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Pierre Carles | ||||||||
Entretien avec Annie Gonzalez Quel est le parcours qui vous a amenée à la production de films ? J’ai vu beaucoup de films. J’aime ça. Sinon, plus simplement, j’ai fait plusieurs cycles d’études supérieures en même temps, en y prenant beaucoup de plaisir, lettres, arts, cinéma, Beaux-arts, j’ai eu des cours passionnants et moins, Rohmer, Rouch, Noguez, Gajos, Ciment, Gette, Le Bot, Torock, tous des mecs finalement, qui développaient pratique et critique dans le même temps. Avant eux et avec eux j’ai expérimenté pas mal de choses. J’avais fait déjà pas mal de films et quelques expos locales avec des travaux en Super 8, écrit beaucoup de choses non publiées, lues en public au mieux, ou incluses dans des performances parfois. Un jour j’ai eu pas mal d’argent pour un scénario de court-métrage que j’avais écrit très vite, naïvement, avec beaucoup de ferveur et que je voulais réaliser. C’était alors le moment de trouver un producteur, je ne savais pas ce que c’était. Ça c’est fini de façon rocambolesque : il a fallu que j’aille avec des copains baraqués réclamer l’argent détourné par un producteur qui avait encaissé la subvention du CNC sans vouloir me faire le moindre chèque au moment de louer le matériel de tournage. J’ai finalement fait ce film (Teresa, 1986) quelques mois plus tard avec un autre producteur, le film a pas mal marché, il eu des prix et a bien circulé. J’en suis ressortie avec la volonté de créer mon propre outil de travail, j’ai créé Le jour/la nuit productions. Pour avoir un outil souple et fiable. Et effectivement un outil comme ça, ça intéresse des auteurs, j’ai produit plusieurs courts et moyens métrages, dont les miens, quelques documentaires, dont un film coproduit avec Arte, de Wiswanadhan, dont je suivais le travail, un artiste peintre qui a fait une très belle recherche cinématographique avec plusieurs (très longs) films sur les Eléments, j’ai produit aussi le premier long métrage de Philippe Harel, Un été sans histoire(s). Ce fut une aventure qui a permis d’aboutir un long métrage « sauvage » dans les plus belles conditions de succès et qui avait fait bouger des choses en termes de production, puisqu’avec quelques rares autres, il a permis à des films « autoproduits » de modifier les règles de l’agrément CNC. Pourriez-vous nous parler de la création de C-P Productions ? Quelle est la ligne éditoriale de la société ? A ce moment j’ai rencontré Pierre Carles qui avait un montage quasi fini de Pas vu pas pris. Il cherchait à faire exister ce film et à le sortir. Je lui ai d’abord suggéré de monter sa propre boîte vu tout ce qu’il avait déjà réussi à faire avec ce film, il a cru que c’était une façon de me défiler (je crois que pas mal de monde s’était défilé déjà). Et puis on s’est dit que ce serait pas mal de monter quelque chose pour faire exister ce film, pour continuer ce travail autonome. Avec tous ceux qui avaient participé au film on a créé C-P productions. D’autant qu’on était très encouragés par le fait d’avoir des distributeurs qui y croyaient, Cara M. J’ai donc créé une autre structure autour de ce seul film, que je voyais comme une comédie originale avec enfin un point de vue critique inédit, et j’y voyais aussi une façon de faire les choses de façon indépendante et créative. Et puis le film a bien marché, on n’a pas eu de procès, le public a vraiment montré son soutien. Il faut rappeler que non seulement les gens sont venus en salle mais qu’au préalable un grand nombre avait participé à une souscription qui a permis au film de se finir dans des bonnes conditions et d’arriver en salle de cinéma. Quelles sont les spécificités du travail avec Pierre Carles ? Être sur certaines black lists ?… mais avec plein d’idées… Quelles ont été les genèses des projets Attention danger travail et Volem ? C’est un travail atypique en termes de production, mais typique de la façon dont nous voulons avancer : une recherche de fond, rigoureuse et en même temps la volonté de préserver un espace de spontanéité, de rapport simple au réel et de proposer des choses importantes, ouvertes à la discussion sans se prendre au sérieux. Pour cela on se donne le luxe, sans les moyens du luxe, le luxe du temps, le temps de réfléchir, de travailler avec les autres. Ces deux films réunissent des enjeux collectifs mis en pratique, plusieurs réalisateurs, plusieurs monteurs, plusieurs strates de tournage et un long rapport avec le sujet. Le projet du chantier de Volem a été lancé en sachant qu’il y aurait ce temps assez long de développement et d’enquête. [Pour en savoir plus, lire l’entretien avec Annie Gonzalez et Roger Ykhlef, monteur du film] Le film est sorti 4 ans après le démarrage du « chantier », plus long que ce qu’on avait prévu mais parce qu’au cours de cette recherche les réalisateurs avaient réuni un matériau très riche qui a fait émerger un autre film. Attention danger travail, un palier dans leur enquête qu’il semblait important de rendre public si nous voulions pourvoir aller plus loin dans la réflexion sur la critique du salariat, avec le public justement. Et nous avons sorti en salle cet état de leur réflexion. Comment aborde-t-on la diffusion de telles œuvres ? Imposent-elles des moyens spécifiques de circulation ? Dans une économie de plus en plus difficile pour les films fragiles, il faut bien sûr faire une réflexion spécifique, qui ressemble aussi à ce que je fais en production, un travail minutieux de terrain, un accompagnement sur la durée. Mais ce n’est pas spécialement original, puisque tous les indépendants, ont cette même volonté de créer un vrai lien, d’aller dans les salles vers le public. Ce qui n’est pas forcément légitime, les films devraient pouvoir vivre seuls aussi. Mais une de nos seules forces face aux machines de promotion, c’est d’avoir un véritable échange avec les spectateurs, dans les salles mais aussi ailleurs, et s’il y a une complicité parfois houleuse avec les réalisateurs, réactivée souvent par d’autres contacts que ceux de la salle (mail, courriers, rencontres, projections « non commerciales », piratages divers,…), il y a quelque chose qui ressemble à un dialogue. Dont la nécessité est accrue au moment des sorties en salle, ou des DVD, puisque ce sont les seules façons de voir nos films… qui ne sont toujours pas achetés par une télévision française. Pourriez-vous nous parler d’un ou de plusieurs films qui vous tiennent particulièrement à cœur ? C’est un film où une force irremplaçable est à l’œuvre quand elle est incarnée par une voix unique, un style, un corps engagé. J’utilise le mot engagé intentionnellement car c’est celui qui est souvent apposé aux derniers films que j’ai produits, ceux de Carles, en voulant à la fois les identifier dans un champ circonscrit qui ne rendrait compte « que » de problématiques sociales et les éloigner du cinéma où l’on ne parlerait que de plans, de lumière, de profondeur de champ, de jeu et de découpage. J’aime ce qu’il y a de primitif dans le cinéma, qui engage le corps, de celui qui filme, de celui qui est filmé, de celui qui regarde, c’est cette relation que j’aime parce qu’elle est discutable, toujours charnelle, humaine et risquée. Ce sont ces films là qui me tiennent vraiment à cœur, physiquement, dans le cinéma direct et dans la fiction. Je pense alors aussi bien au corps d’Etat des lieux de Jean-François Richet dont la révolte me gagne justement parce qu’elle passe par le travail des corps violentés par le « social », qui lui n’en n’a pas de corps, qu’aux pulsations des corps apparemment étrangers de J’ai pas sommeil ou de Beau travail de Claire Denis, aux peuples de Route one de Kramer ou d’A l’ouest des rails de Wang Bing, je peux continuer une liste de films qui pour moi font ce cinéma qui me tient à cœur, où l’engagement des corps donne une expérience unique au spectateur . Car même si ces films très différents, sont prégnants, affirmés, qu’ils vous arrivent d’un bloc, pesant de la personnalité de l’auteur, ils ouvrent un espace à partager, une place où se mettre, si gênante soit elle. Ce n’est pas la fenêtre ouverte sur le monde qu’on peut regarder tranquillement depuis son fauteuil, là on se déplace avec d’autres corps, on est basculé, on a littéralement changé de position à la fin du film. Et pas parce qu’on a été manipulé par une intrigue brillante, mais parce qu’on accompagne une démarche, faite du récit des corps qui partagent le monde. | ||||||||