Toute poésie véritable nous met littéralement en présence d’un monde qu’elle formule pour se configurer elle-même. Celle de FJ Ossang a partie liée, nécessairement, avec la question du film et de la musique punk, qui sont autant des formes de son écriture que des régimes de manifestation qui la traversent et lui permettent de trouver sa singularité propre et ses accents les plus profonds. La poésie de FJ Ossang se saisit de ce qui bruit en deçà et au-delà du film et de la chanson punk et fait surgir un monde qui a en propre de s’éteindre au moment même où il se lève et s’anime devant nos yeux. En cela, Venezia Central, et au-delà, la pratique de l’écriture en tant que telle ont à voir avec le cinéma, qui est lui-aussi un lieu pour le surgissement de figures qui se donnent et s’éloignent dans un même mouvement, et qui va vite le plus souvent. Venezia Central, recueil composé de textes dont les plus anciens datent de 1985, est ainsi baigné d’une lumière solaire à l’allure paradoxale, ce feu qui révèle l’image et la dévore ensemble, et autour duquel « on danse au jardin parmi les flammes ».
La poésie va vite. Il ne faut pas tergiverser, faute de rien pouvoir saisir de cette lumière qui soutient, en la rendant possible, notre relation au monde et aux autres. FJ Ossang écrit ainsi, dans il pleut sur Madrid, de cette poésie qui « est trop rapide » : « La vitesse défigure les couleurs. La poésie traverse les mots / La connerie se disloque contre un mur. Les discours brûlent. / L’art peindra les brasiers. » La vitesse, cet autre lieu de rencontre avec le cinéma, est si importante qu’elle deviendra le nom d’Olivier, membre du groupe punk MKB, à qui FJ Ossang consacre un texte, l’Ode à Pronto Rushtonsky, pour répondre à sa mort prématurée, participant sans doute à cette loi des fantômes qu’énonce Mes amis sont morts, une chanson de MKB que l’on peut entendre sur l’album Hôtel du Labrador. Il n’est pas anodin que ce morceau dise lui aussi la vitesse — « Et le temps passe, vite, trop vite » — et le caractère fondamentalement incertain du monde que la poésie cherche à traduire : « Notre monde s’effondre-t-il, / ou commence-t-il à poindre ? »
Cette question, à jamais irrésolue, ce dont il faut se réjouir, car venant à sa rencontre, l’écriture elle-même devient une tâche qui n’a pas de fin, envoie les phrases de FJ Ossang aux quatre coins du monde. L’écriture procède du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, et s’apprend dans mille langues aux accents les plus variés. Celle de FJ Ossang emprunte à l’anglais et à l’espagnol. Elle s’écrit avec Pessoa, Burroughs et Artaud. Elle est tout entière ce poème des cartes, où l’impératif de la poésie se donne dans une clarté saisissante : « Marcher sur les pays, pour dire soudain : je préfère l’électricité, la chimie—les poèmes ». Electricité, chimie, poèmes, trois éléments qui étaient, hier encore, des conditions de possibilité du cinéma qu’une guerre démente, évoquée à de multiples reprises par FJ Ossang (1), nous a retirées. Il appartient dès lors au poète d’offrir son témoignage à qui veut l’entendre : « J’en suis-là, parmi les ruines de l’art et la manigance opératoire des sociétés, mais j’ai vu. »
Venezia Central, FJ Ossang, avec une postface de Claude Pélieu, Le Castor Astral, 2015 – 14 €
(1) et qui a donné son impulsion à son précédent ouvrage, Mercure insolent.
Publié le 24/01/2015