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« La
louange qu'on nous donne quand nous ne sommes plus au monde nous est
fort inutile, puisque nous ne nous en soucions plus ; au
contraire, quand nous y sommes, le blâme nous peut servir à l'amendement ; de
sorte que si l'on fait bien, il est très raisonnable qu'on en reçoive
le salaire durant la vie ; et si l'on fait mal, on est encore
en état de s'en corriger »
(Saint-Amant)
POPULISME URBAIN
Les
téléphones portables : triomphe de l'individualisme de masse
et privatisation des espaces collectifs.
La pénible expérience se renouvelle chaque jour. Dans les transports
en commun, alors que je bouquine, que je me laisse aller à rêvasser,
que je m'amuse à refaire le monde, je suis systématiquement bousculé
par une sonnerie de téléphone portable et par les propos consternants
qui suivent.
Pendant un temps, je n'avais pas attaché beaucoup d'importance à ce
nouveau « phénomène de société » et je retrouvais
généralement mon calme en me plaisant à diviser le monde de ces « communicants »
en deux catégories : d'un côté, les « connards »
pour désigner ceux qui semblent ignorer qu'en bétonnant l'atmosphère
avec leurs platitudes, ils inspirent des envies de meurtres à une
dizaine de personnes au moins ; de l'autre côté, les « salauds »,
pour désigner dans cette faune urbaine connectée les plus conscients
d'entre eux, qui non seulement se rendent parfaitement compte de la
gêne qu'ils occasionnent mais qui est-ce possible ?
trouvent cela assez drôle.
Puis, un matin, sur la ligne 62, aux abords de la BNF, j'ai eu un
doute. J'ai douté de la justesse de mon analyse quand il m'a paru
de plus en plus difficile d'attribuer ces comportements à un simple
glissement naturel de mes contemporains vers l'individualisme de masse ; j'ai
douté quand il m'est devenu moralement insoutenable d'attribuer cette
attitude barbare à des êtres humains dotés de la sensibilité et de
l'intelligence qui font leur réputation. Car, tout de même, pour être
systématiquement là, à côté de moi, à me pourrir le cerveau, à visiblement
tout faire pour disloquer mon esprit quand, tout à mes lectures de
la presse ou d'un roman, j'entreprends de m'informer, de me cultiver
ou d'apprendre quelques rudiments de la vie ; pour être
systématiquement là, au pire moment (leur précision est diabolique,
ça fait peur), à me nuire impunément lorsque je suis attaché à démêler
une réflexion ou à dépatouiller mes contradictions ; pour
être systématiquement là, à postillonner dans leurs appareils, alors
que, transporté par l'émotion, je nage dans la confusion d'une touchante
rêverie. Non, pour être là, avec cette effrayante ténacité, avec cette
assurance et ce mépris d'autrui, à me balancer, sans vergogne, leur
abrutissante logorrhée, il faut avoir une motivation toute particulière…
Alors quoi ? Qui sont-ils alors ? Pourquoi affliger ainsi
les rêveurs et les lecteurs solitaires ? J'ai d'abord rejeté
l'hypothèse qu'il pouvait s'agir d'Aliens venus sur Terre pour
lobotomiser mes semblables, ce n'est pas sérieux et c'est même pas
drôle. J'ai refusé de croire aussi qu'il pouvait s'agir d'hallucinations
puisque je suis, par chance, doté d'une assez bonne santé psychologique.
J'ai opté finalement, après ma petite enquête, pour l'hypothèse la
plus vraisemblable. En réalité, ces individus étranges plein d'énergie,
qui répandent dans les bus ce surprenant flot d'idioties, seraient
des « technomades » envoyés par les grandes
multinationales de la téléphonie mobile. Leur mission : crétiniser
et intégrer. Crétiniser, c'est-à-dire, empêcher les passagers
de réfléchir, de se créer un imaginaire propre ; les empêcher
surtout de développer des perspectives utopistes et, à la longue,
dissiper toute émergence de pensées rebelles, de volontés perturbatrices.
Puis intégrer, c'est-à-dire domestiquer cette population fragilisée,
neutralisée, et la contraindre, doucement mais inexorablement, à faire
l'acquisition urgente d'un mobile, devenu « indispensable ».
Il paraît même que certains de ces nouveaux adeptes de la secte de
l'homos communicans, une fois « intégrés »,
procéderaient eux-mêmes directement de façon compulsive (comme les
« technomades »), à l'entreprise de crétinisation
dans les transports en commun. Mais cela reste à vérifier…
En guise de conclusion : un téléphone portable qui sonne,
c'est votre intégrité humaine qui ramollit quelque part !
Une solution : bugger le parasite « technomade »
en lisant bruyamment dans son oreille libre quelques lignes de votre
roman ou de votre journal. Mais si vous avez d'autres solutions…
RÉHABILITATION
Fusion Le Monde des Débats - Nouvel Observateur : vers
de nouvelles occasions de se bidonner?
Au début, je croyais que la vie d'une prothèse ne pouvait inspirer
aucune sorte de curiosité. Quand j'ai appris que cette prothèse portait
le titre prétentieux de « Monde des Débats »
et qu'elle servait de béquille intellectuelle au dépliant publicitaire,
Le Nouvel Observateur, j'ai même baillé très fort et, bizarrement,
j'ai fait toute la vaisselle en retard.
Or, je sais maintenant que je suis un idiot : j'ai découvert
que les papiers de Jacques Julliard ou de Jean Daniel, qui n'avaient
évoqué pour moi pendant des années qu'une sorte de gelée visqueuse
pour électeurs PS, étaient, en réalité il faut réparer cette
injustice des textes très rigolos, des textes destinés uniquement
à nous faire rire (PLPL
l'a compris, lui).
Prenons un exemple : ce mois-ci, Le Monde des Débats
affirme en Une : « L'économie : l'horreur
est finie » et abonde dans ce sens dans ces pages intérieures.
Votre réaction, je n'en doute pas, car votre esprit est imbu de contestation,
aura été de vous affliger ou de vous demander ironiquement qui pouvait
encore trouver la force d'écrire sans rire de telles fadaises… Quel
manque d'humour ! Quelle attitude sectaire ! Vous vous attristez
alors que vous devriez vous tordre comme des baleines ! Comment
pouvez vous croire un seul instant que Le Monde des débats
puisse publier de tels âneries sans plaisanter, sans intention de
distraire simplement son lectorat ? Aussi, je vous le demande,
cessez une bonne fois pour toute de porter le discrédit sur les journaux
de la social-démocratie, reconnaissez qu'ils ont le mérite d'être
terriblement poilants et de nous faire beaucoup de bien (il suffit
de faire un petit effort…) et rions comme il se doit.
Et, prenez garde : si demain, Le Monde des Débats
annonce un échange d'actions avec Le Revenu (« l'hebdo
conseil Bourse & Finances »), ne nous affligeons pas,
mais saluons au contraire cette formidable excentricité avec les éclats
qu'elle mérite !…
J'en ris d'avance…
COLLABORATION
Le serment d'allégeance de Michel Serres à l'Ordre des cyber-neu-neu.
Comme nous sommes plusieurs à l'avoir vu, ça ne pouvait pas être un
mauvais rêve. Michel Serres, dont la crinière blanche est connue,
travaille aujourd'hui dans la publicité et se rend désormais complice
de VIVENDI. Lui, qui fut autrefois fréquentable, émet le vœu idiot,
dans un spot publicitaire pour SFR, que les français vivent bientôt
la grande aventure des réseaux. En d'autres termes, Michel Serres,
qui fut autrefois philosophe et historien des sciences, a pour mission
désormais de débusquer chez les français leurs besoins de communication
frivole et de les transformer en bonnes marges bénéficiaires pour
faire plaisir à Messier. Michel Serres, qui récemment encore paraissait
intellectuellement crédible auprès de celles et ceux qui cherchent
à mieux comprendre le monde, gagne donc aujourd'hui sa vie en travaillant
dans l'entreprise d'abêtissement collectif et de contrôle des esprits
orchestrée par les grandes multinationales de la « communication ».
Michel Serres, qui pouvait autrefois nous paraître sympathique, agite
désormais l'étendard de la cyber-démocratie et trouve donc intéressant
de forger des psychologies de cyber-moutons enthousiastes et de diffuser
l'imposture crétine d'un futur partage des savoirs comme solution
aux problèmes contemporains.
Michel Serres, c'est évident, est un individu néfaste.
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