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es
pauvres gens (qui mendient, essaient de vendre des journaux) :
on les croirait d’un autre temps. Leurs vêtements démodés,
certes, mais aussi : toute leur physionomie, comme ces portraits
de criminels qu’on montrait dans les manuels de physiognomonie, il
y a un siècle…
Je
me trouve pas beau — à distinguer de « je
ne me trouve pas beau ».
Sur
le trottoir, à la descente du bus : quelques pages
arrachées d’un bouquin de cul, dont une grande photo montant
une énergique fellation. Les gens passent, ils ne voient
rien, ne regardent même pas !
Les
deux ronds.
Cet
homme, tous orifices bouchés (lunettes aux verres épais,
walkman, cigarette au bec et casquette enfoncée sur la tête) ; il
repère quelque chose qui dépasse d’une poubelle : le
manche d’un parapluie. Il l’extirpe des ordures, l’ouvre, l’examine,
essaie de le rafistoler (les baleines sont tordues) — et c’est
très particulier, cet homme-là, qui brandit son parapluie
alors qu’il fait très beau. Enfin il renonce et le remet où
il l’a trouvé.
Le
chevalier dard mental.
Pour
les humilier, pour humilier leurs parents, on fait mine de jouer : peintures
de guerre. Ce sont de grands signes noirs qui barrent leurs joues
ou leur front ; des croix, des traits. Ensuite on les renvoie
chez eux, avant même l’heure de sortie de l’école (autre
infamie). Et les parents comprennent, ils ne protestent pas. Ils ne
savent même pas s’il doivent (peuvent ?) nettoyer le visage
de leurs enfants.
Je
suis,
tu es,
il suit,
nous sommes,
vous suivez,
ils sonnent.
Nom,
prénom : marque, modèle.
(rêve)
on se promène par la campagne. Tout est très beau, calme,
lumineux. Il y a un champ de maïs — de blé ? —
en face d’une maison que nous voulons voir de plus près. Mais
passe une voiture, une voiture américaine gris clair qui ressemble
à une 203, en plus lourd, plus massif, lente, silencieuse.
On sent que sa carrosserie est épaisse. La voiture se gare
un peu plus loin. C’est très menaçant. Nous revenons
vers la maison, lentement, comme si de rien n’était. Nous nous
mettrons à courir dès que nous serons hors de vue, sans
être certains de pouvoir leur échapper, sans être
certains qu’il y ait une issue. Rien ne bouge pourtant mais nous avons
très peur.
Le
pingre y est.
Escaliers
roulants : certains les évitent, d’autres, une fois
dessus, s’immobilisent (et parmi eux ceux qui semblent assez peu rassurés),
et il y a ceux qui continuent d’avancer…
Le
pagne est percé.
Ce
vieil homme, à la pharmacie, avec un énorme pansement
sur la joue. Il veut un antalgique. Il parle mal le français.
Il ne connaît pas le nom du produit qu’il désire alors
la pharmacienne lui montre les boîtes, les comprimés.
Après plusieurs essais, il dit « c’est ça ».
La pharmacienne explique que c’est effervescent, qu’il faut les mettre
dans l’eau. Alors lui, contrarié : « c’est pas
ça »… Alors ils recommencent.
Un
fond perdu, dix de retrouvés.
(out
of date) rien à dire à propos du WTC si ce n’est, contrairement
au cliché qui institue que la réalité dépasse
la fiction, que les images de la réalité (!), malgré
les efforts parfois pathétiques des journalistes, restent bien
plus triviales, moins « émouvantes » (à moins
de se répéter sans cesse que « là c’est
vrai ») que les images produites par la fiction.
L’hameçeur.
J’aimerais
un film (ou un livre) policier en conformité avec ma représentation
du monde : les témoins se trompent, mentent ou s’en
fichent ; la police égare des preuves, les dossiers
sont mal tenus, le juge d’instruction est harassé, surmené
et pense à sa retraite proche, le procès est une vaste
blague, l’avocat est incompétent ; le condamné
(à tort — mais ses proches, le croyant coupable se sont
détournés de lui…) se fait racketter, tabasser, violer
en prison (et pour finir en meurt) ; les gardiens sont indifférents
ou pis. Le vrai coupable continue paisiblement sa vie paisible. Les
proches de la victime et de l’innocent indûment condamné
oublient rapidement et « la vie continue », gaie, alerte.
Portable,
effet « debriefing » : après un léger
« incident » dans le bus (un jeune homme qui voulait descendre
l’a vertement priée de libérer le passage), cette femme
appelle immédiatement quelqu'un pour lui raconter l’événement.
Partir
m’emmerde. Littéralement. Diarrhée quelques minutes
avant le départ. L’idée ce serait : être
ici et, l’instant d’après, là-bas (puisqu’il faut y
aller). De fait, les « vacances » cumulent deux notions
distinctes à mon sens (outre le non-travail) :
-
être ailleurs, et que ce soit si possible un endroit agréable,
tout au moins plus agréable que l’endroit où l’on vit
habituellement ou, à défaut, un endroit différent.
-
voyager c'est-à-dire effectuer une translation géographique
d’un point à un autre. Cette translation peut être source
d’agrément ou d'intérêt mais aussi d’ennui et
d’inconfort. J’ai pour ma part su concilier ces divers aspects lors
d’un voyage de nuit en train couchette (2è classe) d’une durée
de sept heures. Inconfort, odeur de pieds, ronflement, chaleur excessive
puis froid. Rires agaçants dans le compartiment d’à-côté,
difficultés à trouver l’interrupteur, envie de pisser
avec laquelle on tente de négocier… autant d’éléments
avec lesquels je sus délicieusement composer, non par masochisme,
mais par une sorte de goût pour l’exotisme minimal. Un exotisme
local, réduit, très sobre et surtout — temporaire.
De cet enfer très modéré on sait que — très
probablement — on sortira indemne, que l’on reviendra dans
la lumière, dans le monde des vivants avec pour seul stigmate
cette moiteur grasse et un peu métallique caractéristique
des longs voyages en train et qu’une bonne douche suffit à
dissiper.
Au
soir de la première journée de travail nous avions les
mains en sang.
— C’est le métier qui rentre faisaient les vieux en rigolant.
Le
petit jeune homme bien propre, costumé, cravaté, rendait
deux livres à la bibliothèque, du genre « comment
réussir dans vos nouvelles fonctions », « comment
assumer vos nouvelles responsabilités ». Tout en lui transpirait
le sérieux — et l’angoisse.
Un
landau, poussé par l’enfant « qui devrait être dedans ».
Vu de face, on croirait que la poussette avance toute seule.
On
ne fait pas d’omelette sans casser des œufs dit-on. Parfois on aimerait.
Faut-il nécessairement renoncer à l’omelette ?
(d’un autre côté, il y a des moments où c’est
surtout casser des œufs qui nous intéresse).
Ici,
tout le monde se connaît (sauf moi).
Une
très énergique grande fatigue.
Je
ne suis pas très intelligent mais je pense être assez
doué pour donner le change.
Nous
avons la même tête mais ce qui chez eux dénote
colère, méchanceté, traduit chez moi tristesse,
lassitude.
Baudruches
increvables.
Ils
étaient sympas ces chinois dans le bus — mais cette odeur
d’ail lorsqu’ils ouvraient la bouche !
Il
y a sur les vitres des bus une flèche qui indique comment sortir
en cas d’accident. Je me sers de cette flèche (feng shui) pour
viser les passants antipathiques.
Pourquoi
cette façon de faire comme si le monde était composé
pour moitié de chèvres et pour moitié de choux
et qu’il faille à tout prix les ménager ? À
vouloir ne faire de peine à personne on finit par faire souffrir
tout le monde.
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