extrait ci-dessous, mais le reste de l’article vaut son pesant
9 doigts (F.J. Ossang)
A commencer, évidemment, par le nouveau Ossang, accueilli avec beaucoup d’enthousiasme et reparti avec un prix de la mise en scène largement mérité. Plaisir double, donc, de retrouver Ossang six longues années après son dernier long métrage Dharma Guns, et de voir célébrés ses efforts solitaires (le film a eu beaucoup de mal à se monter) pour maintenir le cap d’une oeuvre filant depuis plus de trente ans, discrète et obstinée, comme une comète au fond de la nuit du cinéma français. Retrouver Ossang, c’est retrouver moins des images qu’une géographie. Les coordonnées sont connues, elles n’ont pas varié d’un iota. La boussole pointe vers le même territoire depuis L’Affaire des Divisions Morituri : pays imaginaire et fuligineux, mêlant imitation enfantine de film noir, humeur spectrale revenue de Vampyr ou d’Epstein, et poésie no future métallique. Ici un dénommé Magloire, encombré d’un magot pris à un mort, embarque sur un cargo glissant dans une mer d’encre, aux mains d’un gang empoisonné au polonium. Sur l’équipage plane une conspiration insondable, et la promesse inquiète de rejoindre, au bout du voyage, la rive du « Nowhereland ». Dharma Guns, il y a six ans, avait pu faire redouter de voir finalement les rêveries d’Ossang figées en un cabinet de curiosité un peu trop prévisible. 9 doigts, qu’il annonce (faut-il y croire ?) comme son dernier film, retrouve comme jamais le goût de l’exploration. C’est probablement le plus beau du cinéma d’Ossang, cette manière de traiter comme une géographie concrète son territoire de songes. Scandé par de vraies fulgurances de montage, 9 doigts dérive au gré de fondus au noir qui font l’effet chaque fois de paupières rabattues sur un rêve d’enfant. Rêve sombre mais surtout très joueur, petit monde où jouer au cinéma et à la métaphysique, fantasme de Peter Pan punk – le Nowhereland est un autre Neverland.