Les nuits carminées de F.J. Ossang
par Thierry Acot-Mirande
L’UN DES PREMIERS SPECIMENS DE LA ZOOLOGIE FANTASTIQUE de Borgès est formé par les animaux des miroirs. Ceux-ci sont d’anciens êtres tout différents par la substance, la couleur, la forme, des humains ; ils se révoltèrent, envahirent la terre, furent repoussés dans les miroirs et condamnés par l’Empereur Jaune à « la tâche de répéter, comme en une espèce de rêve, tous les actes des hommes ». Mais, dit Borgès, « un jour ils secoueront cette léthargie magique (…) Avec les créatures des miroirs combattront les créatures de l’eau (…) D’autres pensent qu’avant l’invasion nous entendrons une rumeur d’armes au fond des miroirs. »
Maintenant que référence est faite à ce qui, du plus haut du monde littéraire et du monde spirituel en vient à éclairer à nos yeux la création de F.J. Ossang, il nous faut bien admettre que cette création, que cette oeuvre ont partie liée avec le tango de l’entropie. Bien des titres sont significatifs de cette entreprise négative ou, sinon négative, du moins essentiellement ambigüe. Les Guerres Polaires ; Génération Néant ; Ciel éteint ; Landscape et Silence.
Oui, plutôt qu’à un compagnon d’Enfer de Rimbaud, auquel certaines intonations, certains cris sortis tout armés du corps et du coeur martyrisés font quelquefois penser, c’està quelque douteux Corinthien mal converti, à quelque Romain encore haineusement tenté par la triste matière du monde que l’on se surprend à songer à lire telle ou telle page du poète, écrite à la pestilentielle bougie de l’Apôtre lui-même prisonnier de la douleur de vivre encore, c’est à dire de survivre à Dieu.
Lambeaux. Et d’abord la matière de la langue, qui vient en masse. Sucre brun dont sortent des fantômes de glaise qui énoncent des sortes de lois, qui proviennent, par émissions, de dépôts d’énonciations toujours permises… Ruines, regard, mouvement, mirage, métaphore, dévoration, mobilité, suspension, vide.
Tout ce que nous venons d’énumérer implique la nécessaire présence de la destruction. A proprement parler, la situation n’est pas neuve, mais l’intéressant est le rapport entretenu par F.J. Ossang. Depuis un bon moment déjà elle est au centre de la plupart des préoccupations de production ou de création. Elle est intégrée aujourd’hui, comme élément déterminant de ce processus, en ce sens, elle est placée au coeur du projet, elle est pièce de ce jeu. L’oeuvre s’appuie sur elle, mais il s’agit la plupart du temps de déconstruction-pierre de taille, clé de voûte de l’ensemble, le déconstruit est admirablement bâti. L’édifice ne tient pas sans lui. l’oeuvre le retourne comme un gant.
Chez F.J. Ossang, au contraire, la destruction n’est plus au centre, mais existe en tant que signe périphérique, sans cesse présent dans le champ du regard. Inassimilable, inéliminable. Elle n’est pas éléent de travail, partie du puzzle, morceau de réalisation, mais plutôt réalité, qui oblige le rapport, qui mine toute production de sens, et qui fait donc sens à son tour. Se diviser et flamber pour ne pas règner : la magie de la réalité. « Le poète est dna sune position difficile et souvent périlleuse, à l’intersection de deux plans au tranchant cruellement acéré, celui du rêve et celui de la réalité ». Dans son crâne, comme si c’était un buccin, vibrent la terre et le soleil ; le sel de la mer, sève des sirènes et des tritons, se mêle à son sang ; mourir, c’est vivre une vie plus vaste et plus puissante. Il ne se fond pas, il ne dérive pas, il ne s’immerge pas, il ne s’extasie pas, ne s’abandonne pas. Son attitude vient de l’intérieur de son propre drame d’une chair livrée à l’imperceptible rongement de la ort, d’un esprit rayé par le crissant coup de diamant de l’entropie ; il vient de loin et va profond, il implore autant qu’il frappe et maudit. Ecrire, c’est se mesurer au chaos. Ecrire est un marcheur qui sort de là, déroulant sa bobine. Il sort, il sort nous dit Ossang. Il sort de là. Ecrire, filmer, c’est produire et comprendre les formes à partir d’un « nulle part », « d’un bord de vide ».
Le sentiment de la tâche originelle imprègne beaucoup de ses meilleurs poèmes : ignorance de notre origine et de notre fin, peur devant l’abîme intérieur, horreur de vivre comme à tâtons. Et la mystique est une avnture de la parole autant qu’une aventure des sens. Une aventure, contrairement à ce que l’on attend du roman (fût-il d’aventures), n’a ni commencement ni fin. Elle est pure errance, renoncement à toutes les coordonnées du savoir, c’est-à-dire : de la trame logique de la pensée, de l’infaillibilité des sensations, du caractère fini et définitif de la forme. ((c)Thierry Acot-Mirande)