la suite et fin de cet beau tryptique en version originale ici !
C’est encore à la fin d’un monde qu’Ossang nous convie, encore une de ces sociétés secrètes prêtes à basculer dans un bain de sang rageur. L’histoire se résume simplement : comment de trajectoire devenir trace. Conjurer la malédiction. Angstel est un petit trafiquant d’armes et d’arts. Bloc de colère et d’angoisse, c’est un homme-enfant, un Peter Pan qui n’arrive pas à décoller. Je hais ce bar, ces gens, ce quartier. Qu’est-ce que c’est que ce monde? Son chef de réseau cache mal derrière un paternalisme condescendant le fait qu’il va devoir le sacrifier. L’équilibre est rompu et Angstel ne veut pas suivre la trajectoire imposée. Prendre suffisamment de vitesse pour sortir du rail, ne laisser derrière lui que la poussière.
Alors devant un cinéma, Peter Pan rencontre une Alice d’hôtel de passe. Le trafiquant et la pute. Joli couple rock’n’roll. On la connait, l’histoire. Ivres de drogues, poursuivis par des agents secrets et des gangsters, nos amants maudits prennent la poudre d’escampette jusqu’au blast final laissant tout le monde sur le carreau. La légende du rock’n’roll a la peau dure, nihilisme passif qui se nourrit de clichés et de codes biens utiles pour conforter la bonne société, infantilisant ceux qui s’en repaissent, rejoueurs éternels de tragédies de bac à sable. Mais Angstel et Ancetta, le trafiquant et la pute, sont plus que ça. Pas Sid et Nancy pour un sou. Peter Pan et Alice, on vous dit. Nihilistes actifs, s’ils envoient tout balader, ce n’est pas pour vouer le monde aux gémonies et basta! S’ils ont le goût du néant, c’est parce qu’ils savent que du rien, tout est possible à partir de l’envie. On est dans les soutes du monde. Et on parle du ciel. Peter a envie d’Alice. Alice a envie de Peter. Mais ce n’est pas une question d’amour fou, romantisme échevelé pour midinettes trash. Pas de projection dans l’autre de ses propres aspirations, réduction de l’altérité, réceptacle désincarné. L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches. S’ils doivent mourir pour vivre la vie qu’ils ont choisie, Angstel et Ancetta ne veulent pas le faire comme des clébards, la queue entre les jambes, le mal au ventre. Ce sera en plein ciel. Pour prouver qu’il existe et que tout est encore possible.
Entre temps, entre les extrémités de la boucle, ce ne sera pas le seul sortilège que nous donnera à voir le métrage. Un des moindres n’est certainement pas celui de rendre permissif la frontière entre ce que l’on voit à l’écran et notre réalité de spectateur. Pour exemple, un petit tour de passe-passe très beau et d’une simplicité enfantine : alors que le film entame son deuxième acte et que le couple en fuite roule à tombeau ouvert, la musique off passe en musique in, Angstel baisse le volume de la radio et devient son propre narrateur, voix intérieur comme on en entend souvent dans le reste du film; ici, s’incarnant à voix haute. Ailleurs, c’est Ancetta lisant un recueil du poète-pharmacien Georg Trakl alors qu’Angstel est à l’officine du pharmacien-poète Trakl Georg pour y récupérer ce que l’on ne saurait réduire à de la drogue. Petite fiole remplit d’un liquide bleu, la préparation du pharmacien (Angstel parlera de philtre, soit la boisson miraculeuse) évoque irrésistiblement celle que prend Alice aux portes du Pays des Merveilles.
Autre figure proche du mythe, le double rôle joué par l’ancien boxeur Stéphane Ferrara, acteur récurrent chez Ossang et corps magnétique. Homme-opérateur dans Le Trésor des Îles Chiennes, figure droite du récit, il devient dans Docteur Chance, l’homme de la Destinée. pas un Deus Ex Machina, mais celui qui est là parce que les choses doivent arriver, en bien (Dietrich) comme en mal (Fonzie). Au cours de la fusillade finale sur le tarmac, Angstel recevra une balle tirée par lui. « Tu saignes à la tempe. – Je crois que j’ai du fer dans le cerveau. » Angstel a grandi. Du plomb dans la tête, pas dans l’aile. Peter Pan peut enfin décoller. Au bénéfice du final cut qu’il recherchait.