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La chronique cinéma d’Emile Breton
À lire, loin de Cannes
Mercure insolent, de F. J. Ossang (Armand Colin). Un morceau de ton rêve de Philippe Azoury (Capricci). Les films sont à Cannes, cette semaine. Et ceux qui les font, les vendent, les achètent, les jugent. Alors, on parlera de livres. Mais d’abord, une mise en garde. Surtout, ne pas regarder, pendant ce festival, la télévision, et la plus vampirique de toutes, Canal Plus, qui finirait par faire croire qu’au-delà des marches il n’y a pas une salle, sauf le jour de l’ouverture, stars frémissant d’attente, et celui de la clôture, congratulations papelardes. Une salle et des écrans où pendant dix jours passent des films. Bons, moins bons, votre quotidien préféré est là pour en parler, lui.
Et pour ceux qui pensent que, loin de la Croisette, il y a encore une vie, restent des livres de passion. Mercure insolent, d’abord, de F. J. Ossang. Il écrit comme il filme : dans l’urgence, la fièvre, partant de cette première phrase : « À quoi sert un cinéaste ? À rien, je dirais immédiatement. » Et naturellement, tout ce livre brûlant est consacré au « mystère que l’on découvre lorsqu’on tourne son premier film – soudain le brouillard des lignes écrites, le personnage de papier deviennent une peau humaine qui vibre, s’anime et porte des actes possibles. C’est aussi pour cela que j’ai continué à faire des films… ». Continuer non sans inquiétude car lui, qui aime tant le « celluloïd », comme il dit parlant de la pellicule argentique avec qui naquit le cinéma, ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée du tout-numérique. Et pourtant : rocker autant que cinéaste et écrivain, il se souvient : « Je ne veux être réactionnaire, écrit-il ; quand les machines sonores électroniques sont apparues, nous avons sauté dessus pour irradier l’incise des guitares électriques et produire un son d’alien. » Ainsi les contradictions nourrissent-elles d’énergie ce livre. Et l’on sait bien que mots, images ou sons, cet imprécateur amoureux ne se taira jamais. « Le cinématographe, écrit-il aux approches de la conclusion, m’est advenu comme la fièvre, un retour de maladie infantile contre l’âge juste. » Et, un peu plus loin : « Croire que c’est fichu, mais le faire. »
Autre homme de passion : on a parlé ici (l’Humanité du 17 avril) de Flammes d’Adolfo Arrietta, merveilleux conte sur une gamine qui rêve d’un pompier s’introduisant de nuit dans sa chambre et qui n’aura de cesse, femme, d’en capturer un, casque brillant et blouson de cuir noir compris. Si la chronique d’alors a pu pousser un lecteur (rêve de tout critique) à aimer ce film, ledit lecteur ne pourra que se jeter sur Un morceau de ton rêve… de Philippe Azoury. Précédé d’une chaleureuse note sur la vie peu ordinaire de cette figure de l’underground des années soixante entre Madrid et Paris, ce livre est la transcription d’un entretien qui dura quatre jours, en juillet 2009, avec « ce personnage indolent et délicieux, un jouisseur doux », dit son interviewer. Et c’est un bonheur. Arrietta y parle de cinéma, son cinéma, et du Paris des années éclatées de l’après-Mai 68. Une idée de l’élégance de ce cinéma : parlant des acteurs, il dit : « Je ne suis pas un dictateur. Le cinéma, c’est quand même le contraire de la dictature. C’est un rêve que l’on peut partager. » Et ça, il sait ce que c’est, lui qui rappelle ce mot de Lotte Eisner, hier grande dame de la Cinémathèque, à propos d’un de ses films : « Il est fait avec la matière du rêve. » Mais surtout, à lire ce livre, on comprendra qu’il est un cinéaste à aimer, celui qui a su dire : « Le cinéma se cache là où les choses sont sous-entendues. La psychologie a fait beaucoup de mal au cinéma. Elle est l’alliée de l’industrie. »
Emile Breton