Ils m’ont oublié. J’ai acheté le calendrier des pompiers à un jeune costaud en uniforme qui est passé par là un dimanche soir, j’ai eu mon compte de caserne et de rouge rutilant et en retournant le reçu je participe à une tombola, je vais peut être gagner un voyage pour un pays lointain, je ne sais plus trop lequel mais ma douce a dit qu’elle irait bien.
Mais, je n’ai pas eu ma dose annuelle de chatons en panier sur fond floral, je choisis ça ou alors les chiots aux yeux mouillés et aux oreilles tombantes. Mais, ils m’ont oublié.
Ils sont passés chez la voisine impotente, elle m’a dit vous auriez dû me prévenir, Monsieur Machin m’avait demandé de lui en prendre un. Je n’y avais pas songé, je vis dans un monde où on peut réserver son calendrier des postes chez sa voisine, j’espère que ça continuera comme ça en 2009, parce qu’elle est âgée tout de même la voisine. Elle et Monsieur Machin ont opté pour les paysages, il avait bien précisé Monsieur Machin, « un paysage ».
Ils l’ont trouvé, la voisine, pour lui vendre les calendriers. En revanche, pas pour lui livrer son colis, « adresse incomplète » qu’ils ont dit, c’est moi qui l’avait indiquée l’adresse, la même que la mienne, le palier d’en-face. Elle m’avait dit, tiens commandez-moi un livre sur internet, le dernier de Kersauzon pour mon gendre, pour son noël. Il est jamais arrivé donc le Kersauzon, à bon port chez la voisine nenni, je suis allé en ville acheter ça dans une librairie où personne ne me connait, pour pas ruiner ma réputation d’intellectuel exigeant, non plus. De toute façon, chez Alain, Francis ou Loïc, ils devaient pas l’avoir le Kersau. Incidemment, vous voyez que je prénomme les libraires, hein, et même je devise avec eux, accoudé au comptoir, hein, ça me console qu’à moitié de quand les disquaires me parlaient pas et rigolaient avec leurs potes au comptoir en m’ignorant, je vous en ai parlé je crois. Je suis bien vengé parce que les disquaires meurent les uns après les autres, comme l’avant-dernier, celui qui s’appelait comme moi et qui a été remplacé par une boutique de fringues gothiques.
Le dernier disquaire sur terre, je le connais lui, on s’appelle par nos prénoms et je discute au comptoir avec lui mais pas souvent, parce que j’achète tous mes disques sur internet, comme tout le monde, enfin non, tout le monde a cessé d’acheter des disques sur internet ou ailleurs.
[En aparté, vous dire comme j’ai été content de voir que je n’avais ni acheté ni même téléchargé aucun des 50 disques de la sélection 2008 des Inrocks, c’est un aboutissement, un effort de toute une vie, j’en étais pas peu fier]
Et La Poste dans tout ça, vous me dites, parle-nous de La Poste, ne t’égare pas vers des considérations musicales, ce qui nous intéresse c’est La Poste, de toute façon on n’a jamais acheté un disque dont tu parles, pas même essayé de l’écouter, on sait bien que tu n’aimes que des vieilleries, la Poste, La Poste !
J’y reviens, mais il y a aussi un peu de disque dans mon histoire, hein, ne m’en voulez pas, c’est l’histoire d’un disque qui a fait un très long voyage, parti de Roseville, Californie, charmante bourgade toute entière dévolue au commerce et aux services; donc le 4 octobre 2008, Robert Roden se présente au guichet de La Poste locale qui est désormais partout un service commercial, comme chacun sait, et y dépose un colis carré, de ceux qui n’entrent pas dans les boîtes aux lettres pas normalisées, Robert a collé un collant « Fragile, HANDLE WITH CARE » et une étiquette verte de la douane « 1 used record, value $10 » et hop! il t’envoie ça par avion de Roseville, Californie, le Robert, vers une grande ville européenne où j’habite sur le palier, en face de la voisine, et le colis arrive, hein, merveille de la société post-industrielle mondialisée, c’est pas au Moyen-âge qu’on aurait vu ça, là à l’autre bout du monde, dans le bureau de poste bondé, avec les trois files et le siège pour les vieilles dames qui ont mal aux jambes et que l’attente fatigue. Il arrive, donc, le 13 décembre 2008.
Je prends le calendrier des postes de l’année dernière, ah tiens, j’avais pris des chiots l’année dernière, un almanach bordé de chiots, une portée attendrissante devant, une derrière, et je compte 70 jours, mais je me trompe sûrement, j’ai la flemme de recompter, disons 70 jours d’avion pour traverser l’Atlantique, c’est quoi comme avion, putain !?
Et alors, j’écrirais un roman
j’imagine un gars, un vaillant petit gars de la poste de Roseville, Californie, je l’imagine un peu à la Sancho , un Sancho du Pony Express qui fonce vers la mer sur sa mule, il est courageux il est rusé, il se cache des apaches, à l’affut des gars du Pony Express, les apaches, au bord de la mer il embarque sur une fière goélette, il va braver les mers et les éléments déchainés, mon carton à disque sous le bras, il a peur de rien c’est un pionnier des services postaux, il se souvient de Mermoz, de tous les petits gars qui ont bravé la cordillère, il est prêt à tout pour l’usager, il vomit même pas dans la tempête et il finit par débarquer à Bordeaux, disons, il s’engouffre dans la malle-poste ou alors il enfourche un âne et cravache vers chez moi, il tue plusieurs bêtes sous lui, en cravachant comme ça, faut ce qui faut, il a lu tout Alexandre Dumas, quand on transporte un pli important faut pas épargner le cheptel. Et il arrive à la poste de vers chez moi et il dit bonjour à la dame, « bonjour, c’est moi, j’ai un colis carré pour ec, j’ai bravé les apaches et les éléments, j’ai tué des bardots d’épuisement, allez salut, à la revoyure! » et il va s’en jeter un au bistrot du coin et pis il prend la navette pour l’aéroport qui passe au coin et pis un avion, y’a des directs pour la Californie et le soir il est au bureau et il ramasse sa médaille commémorative et pis il va s’en jeter un à la cantina du coin avec ses potes de l’united states postal services et s’endort dans ses draps plus tard, avec au cœur le sentiment du devoir accompli et une médaille de plus dans sa vitrine à médailles, dors Sancho, tu as bien mérité de l’united states postal services, demain est un autre jour.
Vous me direz, c’était quoi le disque hein, c’est pas supposé parler un minimum de r*ck ici ? hein, ben c’était celui-là mais pas avec la pochette en fer, une autre édition, cartonnée avec de la peinture dessus, le n°83 sur un tirage de 200, un disque épatant vraiment, je vous dis que ça, et je suis rudement content qu’il soit arrivé finalement et Robert a été content pour moi aussi, il a dit 10 minutes plus tard, quand je l’ai prévenu de la bonne arrivée, à travers le système des messages sur Eb*y.