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« Depuis vingt ans, les États européens ont fait le mauvais choix. Ils n’ont guère augmenté leurs dépenses régaliennes — police, justice, armée, dépenses administratives —[...] En revanche, l’État social (santé, retraites, allocations familiale, chômage, aide au logement, RMI) ne cesse de progresser. »
Arnaud Leparmentier, Le Monde, 14 juin 2002

« Attention la Grève ! » menace en Une la Voix du Nord du 11.05.2003. « Les perturbations s’annoncent importantes » s’égosille en écho David Pujadas sur France 2. « Mardi noir » vocifère Europe 1. Le ton est donné. Le Parti de la presse et de l’argent (PPA), rebaptisé pour un temps Parti de la peur et de l’argent, tremble en cette veille de grève générale contre le plan Raffarin-Fillon-Soubie (1).

Cela fait des années que le patronat et le PPA martèlent sur toutes les ondes et les colonnes (puisque, après tout, ils possèdent la presse…) que la réforme des retraites est NÉCESSAIRE. Le Nouvel Observateur avait menacé : « Lionel Jospin aura-t-il le courage de créer ces fonds [de pension], en bousculant une partie de sa majorité qui en a fait une question théologique ? [ …] Il aurait fallu les créer il y a longtemps pour qu’ils consolident véritablement la retraite des Français. Notre pays a loupé le coche. » (14.10.1999). Le Parisien avait titré « Retraites : pourquoi la réforme est incontournable » et tancé le gouvernement pour sa pusillanimité : « Dommage que, faute de courage politique, la France, contrairement à ses principaux voisins, n’ait pas profité des dernières années de forte croissance pour amorcer l’évolution du financement de nos régimes de retraite qui apparaît désormais comme inéluctable. » (19.05.2001). Ce chantier de la démolition sociale que Jospin n’avait pu achever à cause, selon lui, d’« un salariat et une fonction publique complètement bloqués » (France 2, 5.122001), Raffarin saurait l’accomplir. En décembre 2002, commentant sur LCI les résultats des élections prud’homales, Jacques Julliard postillonnait de ravissement : « FO perd deux points, ce qui est plutôt encourageant en ce qui concerne la réforme de la question des retraites » ; un journaliste de la chaîne câblée de Bouygues rayonnait : « Et si la France était moins bloquée pour avancer et engager des réformes ? [...] Ces résultats montrent que les salariés penchent plus du côté de la réforme que de la défense des acquis sociaux [...] cela conforte Jean-Pierre Raffarin et son ministre des affaires sociales François Fillon [...] Ils peuvent s'appuyer sur ces résultats pour passer à la vitesse supérieure. » (LCI, 14.12.2002). Encore ballonné par ses agapes gargantuesques de la Saint Sylvestre, Daniel Bilalian exultait : « L’année 2003 sera l’année de la réforme des retraites si longtemps, trop longtemps différée » (France 2-13 heures, 9.01.2003).

À l’approche de la grève, le matraquage a redoublé de vigueur, à peine interrompu par la promotion du dernier livre raté de BHL. Stéphane Paoli a mobilisé coup sur coup sur France Inter (lundi 12 mai et mardi 13 mai) le sociologue-traître Alain Touraine (adorateur du plan Juppé en 1995) et le philosophe de cour Alain Etchegoyen (proche de Francis Mer qui l’a fait entrer au conseil d’administration d’Usinor quand Mer en était le PDG). L’un et l’autre rivalisent pour submerger les salariés de propos félons. Les deux lobes du cerveau de Paoli ne sont reliés entre eux que lorsqu’il récite, la queue frétillante, la jolie question que lui a dicté son président libéral Jean-Marie Cavada : « Quel peuple sommes-nous qui dit : oui les réformes sont nécessaires, qui en accepte le principe, mais qui en refuse la réalité ». Luc Evrard sur Europe 1, habitué à encaisser les luxueux « ménages » que lui offre la multinationale de la pollution Total-Fina-Elf, déroule le tapis rouge devant Ernest Antoine Seillière (« entrepreneur » spécialiste des faillites et roi des licenciements). Le richissime « patron des patrons » pleurniche aussitôt devant cette France qui « s’appauvrit dans la rue ». Cette France qui s’appauvrit est exclusivement celle des salariés : entre 1983 et 1997, de l’aveu même du ministre des finances, les revenus du travail ont vu leur part de la valeur ajoutée baisser de 8,9 % au profit du capital. La somme perdue par les salariés (et donc qui leur a été volée par les chiraquiens, les socialistes, les patrons et leurs amis journalistes) correspond au double du déficit attendu des caisses de retraite…

Mais Jean-Yves Hollinger, sur RTL, encourage Raffarin car « de sa fermeté dépendra l'avenir de nos retraites, mais aussi des autres réformes, celle de l'assurance maladie, de l'État, de la formation professionnelle, la réduction de la dépense publique, autant de sujets délicats qui demanderont une grande détermination ». Toujours sur RTL, Alain Duhamel, également éditorialiste à Libération, n’hésite pas, en dépit de son grand âge (même ses amis le jugeaient déjà sénile quand il interrogeait Georges Pompidou), à prendre ses auditeurs pour des demeurés : « les Français regardent cette réforme des retraites comme quelque chose qui est déjà inéluctable » alors qu’il vient de préciser que selon un sondage (qui, pour une fois, ne ment pas) « 4 Français sur 5 sont d'accord avec les grévistes ». À PLPL, la proportion est de 100 % (les réfractaires seraient fusillés et leurs corps déposés devant les locaux de Radio France et du Quotidien vespéral des marchés (QVM, parfois appelé Le Monde.)

Les radios ont beau s’exclamer en cœur « Ça sera seulement la seule bonne nouvelle : pas de péage sur l’autoroute », des millions de salariés ne sont pas assez godiches pour croire que leur vie se résume à quelques centimes d’euros économisés sur une portion d’autoroute. Ce matin du 13 mai, le PPA a peur. Il se rend compte que la propagande déversée par tous ses éditorialistes grassement payés — Jean-Marie Colombani touche plus de 400 000 euros par an et Jean-Pierre Elkabbach presque autant — n’empêchera pas les travailleurs de descendre dans la rue par centaines de milliers. Le PPA se souvient en tremblant de la mobilisation de décembre 1995. Déjà, les Colombani, Duhamel, July, Touraine, Wieviorka, Perineau, Imbert, Minc, Ockrent, Elkabbach et consort avaient déversé des tombereaux de propagande au service du capital.

Talonné par Libération qui célébrait « Juppé l’audace » (16.11.1995), Le Monde s’était alors porté aux avant-postes du balladurisme militant. Dès septembre 1995 l’éditorial du QVM annonçait : « Édouard Balladur avait eu le courage de lancer, en respectant sa méthode de concertation avec les partenaires sociaux, une réforme qui a eu le double avantage, en allongeant la durée des cotisations pour bénéficier d'une retraite à taux plein, […] de pérenniser le système de répartition. Son successeur sera obligé de prendre le relais » (24/25.09.95). Au lendemain de l’annonce du plan Juppé, l’éditorialiste du Monde tombait en pâmoison : « La journée du 15 novembre a toutes chances de rester comme la première date utile du pouvoir issu de l'élection présidentielle de mai dernier. Utile au pays car celui-ci a désormais un gouvernement. C'est à dire une équipe capable de prendre une décision qui ont non seulement le mérite de la cohérence, mais qui paraissent dictées par une certaine idée de l'intérêt général, quitte à mettre à mal les corporatismes ou les clientèles électorales. » (17.11.1995). Guidées par « une certaine idée de l’intérêt général », deux millions de personnes descendaient dans la rue contre les « corporatismes » de l’argent.

Huit ans plus tard, au lendemain de l’annonce du plan Fillon-Raffarin, Le Monde réécrit presque mot pour mot son éditorial de 1995 : « Pour une fois qu’un gouvernement a le courage de prendre le problème à bras-le-corps, il faut lui en donner crédit. Il faut d’autant plus lui en donner crédit que, précisément, il semble avoir tiré les enseignements de la méthode Juppé. Pas de réforme à la hussarde ! » (éditorial du 20/21.04.2003) Prodigieuse intuition ! Entre temps, Jean-Marie Colombani a avoué : « Nous devons souscrire d’autant plus naturellement à l’économie de marché que nous jouons chaque jour notre vie. » (2) Pour le directeur du Monde, il est évident que les salariés rêvent de perdre encore plus longtemps leur vie à (mal) la gagner. Le 13 mars 2003, le QVM prépare le terrain aux équarrisseurs en titrant : « Retraites : les Français prêts à travailler plus longtemps. » Raffarin et le Medef s’étaient frotté les mains.

Deux mois jour pour jour après cette intéressante « révélation » signée d’un journaliste « d’investigation » formé par Edwy Plenel, les masses défilent et le PPA est livide. Non seulement le secteur public s’est massivement mobilisé ce mardi 13 mai, mais nombre d’ouvriers et d’employés du privé ont eux aussi pris le risque de faire grève malgré leurs salaires de misère. Comme les Bibs à Clermont ou les Ford et les Dassault à Bordeaux, La Française de Mécanique à Lille, etc.

Il ne reste plus aux présentateurs comme Daniel Bilalian (France 2) ou Jacques Legros (TF1), confortablement vautrés sur leurs « acquis » (salaires grassouillets, seize semaines de congés et RTT, retraite et « placard » dorés, franchise d’impôt automatique de 7620 euros) qu’à tenter de minimiser la force du mouvement en attendant de parler d’autre chose (le festival de Cannes, par exemple). Alors que deux millions de salariés manifestent partout en France, les 13h de France 2 et de TF1 s’évertuent à dresser les téléspectateurs contre la grève. « Et puis après la galères des transports en commun, celles des parents. Beaucoup d’écoles étaient fermées. » grogne TF1 tandis que France 2 jappe : « Les parents qui travaillent avec leurs enfants sur les bras n’ont eu guère de chance sauf lorsqu’ils ont pu être accueillis par des non grévistes ». La moindre « jaune » (non gréviste) a le droit de s’endormir sur le micro en miaulant « Je trouve assez lamentable de ne pas pouvoir travailler ». Quand l’heure du bilan chiffré des manifestations doit malgré tout arriver, Jacques Legros ou la journaliste « jaune » de service à France 2 tentent de le minimiser : « Plusieurs milliers de manifestants ici à Paris » soupirent-ils. Ils mentent : ce chiffre avoisine 250 000.

Le PPA déteste les grévistes. Ses agents mentent pour protéger les propriétaires des médias et leurs amis (Martin Bouygues et Bernard Arnault ont, par exemple, été les témoins de mariage de Nicolas Sarkozy dont l’ex-balladurien Jean-Marie Colombani est devenu l’un des propagandistes). Anne Sinclair se demande si elle va pouvoir continuer à saliver chaque samedi sur RTL devant un grand patron ami de son mari Dominique Strauss-Kahn en « s’attachant à faire s’exprimer différemment ces managers ».

L’analyse (provisoire) des criailleries antisociales du journalisme gavé d’euros ne serait pas complète sans une évocation des talents sans égal de Christine Ockrent en la matière. Il y a quelques années, elle pleurnichait déjà : « Les patrons en France ont mauvaise presse. On les entend à peine dans le débat public. Cette frilosité des grands patrons à s’exprimer sur des sujets d’intérêt général constitue une vraie carence de la démocratie. Ainsi s’expliquent la diabolisation et la complaisance pour une culture de conflit plutôt que de compromis. A chaque péripétie sociale, on le vérifie, on s’en lamente et rien ne change à cette forme d’infirmité que ne partagent pas nos voisins européens. » (3) Plus récemment, en novembre dernier, elle avouait son amour pour le petit tyran moustachu pro-américain José Maria Aznar : « Entraînant les syndicats dans un dialogue social efficace, il va réussir plusieurs des réformes sur lesquelles échouera le gouvernement Juppé, notamment les retraites et la fonction publique » (Métro, 22.11.02). Là, deux jours avant la grève du 13 mai, elle invite sur France 3 Alain Lambert, ministre ultra-libéral du budget. Ockrent roucoule de bonheur quand le ministre, qui vient de s’octroyer une augmentation de salaire de plus de 70%, explique qu’ « il faut que les épaules les plus faibles conservent la dignité en portant une part du fardeau collectif. » Puis, pour débattre avec Lambert, Ockrent ose lui « opposer » un … « économiste libéral », Nicolas Baverez, connu pour avoir écrit que Raffarin s’était « couché devant Blondel ». Baverez, qui doit rêver du jour où l ‘armée américaine tirera sur les grévistes français, pontifie et jappe de joie devant son ami Christine : « Les États qui réussissent les — États-Unis et le Royaume-Uni — sont des États qui font des réformes. »  « Réformes » : ce sont en effet deux États où les pauvres triment pour des miettes — et jusqu’à l’heure de leur mort.

Le 13 mai 1968 plus d’un million de manifestants avaient clamé leur haine du capitalisme avant d’occuper leurs usines et leurs bureaux. Du 13 mai 2003, Jean-Michel Blier, un suce-micro moustachu qui participe régulièrement à l’émission d’Ockrent, a retenu une autre leçon : celle de Christine Ockrent, d’Alain Lambert, de José Maria Aznar et de Nicolas Baverez. Il couine donc son amertume sur France Info : « Le mouvement a été très largement suivi. Faut-il en déduire que décidément les Français n’aiment pas les réformes ? »

Non, pauvre dindon, ce que les Français détestent, c’est le Parti de la presse et de l’argent. Et PLPL détruira le PPA.

Son site est au service de la grève.
Vive la Sardonie libre !

 


(1) Conseiller de François Fillon, Raymond Soubie a obtenu que sa société Altédia, grâce à laquelle il est devenu milliardaire, se voit confier par l’Etat – c'est-à-dire par le contribuable – la charge très lucrative d’’ " informer la fonction publique " sur les mérites de la " réforme " Fillon dont l’objectif est de faire travailler les Français d’origine populaire jusqu’à leur mort. (voir "Raymond Soubie, un grand architecte de la démolition sociale", PLPL, n°9, avril 2002)
(2) Acteurs de l’économie, 39, Lyon, février 2003
(3) Christine Ockrent, Les Grands patrons, Plon, 1998, p. 8


PLPL
, mai 2003 — dossier spécial