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e ne sais pas où vous êtes partis en vacances cet
été, mais je sais où la jeunesse allemande s'est, elle, toute entière translatée à
coup de charters : les Baléares. En effet, Ibiza et surtout Mallorca sont les
destinations favorites de la moitié de l'Allemagne, la deuxième moitié, quant à elle,
attendant que la première ait vidé les lieux pour envahir ce petit coin d'Espagne. Les
télés et les journaux vous le répètent à l'envie : si vous n'êtes pas allés aux
Baléares cet été, vous êtes le plus parfait des blaireaux. L'Allemagne au-dessus de tout.
Mais que trouve-t-on là-bas ? Des
hôtels-clubs allemands, des bars et boîtes de nuits allemands, des restaurants
allemands, paiement en marks souhaité. Le dépaysement quoi. C'est pourtant si simple à
comprendre. En Allemagne, l'été n'est qu'un nom entre le printemps et l'automne. Il y
fait trop mauvais, je vous le confirme, et les endroits où aller à la plage sont
pratiquement inexistants. Je parle bien sûr d'endroits où l'on se baigne en maillot de
bain, pas en doudoune. Alors un dix-septième Länder a été annexé et sert de vécés
à une horde de touristes moustachus imbibés de bière. Car l'allemand ne se mélange pas
aux autres sous-hommes européens. Il aime son petit confort et souhaite se retrouver
comme à la maison, sauf qu'ici il peut vomir ou uriner dans la rue et ne doit pas non
plus rapporter les bouteilles de bières consignées.
Le programme type des vacances : une semaine dans un hôtel-club « tout compris ». Le
but : passer la semaine à boire de l'alcool en dormant le moins possible, brancher le
maximum de filles pour les garçons, le maximum de garçons pour les filles.
Ce sont de grands adolescents.
C'est à boire qu'il nous faut.
Nous rencontrons sur la plage un garçon,
que nous appellerons Klaus. Il est onze heures du matin. Ca fait trois heures qu'il est
là car il n'a pas dormi et est venu directement ici en sortant de la boîte de nuit.
Klaus a déjà ingurgité près de trois litres d'alcool depuis qu'il a foulé le sable
chaud de ses pieds suants. L'équipe de télévision lui fait passer le test de
l'alcoolique : je lève une jambe, le coude opposé en appui sur le genoux, petit doigt en
l'air, le pouce sur le front, je descends sur l'autre jambe sans me casser la figure. Test
réussi pour Klaus. L'équipe de télévision, visiblement impressionnée, lui demande
alors son programme pour la journée. Il nous dit qu'il va re-commander un verre puis
dormir un peu sur la plage avant de retourner à la kérosène party de ce soir au
Warmduscher Klub. Quel héros ce Klaus !
Plus tard dans la nuit, un touriste rougeaud déambule sur le front de mer, slalomant
entre d'invisibles obstacles. L'équipe de télévision l'arrête. Il s'appelle Dirk et
n'est pas allemand car il répond en anglais aux questions qui lui sont posées. Son
visage congestionné ne nous permet pas de déterminer sa nationalité, alors nous
supposerons qu'il est anglais. Même test de l'alcoolique, mais Dirk ne peut même pas
lever la jambe sans effectuer un Immelmann. Ses gyroscopes de stabilisation sont noyés. A
l'équipe de télévision qui lui demande son programme pour la fin de la soirée il
répond « Je vais me coucher ». Dirk, tu es un nul. Ton nom rime avec « jerk ».
D'ailleurs la télévision le confirme en sous-titrant l'intervention d'un bandeau «
Dirk, touriste buveur ».
Alors Simone, ça boume ?
C'est la nuit, direction les boîtes du
même nom. Si la somme était en pesetas, l'entrée serait donnée, mais là c'est en
marks. À l'intérieur, nous retrouvons les habituels mousse-parties, gogo-dancers,
spectacles de strip-tease et travestis. La majorité de ces « artistes » sont allemands.
Les tenanciers aussi, ce qui apparaît plus surprenant de la part des espagnols. Il doit y
avoir une « taxe foncière ». Une fille - allemande - à la sortie d'un des ces
établissements : « Super l'ambiance. Mais alors les mecs ! ». Et d'agiter la main, le
pouce tourné vers le bas. Ben alors, on ne leur a pas appris la galanterie à tes
compatriotes ? Ou bien est-ce cela qui se vomit en premier quand le réservoir à alcool
est rempli ?
Nouvelle aube.
La nuit est finie, le soleil brille. Une
piste de danse en plein air. C'est une boîte de jour. Des automates dansent les yeux
fermés pour éviter l'agression lumineuse. La musique est beaucoup moins forte que la
nuit et l'ambiance est tout simplement inexistante. Qu'importe, ces athlètes ne sont pas
là pour s'amuser mais pour battre des records. Question : « Depuis combien de temps
n'as-tu pas dormi ? ». Les réponses sont variables et oscillent pour la plupart entre
vingt-quatre et soixante-douze heures. Le but sous-jacent est de tenir toute la semaine
éveillé. Certains y parviendront mais de substances illicites il ne sera jamais
question.
J'peux pas, j'ai la migraine !
Nous suivons maintenant Anna et Sylvia,
deux allemandes qui sont venus à Mallorca pour « s'éclater » (le terme le plus
prononcé ici) et surtout trouver l'âme sur. Si nous considérons le panel de
princes charmants à disposition - teint cadavérique ou mélanomisé, yeux vitreux ou
injectés, nez crevassé ou foie qui ferait vomir une vache anglaise prionisée - la
mission promet d'être impossible. Mais on sent les deux filles motivées.
Malheureusement, elles sont affreusement laides. Anna est affligée d'une légère
surcharge pondérale et son maillot de bain doit faire pâlir d'envie Carlos ; quant à
Sylvia, si sa silhouette est passable - les caméras s'attardent longuement sur sa croupe
- elle est affublée d'un profil cyranesque. Un véritablement « challenge » nous est
donc proposé là, surtout qu'elles ont commis d'entrée une grossière erreur de
débutantes : elles habitent dans une chambre double, sûrement pour ne pas payer le
supplément « single ». Elles sont donc condamnées à trouver chacune leur prince
charmant en même temps car aucune d'elle n'a l'air d'être celle qui attend dehors que
l'autre ait fini de copuler.
Nous les retrouvons à la plage, s'enduisant mutuellement de crème « qui fait passer un
obèse pour un éthiopien » et commentant les diverses excroissances sous le maillot de
bain des messieurs. Mais personne ne vient s'asseoir à côté d'elles : il fait
décidément trop jour.
Qu'à cela ne tienne, il reste la nuit. Les préparatifs sont ordonnés et minutieux :
enfilage de « strings » et de soutien-gorges « mega-bra », replâtrage du visage avec
divers produits, dont certainement de la choucroute époxy pour carrosserie de voiture,
engluage des cheveux à l'aide de bombes aérosol style « amoco cadiz », inondation du
corps à l'aide de parfum bon marché déversé sans parcimonie. Elles sont fin prêtes
pour attirer dans leurs filets toute personne de sexe masculin passant à moins de deux
miles d'elles, escargots compris.
En boîte de nuit, surprise, les événements prennent une tournure inattendue. On les a
laissé entrer et Sylvia est au bar en compagnie d'un éphèbe aux veines dilatées qui
lui éructe dans l'oreille tout en lui massant l'arrière-train. Elle rit des bons mots de
son hypothétique futur étalon. Elle doit aussi avoir l'oreille de Super Jaimie car la
musique est vraiment forte. Mais comme dans les séries américaines, c'est au moment où
la vie apparaît paisible et enchanteresse que le drame se produit : elles décident
d'aller danser, avec leur sac à main. La caméra les suit sur la piste, mais plus
personne ne s'approche d'elles. On ne remarque que ces vilains sacs sur leur mini-jupe.
Elles ressemblent à des aliens fraîchement débarqués d'une planète lointaine.
Dehors, une heure du matin, débriefing face à la caméra et à son projecteur blafard
qui maximise leurs rides et leur teint cadavérique.
Question : « N'êtes-vous pas sorties un peu trop tôt ? Il reste du monde à
l'intérieur et peut-être des opportunités ? ».
- Anna : « Oui, mais après une heure du matin, les garçons sont bourrés et font
n'importe quoi ! ».
- Sylvia : « Nous ne sommes pas prêtes à accepter n'importe qui ! ».
Bref ces deux parfaites connasses tiennent à leur standing et s'imaginent trouver ici la
crème de la race humaine. Aussi facile que de sentir le parfum d'une rose au milieu d'un
champ de cadavres en putréfaction. Mais elles promettent de revenir l'année prochaine.
C'est ça, revenez, vous nous faites beaucoup rire.
À la découverte des îles.
Il serait faux de croire que les vacances
aux Baléares se réduisent à « boisson à foison ». On peut y faire beaucoup d'autres
choses comme :
- des randonnées à motos, immatriculées en Allemagne, par quarante degrés à l'ombre,
histoire de manger de la poussière et de se mutiler les membres sur les rochers pointus,
- tourner des vidéos érotiques ou des films pornographiques en plein air ou dans des
villas hollywoodiennes, la production allemande se déplaçant en masse au soleil l'été,
expliquant du même coup la sensible diminution de la surface de maillot de bain et
l'augmentation du volume de silicone au mètre carré pendant cette période. À noter que
le recrutement des nouveaux « acteurs » se fait en partie directement sur les plages de
l'île.
- des jeux stupides animés par des animateurs décérébrés dans les hôtels-clubs du
bord de plage, dont le but est de faire boire les garçons et de déshabiller les filles,
- rencontrer l'inévitable précurseur allemand, qui était là avant tout le monde, qui a
connu le période « avant » et qui se plaint que le tourisme de masse a tout changé.
Bref les bronzés allemands sont en vacances,
l'instinct grégaire en plus. Ces braves gens savent-ils qu'ils se baignent le matin dans
ce qu'ils ont pissé ou vomit la nuit ?
Hôtel du nord.
Cette fresque, confondante de débilité,
ne serait pas complète sans décrire la frange d'irréductibles qui, combattant
l'instinct impérialiste de leurs compatriotes, décide contre vents et marées de prendre
ses vacances en Allemagne du nord, à Sylt précisément.
Sylt, station balnéaire où il fait beau une fois un jour par an, pas forcément en été
d'ailleurs, et encore, quand le Gulf Stream a décidé de s'arrêter boire un coup chez El
Niño, est le paradis du troisième âge, une mine d'iode pour les maladifs de tout poil.
En France, on dirait : un service de gérontologie.
Nous suivons maintenant trois secrétaires venues du sud de l'Allemagne en voiture. Elles
sont jeunes et alertes, ont lu le dernier numéro de Cosmopolitan (comment passer
l'épreuve du maillot de bain, comment arriver déjà bronzée à la plage, que faire s'il
vous vomit dans la bouche) ; leurs cheveux sont fraîchement peinturlurés.
Dans un premier temps, elles sont refroidies par le prix du pont-péage qui relie le
continent à la péninsule de Sylt. « On croyait que c'était pour la voiture complète,
mais c'est par personne », s'exclame certainement la plus fauchée des trois. C'est sûr,
ça va grever leur budget barbituriques.
Dans un deuxième temps, elles finissent d'être congelées en arrivant sur place : il
fait froid. Il faut monter la tente sous la pluie car, évidemment, elles n'ont pas
réservé de chambres d'hôtel : trop onéreux et occupé par cette frange du troisième
âge à la retraite bien garnie qui hante la région. Sur la plage, ambiance doudoune et
feu de camp. Le problème de l'épreuve du maillot de bain est définitivement réglé.
Le soir, elles se préparent dans les douches du camping pour l'inévitable soirée en
boîte de nuit. Pour les détails des préparatifs, se référer au paragraphe « migraine
».
Dans la boîte, l'ambiance est parait-il inversement proportionnelle à la température
extérieure. Effectivement, la bière coule à flot, les gogo-dancers gogo-dansent, les
garçons éructent à l'oreille des filles. Tout ceci a un petit air de déjà vu. Elles
rentrent bredouilles. D'ailleurs, où auraient-elles mis cette conquête d'un soir,
serrées qu'elles sont dans leur tente humide ?
Parfois la vie est vraiment trop dure.
À l'est, ça gesticule dans les chaumières.
Tous ces jeunes gens socialement corrects
n'ont pas connu les délices des vacances « à la DDR » (en français dans le texte) de
leurs jeunes aînés. Des convois de Trabant en route pour les plages de la Baltique où
les attendent galets et petites cabanes de plage numérotées. Le soir, au camping, toutes
les Trabants sont garées côte-à-côte, dans un alignement à faire pâlir de jalousie
un général multi-étoilé. Leur galerie de toit se déplie, laissant se déployer une
tente pour deux personnes. Il ne reste plus qu'à placer la petite échelle et le tour est
joué.
Le nuit se passe dans la joie et la bonne humeur, bercée par le couinement des
amortisseurs. Les voitures modernes n'ont vraiment plus aucun charme. |