article original : site de kinok
COFFRET FJ OSSANG L’AFFAIRE DES DIVISIONS MORITURI LE TRÉSOR DES ÎLES CHIENNES DOCTEUR CHANCE
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SYNOPSIS | |
Le premier est un film de gladiateurs des années 80, le second est un film de science-fiction où un groupe d’hommes errent sur une île en quête d’un secret disparu, et le troisième est un road-movie amoureux et armé jusqu’aux dents. | |
POINT DE VUE | |
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Négatifs magnétiques
L’affaire des divisions Morituri
Naissance de Ossang au cinéma, après les voitures, la poésie, et le punk. Et c’est mêlé de ces trois incarnations précédentes qu’il se présente. Les voitures : le film avance comme une machine, il broie, il décape.
La poésie : elle est là, partout, dans les dialogues d’abord, déclamée par les personnages, dans le montage ensuite, godardien, plein d’associations fausses, donc vraies.
Le punk : parce que le film est profondément romantique, soutenu dans ses déliquescences par Throbbing Gristle et Cabaret Voltaire.
On pourrait croire à la pose, mais elle tout de suite sabrée. Dès qu’elle pointe, le cinéma d’Ossang l’assaille et la renvoie aux oubliettes. Ainsi Nietzsche et Artaud sont convoqués, mais c’est pour s’en moquer avant tout.
Il y a la bande à Baader en toile de fond, il y a la drogue qui parcourt le film, il y a un jeu constant entre images laides et images grandioses, entre épopée et néant. Le film est le ramassis de toutes ces choses disparates qu’il écrase aussitôt. Le leitmotiv de L’affaire des divisions Morituri est écrit sur un carton : « Images, images, nous sommes images du film coma ! » Ossang croit que le film oublie, que la pellicule n’imprime pas, que la mémoire n’a pas le cinéma pour lieu. C’est autre chose qui y circule, plutôt que la mémoire : le désordre.
Le trésor des îles chiennes
Sortir de l’île, ce serait sortir du film. Mais les héros, en bande, n’ont qu’une voiture. Les seuls bateaux qu’on voit sont des épaves. Les avions ne décollent pas, et il n’y a plus d’hélicoptère. Le trésor des îles chiennes est un film de science-fiction sans science ni fiction – simplement des figures errant dans les paysages qui se resserrent sur eux, les étreignent, les rejettent, les broient. Le ton est d’outre-tombe : « leurs yeux sont des boules de mort ». Mais dans l’apathie générale de cette métaphore d’une lente descente d’acides, surgissent quelques moments majestueux. Une baignade, un égorgement, des hommes en train de marcher.
Quelque chose convainc moins que dans les deux films qui suivront. Le trésor des îles chiennes voudrait tout faire trembler mais n’y parvient que par instants, et ces instants sont peu, au vu des nombreuses défaites du film, qui ne cesse de se battre en force, frôlant l’overdose.
Docteur Chance
Si Ossang filme cinq fois cette affiche de L’aurore sur la devanture d’un cinéma chilien, ce n’est pas pour rien. D’abord, il parle du cinéma comme possible décloisonnement, comme frontière abattue, comme internationalisme. Ensuite, il sous-entend quelque chose que nous comprenons au fur et à mesure du film : il fait du cinéma muet. Dans le bruit, dans la musique, il retrouve le silence, et dans la parole le carton. Les personnages parlent, mais pas comme dans les films parlants : ils parlent comme si un carton remplaçait leur visage.
Ce n’est pas tout. Le cinéma muet est très présent dans Docteur Chance. Ossang veut nous faire croire au cinéma des origines, et nous mettre dans la position du spectateur découvrant le cinéma. Avec ce film, le cinéaste s’invente une origine (ou plutôt, laisse au cinéma la chance de renaître). Il cherche aussi à nous laisser penser que chaque image est une pure invention, presque un tableau (alors qu’évidemment chaque image est saisie). Ainsi, il retrousse le problème du cinéma, comme les grands esthètes, mais sans donner à voir le contrôle nécessaire à cela (plutôt Kanevski que Kubrick). Ce qu’il y d’extraordinaire, c’est qu’il vole au monde des images que le monde ne donne pas. Il se refuse à la laideur, il inonde le spectateur de couleurs, nous sommes pris dans un spectre très large, éblouis comme dans un faisceau de lumière. Rien à voir avec Wong Kar Wai, car le ton n’est pas le même. Le ton n’est pas celui de l’homme satisfait de sa création, mais plutôt celui de l’homme perdu dans celle-ci, écrasé par elle, se maudissant d’en avoir déjà trop dit, trop fait. On pourrait prendre Docteur Chance comme un film sur la puissance des machines. On ne compte pas les plans de voiture, les courses, les mouvements. C’est par la machine que le monde redevient beau, pur : par la vitesse que la machine génère. Et l’on quitte les nuits chiliennes pour rejoindre la lumière argentine / argentique. La pellicule est irradiée. Pas impossible que Francis Coppola ait vu ce film avant de faire Tetro. Quitter, je crois, c’est ça le grand mouvement du film (son moteur). Ossang saisit la fragilité de l’inspiration, l’égarement lié aux fuites, et le miracle des échappées. Il décline les vitesses, entre chaos et poésie. Qu’est-ce que la poésie au cinéma ? Peut-être une question de magnétisme. Comme ce regard qui dit Dieu, et qui réapparaît avant que le roux ne crache rouge dans l’évier de sa chambre d’hôtel. Un lien se fait, là, dans ces images se succédant, qui n’appartient à rien, à aucune pensée, à aucun ordre. Qui crée son ordre – ou plutôt son règne. Ossang ne peut se résoudre au rectangle du cadre du cinéma. Il arrondit ses plans, façon longue-vue. L’image est cerclée de noir. C’est un cinéma qui ne cesse de montrer au loin, de marquer la distance par le noir entourant l’action, de redéfinir ses contours. C’est aussi un cinéma mobile : tel geste entraîne la caméra vers le sol, tel autre vers le ciel, la caméra danse, traque, poursuit. Et dans la saisie de ces gestes, Ossang cherche les indices d’un possible soulèvement. Il cherche tout ce qui pourrait faire basculer le film. Ainsi le film est constamment en péril (d’autant qu’il ne cherche pas à être intelligible). Sa puissance naît de ce qu’on n’attend pas. Il n’y a pas de promesses, mais il y a des éclats. • Antoine Mouton
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FICHE TECHNIQUE | |
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