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ous avons d’excellentes raisons
pour détester l’Angleterre et les anglais. Non pas pour leurs stupides réflexes
nationalistes, attisés périodiquement par la « presse du caniveau » ;
rien d’étonnant : la bêtise est une affaire rentable et, quand il
s’agit de flatter l’imbécile dans le sens du poil, Paris n’est pas en
retard sur Londres ! les préjugés —ces vieilles bêtes immondes— ont
la vie dure !
Remarquons cependant qu’entre snob et slob
(salaud), il n’y a qu’une lettre de différence ! l’anglais demeure
après tout un peuple sûr de lui et dominateur, vieux réflexe colonial sans doute !
Même si le sous-développement mental et intellectuel infecte aussi —comme en
France— les prétendues élites de la perfide Albion !
Bref, God save the Queen, hymne que nous préférons cependant dans sa version
définitive, celle des Sex Pistols 77, " God save the queen, she’s no
human being " !
Nous avons d’excellentes raisons de haïr
l’Angleterre —mais aussi de l’aimer. Le vieux Marx, après tout, a pu
trouver au British Museum les outils d’un travail de sape qui donne encore des
cauchemars aux bien-pensants de tout poil —même et surtout s’ils sont
médiatiques.
Seul quelqu’un qui vient de l’Ulster peut dire autant de
mal des anglais ; ce que fait Nick Cohn dans son équipée sauvage au Royaume-Uni (1) : du mal pour le bien ou —c’est
comme on le veut— du bien pour le mal.
L’Angleterre que nous haïssons, c’est un pays
sinistrement conformiste, confit dans le souvenir de ses gloires défuntes, ou englué
dans un présent sordide ! Cela, un écrivain aussi estimable que George Orwell
l’avait déjà vu ; Orwell nous présente un tableau au vitriol de
l’Angleterre industrielle des années de crise, où la seule conclusion sera, avec la
guerre, « du sang, de la sueur et des larmes » !
Nick Cohn prend le relais pour dénoncer l’imposture des
loyaux sujets de la Couronne, ces nostalgiques de l’époque de Lord Kitchener et de
ses valets en habit rouge ! Ainsi, affirme un petit bourge fana de cet « art de
vivre » (ou de mourir ?) si typiquement british : « Un anglais
ne prétend jamais être le meilleur. Il suffit qu’il le sache. »
Une telle dose de bonne conscience —connerie blindée à l’épreuve des
balles— a quand même quelque chose de très réjouissant !
La vieille Angleterre, nous dit Nick Cohn, est morte, bien
fait ! Nous n’avons pas besoin d’un pays soi-disant élu par
« Dieu », d’une nation fossilisée dans ses traditions stupides, aussi
attirante « qu’une jatte de porridge froid ».
Reste l’autre Angleterre, celle des exclus, où l’on
retrouve ce qu’a oublié l’Angleterre moribonde des Windsor, Thatcher et autres
Tony Blair : « La passion, l’énergie, l’humour, la
rage. »
Autant de valeurs dans lesquelles nous pouvons nous reconnaître, histoire de résister au
néo-capitalisme et à sa culture globale —celle de la mort programmée !
Nick Cohn nous décrit une autre Angleterre, une Angleterre forte de millions de
personnes, une Angleterre des « sans » : « Sans travail, sans
abri, sans espoir. »
Mais pas aussi repoussante que l’Angleterre officielle et sa rigidité cadavérique.
– Yes we have no.
Il existerait donc en Angleterre une sorte de république indépendante, composée de qui
au fait ? d’après un jamaïcain interviewé, de « tous ceux qui
n’appartiennent pas à l’Anglo-club », c’est-à-dire à
l’establishment, à l’upper-class et à ses domestiques de la middle-class,
dans ses versions moyennes et inférieures.
L’autre Angleterre est celle de l’underclass, des outsiders, des
exclus en quelque sorte ? Non, celle des initiés, répond le jamaïcain. Ceux qui
n’ont rien mais qui survivent ; et savent parfois mépriser ceux-là même qui,
dans leur regard, celui des riches, les écrasent de leur mépris ! et de leur
fric !
Ces « initiés » inventent leur vies à
l’intérieur de Babylone, en espérant peut-être que, tôt ou tard, Babylone sera la
proie des flammes !
L’autre Angleterre ne vit pas nécessairement au paradis, même si elle a compris que
la vie ne doit pas être une « vallée de larmes » ! L’autre
Angleterre n’a pas pris la bonne porte, celle de droite ; mais plutôt
l’autre, la mauvaise porte, celle qui donne directement sur l’enfer,
l’ennui et la violence.
Ainsi, à propos de Bristol : « Ici, la léthargie a un goût aigre et
crasse. Rien à faire et nulle part où aller. Les jeunes qui traînent ont tous la mine
malade et fatiguée, épuisée par le désœuvrement. » L’autre Angleterre
est dure, l’autre Angleterre est violente, c’est ce qui lui permet de résister.
Il règne dans ses rues une odeur d’ordure et de « rage étouffée ».
Mais, l’autre Angleterre est vivante et c’est peut-être là l’essentiel.
Les rêves de l’autre Angleterre valent mieux que les rêves rances des classes
moyennes, leurs vies étriquées, leur culte morbide de l’Argent et de la réussite
sociale ! tu parles d’une réussite ! tu as voulu un bon job et c’est
le job qui t’a eu !
Et puis, en fin de compte, l’autre Angleterre nous invite à
penser qu’il y a aussi une autre France !
On y reviendra…
(1) Nick
Cohn : Anarchie au Royaume-Uni, Éditions de l’Olivier, 2000. |
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