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u distributeur : Je retire de quoi fonctionner pendant deux semaines. Rentre alors
un homme, la quarantaine grisonnante et d'origine étrangère (il rrrroule les rrrr). Il
me demande si le distributeur fonctionne. J'acquiesce. Il retire une bonne liasse et, tout
à coup sans prévenir, me déclare qu'il vient de passer un mois aux États-Unis et qu'il
a dépensé douze mille marks. Sans me laisser le temps de répondre quelque chose de
blasé du style "normal !" ou "c'est tout ?", il sort, ou plus
exactement, il disparaît. Je suis bien content d'être passé avant lui, le distributeur
est sûrement maintenant vide et j'aurais été alors contraint de trouver un autre
distributeur de ma banque pour utiliser la carte de retrait sans puce (ca
fait technologiquement diminué) que je paye pourtant le prix d'une gold platinium
en France. Chèques et retraits payants, frais de tenue de compte : le futur de la banque
est en marche et débarquera très prochainement en France.
À la banque :
Si vous cherchez du liquide, n'importe quel
allemand normalement constitué devrait faire l'affaire : il a dans ses poches de quoi
assurer vos vieux jours.
Ainsi, l'autre fois, j'accompagne un nouveau collègue à la banque pour y changer son
traveller d'un montant colossal de cent marks. Devant nous : « Et mille qui font trente
milles ». L'homme fourre le tout dans un sac plastique Schroeder (La boucherie Sanzot
locale). Mon collègue et moi nous regardons intensément pendant dix secondes. L'homme
sort tranquillement et part à droite. Sur le trottoir, après, nous découvrons que nous
avons eu la même idée au même moment. Nous sommes sortis à gauche.
À la supérette :
J'entasse les victuailles dans mon sac
"continent" car ici on ne distribue pas de sac en plastique, c'est
anti-écologique. Il y a juste des centrales à charbon qui repeignent le voisinage en
noir et des moteurs de voitures dont la cylindrée fait mouiller la culotte de n'importe
quel pétrolier. La caissière rend la monnaie, ferme précipitamment sa caisse, le
présentoir à cigarettes et disparaît en criant : « Je reviens tout de suite. » Je
récupère ma monnaie : il manque dix marks. Je suis certain que cette mégère
boutonneuse l'a fait intentionnellement. Pourtant, j'ai été poli, dit bonjour et ai
avancé la monnaie pour qu'elle me rende un compte rond. Peut-être a-t-elle deviné que
je n'étais pas du coin et que j'ai alors été victime d'une distorsion localisée du
fluide nationaliste.
Je laisse pisser car le même jour, mon relevé de compte indique que la caution de mon
précédent appartement m'a été soudainement rendue. Comme ca faisait plus de neuf mois
que je réclamais, je suis tout à coup tout guilleret et oublie l'aigrie du supermarché.
En ville :
Les mots qui reviennent le plus souvent
dans la rue, au restaurant, au café sont : actions et millions. Si c'est exprimé
en dollars, c'est encore mieux. Car la ville est envahie par les banques et n'est pas
assez grande pour accueillir d'autres activités. La bio-diversité de ses habitants s'est
donc réduite au profit d'une unique espèce dominante (lire : aux poches les plus
remplies) : les banquiers. Non seulement ils parlent tous de la même chose mais en plus
ils sont tous habillés pareil. C'est sinistre. Partout les mêmes costumes (anthracite),
partout les mêmes coutumes (restaurants, studio de bronzage, vacances en France).
- « Salut Tom, combien tu gagnes ? »
- « Ah non, moi c'est Tim »
- « Ben t'as la même tache de sauce que Tom ».
On peut très bien être connard et en costard. Je ne connais pas de ville en France qui
soit aussi "typée". Milan ou Zurich sont-elles aussi mono-habitées ?
Quant à Gerhard, ça m'étonnerait qu'il passe
l'hiver. (1)
(1) Merci à un célèbre humoriste français P.D. |