Contemporains |
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Favoris (Les) |
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Marie. |
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a maison est jolie, lisse, brillante, dans le paysage bien rangé. Routes, bosquets, champs : une carte régulière. Marie est dans la cour avec son gros ventre. Elle a grandi trop vite, personne na fait attention. Aussi malgré sa taille et ses formes continue-t-on de la vêtir de petites robes qui la couvrent à peine. Marie est dans la cour, perdue, quand tout le monde sourd, aveugle travaille avec un enthousiasme affreux. Marie est seule dans la cour, elle gêne les autres se démènent. Ils ont des bêches, des marteaux, de la peinture. Ils vaquent en sifflotant. Le soleil est partout, Marie a trop chaud. Sur les petites routes, au loin, passent de jolies petites automobiles, brillantes, précises. Ce sont des points rouges, jaunes, des figurines arrondies. La journée passe ainsi, chacun se précipite et bouscule Marie au passage. Elle ne les connaît plus, elle pense à cet homme, le noiraud, le braconnier, celui qui se déplace dans les ronces et les fossés. Il a toujours à la main une bête, quil tient serrée par le cou. La bête est morte et pend. Elle se laisse aller. Il ne regarde pas. Il est hirsute, affreux ; on ne voit pas ses yeux. Sa bouche est rouge comme la viande. Marie la rencontré dans la clairière, elle la surpris croit-elle. Il a tendu une bête, une perdrix ; Marie a détourné la tête. Alors elle a senti une main sur sa gorge, qui serrait, et lautre main qui retroussait sa robe. Il a serré trop fort, cela la éblouie. Elle a cru quil cassait des choses dans sa gorge, comme du cartilage. Elle a senti ses cheveux dénoués se coller au tronc rugueux, à la résine. Et les fourmis. Il a mis dans son ventre une corne et il na plus bougé. Il lui serrait la gorge, il ne regardait pas. Marie a eu très chaud, comme une fièvre. Elle sest haussée sur la pointe des pieds. Puis il nétait plus là, il était occupé à lautre bout de la clairière. Elle a senti le froid, la nuit qui revenait, elle est partie. Son ventre était déjà très gros, presque comme aujourdhui. Elle est rentrée, suivant la route rectiligne, avec des frissons et des regards en coin vers les ronces où semblait-il de petites bêtes noires lépiaient en ricanant, les yeux rouges, babines retroussées. Et les mois passent. Le corps devient plus douloureux, tenace. Les autres comme chaque jour sactivent à bêcher, biner, laver, frotter, à faire de pleins chaudrons de confitures, et Marie reste seule au milieu de la cour, bousculée, ballottée. Le soir ils sont nombreux à table, faces toutes pareilles, bonnes joues rouges, regard en boutons de bottine, et ces petites mains potelées qui sagitent gaiement. Marie est longue et pâle, elle a des os, des hanches, des articulations, et les joues creuses. Parfois elle veut parler et tout le monde se penche vers elle, attentif, une bonté anxieuse, le geste suspendu. Elle ne sait pas quoi dire, bredouille quelques mots avec un geste de dénégation et se replie sur son siège. Chacun reprend alors ce doux babil quelle ne comprend pas, et ils continuent de boire, de manger, avec une ardeur renouvelée. Un jour quelquun, en riant, lui a tendu une saucisse piquée au bout dune fourchette. Marie sest recroquevillée. Ils pouffaient tous en lobservant. Elle a pensé au braconnier, elle a senti son ventre se serrer. Elle a vu dans leur rire mauvais que son mystère nétait que gaudriole. Puis quelquun sest approché, a tapoté son ventre en ricanant. Marie sest levée, a renversé sa chaise. Elle sest levée, elle sest enfuie. Elle a couru jusquau fond de la cour. Elle a marché des heures, piétinant le potager, arrachant de la corde à linge les draps, les vêtements. Puis elle est restée seule avec sa petite robe dans le noir qui venait, dans le froid, à frissonner, à regarder les fenêtres de la petite maison séteindre une à une, à regarder les petites mains potelées tirer les volets rutilants alors lobscurité sest faite tout à coup, quelque chose de fétide venait qui allait la happer, la traîner dans les ronces, la dépecer enfin méticuleusement.
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