Si vous lisez ce blog normalement vous ne savez pas qui est Joss Stone. Je la connaissais pas non plus quand R. m’a proposé d’aller la voir au Trianon. Je pensais que ce serait un bon entrainement avant la rentrée du Non_Jazz. On était invités par C., un producteur de schlagers qui arrondit ses fins de mois en jouant du clavier sur sa tournée. C. est dans le show business, il a un studio dans un moulin à quelques kilomètres de Munich où il fabrique des chansons à la chaîne. On lui a rendu visite cet été, c’est un gars très marrant bien qu’il travaille pour le diable.
A 20h on étaient deux à repousser les vibes dans une salle remplie de fans de Barbie Ashram. Les vocalises se cassaient les dents sur mes boules Quies, j’avais tout le temps d’apprécier la navrance des paroles, une exploration complète du pathos féminin : chercher un prince et se faire larguer. Je pouvais voir les cascades d’émotion rouler sur les ados du premier rang, se répandre sur mes voisines et essayer de s’infiltrer à travers mes mousses protectrices.
La pression est montée d’un coup quand Joss Stone nous a demandé sur un ton badin si on étaient bien avec elle ? Là les gens ont commencé à vraiment se déchainer et à hurler des “yes” délirants mais c’était pas assez fort pour Joss Stone qui a répété la question et à chaque fois la réponse était plus aigüe. J’avais les mains moites et la tête tendue comme un bouclier en fonte, je pensais à Jendrek Zagorski, et je n’étais même pas sure que R. passait un mauvais moment. Après ça la foule est devenue tellement compacte que j’arrivais même plus à imaginer me barrer.
C’était l’heure de la chanson triste, comme si cette mascarade n’était pas déjà une longue métaphore sur l’amour impossible et pas réciproque. Imaginez la souffrance d’une fille de 25 ans qui passe sa vie à boire du coca light dans des bus de luxe, et qui doit dire je vous aime à des centaines de types hideux tous les soirs. Pitié quelle violence, je sais pas, comme si Céline Dion avait avalé Whitney Houston ou quelque chose comme ça, et entre deux gorgées de soft drink des improvisations sur l’âme, “on est tous un”, et des remerciements chuchotés à 120 décibels. Après c’est vrai que j’ai jamais kiffé la puissance vocale, et j’ai un problème avec le lyrisme, la seule chanteuse blonde de soul que je respecte est noire et morte. Ce concert m’a mise au clair avec cette question. Cette fille est un composite de tellement de trucs connus qu’elle glisse comme une tranche de jambon sur un pot de crème Nivea. C’est difficile à expliquer parce que pris séparément elle a tous les attributs de la bonnasse, mis bout à bout ça donne une absence totale d’humanité.
On a tenu jusqu’à la dernière la chanson intitulée ”Leave me alone”, ça s’adresse à un amant pas cool, les fans se sont tout de suite sentis visés et ils n’étaient pas d’accord. Ils ne voulaient plus lui laisser finir son boulot alors qu’elle les suppliait de la laisser alone, et moi aussi, mais ils disaient non non non, ça a duré dix minutes, après ça a encore été les rappels, et puis la lumière s’est enfin rallumée et les mecs de la sécurité ont dispersé tout le monde sauf nous car l’épreuve n’était pas encore finie.
C. est venu nous chercher à la sortie pour nous emmener dans les backstages. Je devais faire une gueule pas possible, en même temps je savais ce qui allait arriver. Les musicos chillaient sur un canapé en réclamant du Ice Tea à leur manager. Joss Stone roulait un joint sur une table avec les deux grosses choristes. Elle a levé les yeux pour nous demander comment on avait trouvé le show, j’ai même pas eu l’impression de me forcer en répondant “great”, et elle est retournée à son roulage. Le plus glauque c’est qu’elle avait l’air moins fausse que moi dans son vieux gilet beige, et puis c’est le genre de lâcheté que je suis contente de pouvoir partager avec vous.
je cherchais une chanson d’amour old school et non embarrassante, il y a ce clip qui circule depuis quelques jours sur facebook. La fille s’appelle Bonnie Banane, elle est française, son flegme est assez bandant. Le morceau est sorti la semaine dernière sur Weird Data, il aurait dû être fait il y a 18 ans, c’est ça le progrès.