« Attention
la Grève ! » menace en Une la Voix du Nord
du 11.05.2003. « Les perturbations s’annoncent importantes »
s’égosille en écho David Pujadas sur France 2. « Mardi
noir » vocifère Europe 1. Le ton est donné.
Le Parti de la presse et de l’argent (PPA), rebaptisé
pour un temps Parti de la peur et de l’argent, tremble en cette
veille de grève générale contre le plan Raffarin-Fillon-Soubie (1).
Cela
fait des années que le patronat et le PPA martèlent
sur toutes les ondes et les colonnes (puisque, après tout,
ils possèdent la presse…) que la réforme des retraites
est NÉCESSAIRE. Le Nouvel Observateur avait menacé :
« Lionel Jospin aura-t-il le courage de créer ces
fonds [de pension], en bousculant une partie de sa majorité
qui en a fait une question théologique ? [ …] Il
aurait fallu les créer il y a longtemps pour qu’ils consolident
véritablement la retraite des Français. Notre pays
a loupé le coche. » (14.10.1999). Le Parisien
avait titré « Retraites : pourquoi la réforme
est incontournable » et tancé le gouvernement pour sa
pusillanimité : « Dommage que, faute de courage
politique, la France, contrairement à ses principaux voisins,
n’ait pas profité des dernières années de forte
croissance pour amorcer l’évolution du financement de nos
régimes de retraite qui apparaît désormais comme
inéluctable. » (19.05.2001). Ce chantier de la démolition
sociale que Jospin n’avait pu achever à cause, selon lui,
d’« un salariat et une fonction publique complètement
bloqués » (France 2, 5.122001), Raffarin saurait
l’accomplir. En décembre 2002, commentant sur LCI les résultats
des élections prud’homales, Jacques Julliard postillonnait
de ravissement : « FO perd deux points, ce qui est
plutôt encourageant en ce qui concerne la réforme de
la question des retraites » ; un journaliste de la
chaîne câblée de Bouygues rayonnait : « Et
si la France était moins bloquée pour avancer et engager
des réformes ? [...] Ces résultats montrent
que les salariés penchent plus du côté de la
réforme que de la défense des acquis sociaux [...]
cela conforte Jean-Pierre Raffarin et son ministre des affaires
sociales François Fillon [...] Ils peuvent s'appuyer
sur ces résultats pour passer à la vitesse supérieure. »
(LCI, 14.12.2002). Encore ballonné par ses agapes gargantuesques
de la Saint Sylvestre, Daniel Bilalian exultait : « L’année
2003 sera l’année de la réforme des retraites si longtemps,
trop longtemps différée » (France 2-13
heures, 9.01.2003).
À
l’approche de la grève, le matraquage a redoublé de
vigueur, à peine interrompu par la promotion du dernier livre
raté de BHL. Stéphane Paoli a mobilisé coup
sur coup sur France Inter (lundi 12 mai et mardi 13 mai) le sociologue-traître
Alain Touraine (adorateur du plan Juppé en 1995) et le philosophe
de cour Alain Etchegoyen (proche de Francis Mer qui l’a fait entrer
au conseil d’administration d’Usinor quand Mer en était le
PDG). L’un et l’autre rivalisent pour submerger les salariés
de propos félons. Les deux lobes du cerveau de Paoli ne sont
reliés entre eux que lorsqu’il récite, la queue frétillante,
la jolie question que lui a dicté son président libéral
Jean-Marie Cavada : « Quel peuple sommes-nous qui dit :
oui les réformes sont nécessaires, qui en accepte
le principe, mais qui en refuse la réalité ».
Luc Evrard sur Europe 1, habitué à encaisser
les luxueux « ménages » que lui offre la multinationale
de la pollution Total-Fina-Elf, déroule le tapis rouge devant
Ernest Antoine Seillière (« entrepreneur » spécialiste
des faillites et roi des licenciements). Le richissime « patron
des patrons » pleurniche aussitôt devant cette France
qui « s’appauvrit dans la rue ». Cette France qui
s’appauvrit est exclusivement celle des salariés :
entre 1983 et 1997, de l’aveu même du ministre des finances,
les revenus du travail ont vu leur part de la valeur ajoutée
baisser de 8,9 % au profit du capital. La somme perdue par
les salariés (et donc qui leur a été volée
par les chiraquiens, les socialistes, les patrons et leurs amis
journalistes) correspond au double du déficit attendu des
caisses de retraite…
Mais
Jean-Yves Hollinger, sur RTL, encourage Raffarin car « de
sa fermeté dépendra l'avenir de nos retraites, mais
aussi des autres réformes, celle de l'assurance maladie,
de l'État, de la formation professionnelle, la réduction
de la dépense publique, autant de sujets délicats
qui demanderont une grande détermination ». Toujours
sur RTL, Alain Duhamel, également éditorialiste à
Libération, n’hésite pas, en dépit de
son grand âge (même ses amis le jugeaient déjà
sénile quand il interrogeait Georges Pompidou), à
prendre ses auditeurs pour des demeurés : « les
Français regardent cette réforme des retraites comme
quelque chose qui est déjà inéluctable »
alors qu’il vient de préciser que selon un sondage (qui,
pour une fois, ne ment pas) « 4 Français sur 5 sont
d'accord avec les grévistes ». À PLPL,
la proportion est de 100 % (les réfractaires seraient
fusillés et leurs corps déposés devant les
locaux de Radio France et du Quotidien vespéral des marchés
(QVM, parfois appelé Le Monde.)
Les radios ont beau s’exclamer en cœur « Ça sera seulement la seule bonne nouvelle : pas de péage sur l’autoroute », des millions de salariés ne sont pas assez godiches pour croire que leur vie se résume à quelques centimes d’euros économisés sur une portion d’autoroute. Ce matin du 13 mai, le PPA a peur. Il se rend compte que la propagande déversée par tous ses éditorialistes grassement payés — Jean-Marie Colombani touche plus de 400 000 euros par an et Jean-Pierre Elkabbach presque autant — n’empêchera pas les travailleurs de descendre dans la rue par centaines de milliers. Le PPA se souvient en tremblant de la mobilisation de décembre 1995. Déjà, les Colombani, Duhamel, July, Touraine, Wieviorka, Perineau, Imbert, Minc, Ockrent, Elkabbach et consort avaient déversé des tombereaux de propagande au service du capital.
Talonné
par Libération qui célébrait « Juppé
l’audace » (16.11.1995), Le Monde s’était
alors porté aux avant-postes du balladurisme militant. Dès
septembre 1995 l’éditorial du QVM annonçait :
« Édouard Balladur avait eu le courage de lancer,
en respectant sa méthode de concertation avec les partenaires
sociaux, une réforme qui a eu le double avantage, en allongeant
la durée des cotisations pour bénéficier d'une
retraite à taux plein, […] de pérenniser le
système de répartition. Son successeur sera obligé
de prendre le relais » (24/25.09.95). Au lendemain de l’annonce
du plan Juppé, l’éditorialiste du Monde tombait
en pâmoison : « La journée du 15 novembre
a toutes chances de rester comme la première date utile du
pouvoir issu de l'élection présidentielle de mai dernier.
Utile au pays car celui-ci a désormais un gouvernement. C'est
à dire une équipe capable de prendre une décision
qui ont non seulement le mérite de la cohérence, mais
qui paraissent dictées par une certaine idée de l'intérêt
général, quitte à mettre à mal les corporatismes
ou les clientèles électorales. » (17.11.1995).
Guidées par « une certaine idée de l’intérêt
général », deux millions de personnes descendaient
dans la rue contre les « corporatismes » de l’argent.
Huit
ans plus tard, au lendemain de l’annonce du plan Fillon-Raffarin,
Le Monde réécrit presque mot pour mot son éditorial
de 1995 : « Pour une fois qu’un gouvernement a le courage
de prendre le problème à bras-le-corps, il faut lui
en donner crédit. Il faut d’autant plus lui en donner
crédit que, précisément, il semble avoir tiré
les enseignements de la méthode Juppé. Pas de réforme
à la hussarde ! » (éditorial du 20/21.04.2003)
Prodigieuse intuition ! Entre temps, Jean-Marie Colombani
a avoué : « Nous devons souscrire d’autant plus
naturellement à l’économie de marché que nous
jouons chaque jour notre vie. » (2)
Pour le directeur du Monde, il est évident que
les salariés rêvent de perdre encore plus longtemps
leur vie à (mal) la gagner. Le 13 mars 2003, le QVM
prépare le terrain aux équarrisseurs en titrant :
« Retraites : les Français prêts à
travailler plus longtemps. » Raffarin et le Medef s’étaient
frotté les mains.
Deux
mois jour pour jour après cette intéressante « révélation »
signée d’un journaliste « d’investigation » formé
par Edwy Plenel, les masses défilent et le PPA est livide.
Non seulement le secteur public s’est massivement mobilisé
ce mardi 13 mai, mais nombre d’ouvriers et d’employés du
privé ont eux aussi pris le risque de faire grève
malgré leurs salaires de misère. Comme les Bibs à
Clermont ou les Ford et les Dassault à Bordeaux, La Française
de Mécanique à Lille, etc.
Il
ne reste plus aux présentateurs comme Daniel Bilalian (France
2) ou Jacques Legros (TF1), confortablement vautrés sur leurs
« acquis » (salaires grassouillets, seize semaines de
congés et RTT, retraite et « placard » dorés,
franchise d’impôt automatique de 7620 euros) qu’à tenter
de minimiser la force du mouvement en attendant de parler d’autre
chose (le festival de Cannes, par exemple). Alors que deux millions
de salariés manifestent partout en France, les 13h de France
2 et de TF1 s’évertuent à dresser les téléspectateurs
contre la grève. « Et puis après la galères
des transports en commun, celles des parents. Beaucoup d’écoles
étaient fermées. » grogne TF1 tandis que
France 2 jappe : « Les parents qui travaillent
avec leurs enfants sur les bras n’ont eu guère de chance
sauf lorsqu’ils ont pu être accueillis par des non grévistes ».
La moindre « jaune » (non gréviste) a le droit
de s’endormir sur le micro en miaulant « Je trouve assez
lamentable de ne pas pouvoir travailler ». Quand l’heure
du bilan chiffré des manifestations doit malgré tout
arriver, Jacques Legros ou la journaliste « jaune » de
service à France 2 tentent de le minimiser : « Plusieurs
milliers de manifestants ici à Paris » soupirent-ils.
Ils mentent : ce chiffre avoisine 250 000.
Le
PPA déteste les grévistes. Ses agents mentent pour
protéger les propriétaires des médias et leurs
amis (Martin Bouygues et Bernard Arnault ont, par exemple, été
les témoins de mariage de Nicolas Sarkozy dont l’ex-balladurien
Jean-Marie Colombani est devenu l’un des propagandistes). Anne Sinclair
se demande si elle va pouvoir continuer à saliver chaque
samedi sur RTL devant un grand patron ami de son mari Dominique
Strauss-Kahn en « s’attachant à faire s’exprimer
différemment ces managers ».
L’analyse (provisoire) des criailleries antisociales du journalisme gavé d’euros ne serait pas complète sans une évocation des talents sans égal de Christine Ockrent en la matière. Il y a quelques années, elle pleurnichait déjà : « Les patrons en France ont mauvaise presse. On les entend à peine dans le débat public. Cette frilosité des grands patrons à s’exprimer sur des sujets d’intérêt général constitue une vraie carence de la démocratie. Ainsi s’expliquent la diabolisation et la complaisance pour une culture de conflit plutôt que de compromis. A chaque péripétie sociale, on le vérifie, on s’en lamente et rien ne change à cette forme d’infirmité que ne partagent pas nos voisins européens. » (3) Plus récemment, en novembre dernier, elle avouait son amour pour le petit tyran moustachu pro-américain José Maria Aznar : « Entraînant les syndicats dans un dialogue social efficace, il va réussir plusieurs des réformes sur lesquelles échouera le gouvernement Juppé, notamment les retraites et la fonction publique » (Métro, 22.11.02). Là, deux jours avant la grève du 13 mai, elle invite sur France 3 Alain Lambert, ministre ultra-libéral du budget. Ockrent roucoule de bonheur quand le ministre, qui vient de s’octroyer une augmentation de salaire de plus de 70%, explique qu’ « il faut que les épaules les plus faibles conservent la dignité en portant une part du fardeau collectif. » Puis, pour débattre avec Lambert, Ockrent ose lui « opposer » un … « économiste libéral », Nicolas Baverez, connu pour avoir écrit que Raffarin s’était « couché devant Blondel ». Baverez, qui doit rêver du jour où l ‘armée américaine tirera sur les grévistes français, pontifie et jappe de joie devant son ami Christine : « Les États qui réussissent les — États-Unis et le Royaume-Uni — sont des États qui font des réformes. » « Réformes » : ce sont en effet deux États où les pauvres triment pour des miettes — et jusqu’à l’heure de leur mort.
Le
13 mai 1968 plus d’un million de manifestants avaient clamé
leur haine du capitalisme avant d’occuper leurs usines et leurs
bureaux. Du 13 mai 2003, Jean-Michel Blier, un suce-micro moustachu
qui participe régulièrement à l’émission
d’Ockrent, a retenu une autre leçon : celle de Christine
Ockrent, d’Alain Lambert, de José Maria Aznar et de Nicolas
Baverez. Il couine donc son amertume sur France Info : « Le
mouvement a été très largement suivi. Faut-il
en déduire que décidément les Français
n’aiment pas les réformes ? »
Non, pauvre dindon, ce que les Français détestent, c’est le Parti de la presse et de l’argent. Et PLPL détruira le PPA. Son site est au service de la grève. Vive la Sardonie libre !
(1) Conseiller
de François Fillon, Raymond Soubie a obtenu
que sa société Altédia, grâce à
laquelle il est devenu milliardaire, se voit confier par l’Etat
– c'est-à-dire par le contribuable – la charge très
lucrative d’’ " informer la fonction publique " sur les
mérites de la " réforme " Fillon dont l’objectif
est de faire travailler les Français d’origine populaire
jusqu’à leur mort. (voir "Raymond
Soubie, un grand architecte de la démolition sociale",
PLPL, n°9, avril 2002)
(2)
Acteurs de l’économie, 39, Lyon, février 2003
(3) Christine Ockrent, Les
Grands patrons, Plon, 1998, p. 8
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