Frederic Strauss
L’expérimentation maîtrisée de F.J. Osssang
Depuis L’Affaire des divisions Morituri (1985) et Le Trésor des îles chiennes (1990), cet écrivain-réalisateur est un phénomène de curiosité. Rock et résolument incorruptible. Avec 9 Doigts, présenté en compétition à Locarno, Ossang a arraché au cinéma d’aujourd’hui, plutôt très frileux dans ses investissements, un nouveau trip en 35 mm et en noir et blanc, superbe et mystérieux. C’est l’aventure radicale, dans le sillage d’un homme qui a une gueule de poète et se nomme Magloire. Après un casse qui a mal tourné, il se retrouve sur un cargo avec des malfrats irradiés, trafiquants de polonium. A l’horizon, le rêve d’un hypothétique Eldorado laisse place aux contours incertains de Nowhereland, le pays qui n’existe pas… « Ne pas comprendre, c’est la clé ! », dit un des voyageurs. Le spectateur aussi doit larguer les amarres pour goûter ce film qui ressemble à une bande dessinée du genre Bob Morane, transfigurée par un esthète du temps du cinéma muet. Au cœur de cette expérimentation très maîtrisée, les acteurs naviguent brillamment entre délire et classicisme.
Dans le rôle d’un médecin qu’on fait monter à bord, Gaspard Ulliel est un pur visage, fantomatique et fascinant. En chef de gang intellectuel, drapé dans un incroyable manteau de fourrure blanc, Pascal Greggory est intrépide. Et Paul Hamy, qu’on a vu dans L’Ornithologue de João Pedro Rodriguez, donne au personnage de Magloire une telle aura romantique qu’il en devient comme un mirage. Ossang a de sacrées visions.