LA BANDERA (1935), un film de Julien Duvivier – par F.J. Ossang (Transfuge 66)

“La Bandera” (1935) de Julien Duvivier ressort sur les écrans! C’est avec “Pepe Le Moko” l’autre grande contribution de Julien Duvivier à la noire mythologie française d’avant-guerre. Tout y est sombre comme une chanson de l’aube pour condamné à mort, et sans espoir. Il y a Jean Gabin, Annabella, Pierre Renoir, et l’énigmatique Robert Le Vigan – grand acteur dont la postérité doit à LF Céline d’être devenu l’inoubliable icône de “Nord” sous le nom de La Vigue…

Histoire : sur la butte de Casque d’Or, un homme cherche à s’évanouir dans la nuit après avoir surriné un délateur ou un usurier. Il tombe sur un couple éméché. La fille l’étreint pour gagner un dernier verre, Gabin file en laissant sur sa robe blanche une large empreinte de sang. On le retrouve à Barcelone, errant entre un logeur amène peu regardant, des contrôles de police et un tripot à travestis où des indics français lui dérobent ses papiers et son dernier argent. Il décline et dérive jusqu’à une affiche de la Republica Espanola qui recrute pour la Légion Etrangère – La Bandera : “Vous qui trainez dans une ville sans horizons, une vie sans espoir…” Finalement il s’engage et gagne les rivages du Maroc avec d’autres naufragés de la vie, Allemands, Russes ou Français. C’est la Guerre du Rif. Les rebelles frappent fort et tiennent la plaine.

Morroco (Coeurs Brûlés) de Joseph von Sternberg n’est pas loin, sauf que la fille du claque n’est pas une blonde Marlène, mais la magnétique Aisha La Slaoui (Annabella). Coup de foudre par dessus la Méditérannée : Gabin et Annabella s’épousent en faisant les  liens du sang. En dépit de la magnamité de l’officier de la légion (extraordinaire Pierre Renoir), le sort rode en la personne du détective engagé (Robert Le Vigan). Gabin jure à Aisha de fuir avec elle dans le Sud marocain. Le rêve n’adviendra pas : les volontaires crèvent tous en défendant un fortin assiégé, à l’exception de La Vigue  – qui pardonne, mais trop tard. French rules ok!  No future…

Transparences hâtives, anis amer, plans des balcons ou ramblas de Barcelone plus désespérants que la France même, c’est “la mer allée avec le Soleil” – et le SANG!

Le film noue sa tension jusqu’à une conclusion attendue : la mort, Mektoub – c’était écrit, dirait William Burroughs. Une inaliénable fraternité des maudits, des sans-terre soude le film. Comment dire! Le film est aussi formidable que Pepe Le Moko, il dépasse l’affect et l’idéologie. Effacés, le prestige des armées-suicide, la poussière des empires coloniaux, l’absinthe et le close-combat : corps à corps avec le destin, les oubliés gagnent! Tout ce qu’ils accomplissent en pure perte fait trembler l’éternité!

On comprend que Bergman ait pu analyser les films de Duvivier, ou que Welles ait porté haut ce réalisateur. C’est si beau, si triste – si français

Disant que la trame du film est fatale, je veux dire qu’il éveille une vision prémonitoire : La Vigue écrit ici toute la formule de son procès, dix ans plus tard, quand il comparaitra pour trahison. Trouble, énigmatique, toxicomane, espion et traître dans les films, toujours il restera. Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault auront beau jusqu’à la fin le défendre, il demeurera pour les juges l’Infâme, condamné par avance, et fera plusieurs années de travaux forcés après la guerre (durant lesquels il reprendra l’étude du Grec ancien!). Il fuira en Espagne, puis en Argentine. Dans chacun de ces pays, le cinéma lui offrira les plus grands rôles jusqu’à ce que l’Ambassade de France intervienne, et exige l’arrêt du tournage. De dédit en déroute, il achèvera sa vie à Tandil (où peut-être croisa-t-il Gombrowicz), mais jamais ne trahira Céline – normal : grand acteur, il sut reconnaître son plus grand role : La Vigue dans la “Trilogie de la Fin”… Il existe un très beau film documentaire d’Edgardo Cozarinski qui évoque la fin de deux grands acteurs français morts en Argentine (“Boulevards du Crépuscule”) : Falconetti (la Jeanne d’Arc de Dreyer) décédée accidentellement à Buenos-Aires, et Robert Le Vigan, enterré à Tandil!

Né Coquillot, je mourrai “petit Coquillot”, sut dire Le Vigan en 72. C’est ainsi que j’ai retrouvé sa tombe  au Cementerio Municipal de Tandil : “Roberto Coquillot Le Vigan”.

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Une réponse à LA BANDERA (1935), un film de Julien Duvivier – par F.J. Ossang (Transfuge 66)

  1. Díaz Bagú, Georges dit :

    Excusez-moi de vous corriger. Le nom de famille de Robert Le Vigan était Coquillaud. Je suis né à Tandil et j’ai été son dernier élève de français pendant sept ans avant sa mort. J’allais tous les jours chez lui, même les samedis et dimanches. A l’époque j’avais quinze ans. Vous pouvez imaginer. Monsieur Du…comme il aimait se nommer…du quoi? Du con, mon p’tit Georges…On s’amusait bien ensemble. Des rires fous! Vous êtes des fous, disait Edmée, sa femme.
    Georges

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