e Roman nous ennuie. Enfin, un certain type de roman. En
particulier, l'écriture romanesque traditionnelle qui reproduit en toute bonne conscience
les codes hérités du XIXè siècle.
Reste qu'il y a autre chose. Des romans qui fonctionnent encore avec effet direct sur le
plexus solaire. C'est dur, brutal, mais c'est bon et c'est le cas de « KING
roman de rue » (Anonyme). (1)
Dans King, le narrateur un chien nous entraîne dans la banlieue
improbable d'une mégapole tout aussi improbable. On se retrouve en plein no
man's land. Pas exactement dans la rue de la prospérité, là-haut, sur les collines. Là
où la néo-bourgeoisie, les nouveaux riches planquent leur charme si peu discret.
Retranchés dans leur paranoïa froide, protégés par des herses, clôtures
électrifiées et autres mouchards électroniques.
Non, on est tout en bas, en pleine zone suburbaine. Dans ces zones où personne ne va et
où la Cité ce qu'il en reste recrache ses détritus, ses déchets
non-recyclables. Y compris les déchets humains, les mutants du XXXIè s., les pauvres.
Enfin, les plus pauvres. À ceux-là, il reste de vagues décharges parsemées de
carcasses rouillées, de frigos pourris, de télés éclatées, de broussailles, de
mauvaise herbe. À ceux-là, il reste les terrains vagues à côté de la M(2) 2000, dernier cercle avant l'Enfer
où les pauvres essaient de survivre en s'arnaquant les uns les autres dans des
cahutes de tôle, de carton et de plastique récupéré. Dans cette zone où les humains
disputent l'espace aux rats, on meurt aussi, parfois. Mais quand un pauvre bougre meurt,
brûlé vif par des jeunes cons, c'est aussi parce qu'il était imperméable à la
religion des yuppies. Parce que « son hérésie était de ne pas avoir
d'argent ».
« Tire-toi de là, sale chien ». C'est le discours du riche aux plus pauvres
en cette fin de siècle. Fin de l'alibi humanitaire ! Haine de proximité, si l'on
veut. Ou plutôt, haine issue du refus de proximité : pas question de se
côtoyer, à chacun son monde !
Aux pauvres, les riches laissent au moins quelque chose en toute
propriété : le désespoir. Ainsi, nous dit l'auteur de King, le
désespoir s'accroît avec la saison humide.
« Ici, le désespoir premier naît dès le moment où on n'arrive plus à imaginer
qu'une chose puisse être à nouveau sèche. Le premier désespoir c'est l'humidité.
Humidité + Froid = Désespoir
Désespoir + Faim = Dieu inexistant à jamais
Dieu inexistant à jamais + Alcool = Je suis foutu »
Ici le désespoir est une équation à inconnues multiples !
Pourtant, dans le no man's land désolé décrit dans King, les pauvres ne sont pas
des bons pauvres c'est-à-dire des pauvres résignés. Ils survivent, aiment,
crient, se battent, se prennent des châtaignes (Chienne de vie !). parfois, ils en
reprennent ou en bouffent.
Il faut savoir accommoder les marrons. Alors, on ne résiste pas à l'envie de citer la
recette :
« Avant de les griller, il faut couper les marrons, sans quoi ils explosent. Une
entaille au couteau, dans le sens de la hauteur, de haut en bas. Comme ça, sous l'effet
de la chaleur, et grâce à cette fente, leur écorce s'ouvre comme un manteau qu'on
déboutonne. Et leur chair brûlante s'exhibe, un peu poudreuse par endroits, ridée à
d'autres, toute suppliante d'être dégustée. »
Il y a de la chaleur dans King. On en redemanderait presque. Même si ça brûle,
comme une châtaigne trop chaude
Et puis, il y a une autre raison d'aimer King ; c'est un chien qui parle. Pas un
chien bien dressé, un chien de riches, aussi idiot que ses maîtres ! Yorkshire ou
Rottweiller ! Non, un sale clebs, un chien de pauvre. Pas beau, abîmé. Mais vivant
et ne portant ni laisse, ni muselière. Bref, pas « un chien au service des
cochons », qui se « vend pour un salaire de chien ». Mais un chien qui
sait mordre, satisfaire les chiennes et porter sur le monde des humains un regard qui en
vaut d'autres
(1)
Aux Éditions de l'Olivier, 1999.
(2) Motorway ?