![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Contemporains |
||||||
Favoris (Les) |
||||||||||||
|
|
Marie. |
||||||||||
|
|
|||||||||||
|
Et les mois passent. Le corps devient plus douloureux, tenace. Les autres comme chaque jour s’activent à bêcher, biner, laver, frotter, à faire de pleins chaudrons de confitures, et Marie reste seule au milieu de la cour, bousculée, ballottée. Le soir ils sont nombreux à table, faces toutes pareilles, bonnes joues rouges, regard en boutons de bottine, et ces petites mains potelées qui s’agitent gaiement. Marie est longue et pâle, elle a des os, des hanches, des articulations, et les joues creuses. Parfois elle veut parler et tout le monde se penche vers elle, attentif, une bonté anxieuse, le geste suspendu. Elle ne sait pas quoi dire, bredouille quelques mots avec un geste de dénégation et se replie sur son siège. Chacun reprend alors ce doux babil qu’elle ne comprend pas, et ils continuent de boire, de manger, avec une ardeur renouvelée. Un jour quelqu’un, en riant, lui a tendu une saucisse piquée au bout d’une fourchette. Marie s’est recroquevillée. Ils pouffaient tous en l’observant. Elle a pensé au braconnier, elle a senti son ventre se serrer. Elle a vu dans leur rire mauvais que son mystère n’était que gaudriole. Puis quelqu’un s’est approché, a tapoté son ventre en ricanant. Marie s’est levée, a renversé sa chaise. Elle s’est levée, elle s’est enfuie. Elle a couru jusqu’au fond de la cour. Elle a marché des heures, piétinant le potager, arrachant de la corde à linge les draps, les vêtements. Puis elle est restée seule avec sa petite robe dans le noir qui venait, dans le froid, à frissonner, à regarder les fenêtres de la petite maison s’éteindre une à une, à regarder les petites mains potelées tirer les volets rutilants alors l’obscurité s’est faite tout à coup, quelque chose de fétide venait qui allait la happer, la traîner dans les ronces, la dépecer — enfin — méticuleusement.
|
|||||||||||
![]() |
|