafraîchissante, cette chapelle minuscule, modèle réduit charmant, déplacé, irréel. Il y avait conduit Samia. Assez curieusement, cette fille si brillante, si belle, si courtisée, avait accepté de sortir avec lui. Il l’avait conduite là. Au moment de la quitter, assez maladroitement, il avait essayé de l’embrasser. Ils se sont fait la bise après que sa bouche eut effleuré celle qui se refusait.

Les usines

Prends le vélo. Sors de la cour. Prends à gauche par la rue du Breuil. Au bout tu tourne à gauche, tu passes devant les masures (cette femme trop grosse qui ne pouvait plus sortir de chez elle à cause de l’escalier trop étroit et trop raide...), tu franchis l’improbable passerelle qui paraît pouvoir céder chaque fois (planches pourries, dangereusement flexibles) puis tu obliques à droite. Ainsi, tu évites la grand route. La rue devient imprécise, devient chemin. Les repères : à gauche l’atelier abandonné. Plus loin, à droite, les immeubles en ruine, puis, à gauche, l’abattoir. L’odeur métallique du sang. Ensuite le chemin traverse les prés, sans jamais quitter les parages de la Lizaine. Tout au bout, au fond du paysage (le bout du monde en quelque sorte), une autre passerelle, anodine, cette maison où des chiens ne cessent d’aboyer (ils y ont lancé des pétards, une fois, mais, pour une raison que tu as oubliée, ça s’est terminé d’une manière désagréable), prendre à droite et là... tu ne te souviens plus. Mais si : tu passes ensuite devant les jardins ouvriers puis derrière la caserne. Parfois des militaires sont installés à une porte qui donne sur le fossé. Quand tu passes, immanquablement, ils te demandent si tu as une sœur. Et une fois tu as répondu oui pour voir mais la conversation s’est embrouillée et, s’ils s’esclaffaient de bon cœur. Tu te sentais grugé : ils se moquaient de toi.

j j d

La dernière fois que je l’ai vu, il lui manquait des dents. Il souffrait d’allergies, des boursouflures rouges qui mettaient des heures à se résorber.

On est allé marcher sur le terrain de golf. Il ne parlait que drogues, datura, belladone (sous l’effet de la belladone, m’apprit-il, toutes les femmes qu’on regarde sont belles : belladona, belle dame) amanites, mithridatisme.

Il s’étonnait du nombre de pharmacies de cette ville.

On a marché sur le green, c’était très beau, un peu irréel (nature imperceptiblement arrangée ; l’effet est à la fois familier et gênant).

Plus tard on est allé sur le port. La tempête remuait tout et les mâts des bateaux émettaient des sifflements lugubres, fantomatiques, choeur de spectres dérisoires, décharnés. Les bateaux s’entrechoquaient, il faisait froid, des papiers volaient partout, et la poussière. On ne parlait pas beaucoup mais on avait encore cet agrément d’être ensemble.


Christophe Petchanatz    

 

 
    

  
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