BHL n’a rien appris

 
 

Deux mois après le démontage du World Trade Center et du Pentagone, le Quotidien vespéral des marchés (ex-Le Monde) publiait en « une » un article de BHL modestement titré « Ce que nous avons appris depuis le 11 septembre ». L’« éditorialiste associé au Monde » vagissait ses fadaises habituelles : la guerre américaine en Afghanistan était merveilleuse, humaine, généreuse. Et il sommait ceux qui prétendaient le contraire de lui présenter leurs excuses séance tenante.

   
 
À la lumière des massacres commis en Afghanistan par les amis de BHL, PLPL a relu cette tribune qui, quelques mois plus tard, avait valu à Bernard-Henri d’être nommé par Chirac et Jospin à la tête d’une mission officielle.
 
 

 

 

 

 

1 Tel Alain Minc, Alexandre Adler et Philippe Sollers, BHL soulage régulièrement ses incontinences dans les colonnes du QVM. Ramina [Jean-Marie Colombani], PDG du QVM-SA, vénère BHL. Dans son livre de 1996, De la France en général et de ses dirigeants en particulier (Plon), il écrivait : « Tout bien considéré, vous [BHL] n’avez jamais soutenu, depuis votre apparition médiatique, une seule mauvaise cause. La plupart des intellectuels français, après tout, se sont, à un moment ou à un autre, fourvoyés. […] Bien peu peuvent se prévaloir du palmarès d’engagement qui est le vôtre, et qui est largement comparable, et certainement moins contestable que ceux de Jean-Paul Sartre, Michel Foucault ou le Régis Debray d’il y a vingt ans. » (p. 143-145)
BHL renvoie les ascenseurs. Le Roi du téléachat [Edwy Plenel] avait salué, en « une » du QVM (25.11.94) le livre de BHL La Pureté dangereuse, éloge des retournements de veste. BHL avait contre-léché dans Le Point (12.04.96) : « Edwy Plenel. La vertu, l’apôtre de la morale en politique, l’image même du journalisme démocratique. » Peu après, BHL était devenu « éditorialiste associé » au QVM, en même temps que Sollers. (Sur BHL et le Roi du téléachat, lire l’enquête explosive du n° 7de PLPL, « Bernard-Henri, Edwy et leurs amis ».)

5 Il est évidemment absurde de décrire comme « apôtre d’une croisade » quelqu’un, W. Bush, qui a expliqué le 20 septembre 2001 : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes avec les terroristes. »

6 Lors des « fois » précédentes, les États-Unis avaient soutenu Ben Laden. Puis, via le Pakistan, le régime taliban. À l’époque, BHL était sans doute à Marrakech, avec sa femme Arielle Dombasle et sa doublure Jean-Paul Enthoven, dans son palais dont même Jean Daniel (qui adore le luxe) a observé qu’il était « incroyablement luxueux ». (Soleils d’hiver, 2000, Grasset, p. 252)

7 BHL se félicite apparemment ici des mesures restreignant la liberté d’expression des opposants aux États-Unis au prétexte que toute critique conforterait le « terrorisme ».

8 Les récits de massacres commis par l’Alliance du Nord (les amis de BHL) rendent ce passage particulièrement vermineux. Selon l’enquête de Jamie Doran, en novembre 2001, c’est-à-dire un mois avant l’article de BHL affirmant que tout allait bien, « jusqu’à 3 000 hommes » avaient été assassinés, « serrés comme des sardines dans des boîtes métalliques où ne pénétrait ni air ni lumière, par une température de plus de 30° C ». Leur sort ? « Les prisonniers vont y agoniser pendant cinq jours, mourir de suffocation, de faim et de soif. […] Les uns étouffés au cours d’un voyage infernal, les autres couchés parmi les cadavres de leurs compagnons de captivité, hurlant et implorant leurs bourreaux avant de périr sous une rafale de balles. » (Le Monde diplomatique, septembre 2002)

10 BHL réclame ici quelques guerres pro-américaines de plus. Dans Le Point (16.08.02), il a déjà expliqué : « Attaquer Saddam Hussein. Oui, bien sûr. » W. Bush devrait le satisfaire.

11 Avec sa modestie coutumière, Bernard-Henri avait d’ailleurs précisé au Monde : « Vous pouvez l’écrire, je considère que je suis l’écrivain le meilleur, l’essayiste le plus doué de ma génération. » (QVM, 21.03.85)

  

 

 

Ce que nous avons appris depuis le 11 septembre
par Bernard-Henri Lévy
Le Monde, 21.12.01 1

[…] Les talibans n’ont pas été seulement vaincus. Ils l’ont été sans combattre. Ils l’ont été piteusement, sans même un baroud d’honneur. Et l’image de ces combattants défaits, que, de Damas à Tunis, la rue arabe avait auréolés de tous les prestiges, l’image de ces Saladins qui étaient censés mettre l’Amérique à genoux et qui, au premier coup de feu, ont détalé comme des poulets, n’a pu que stupéfier ceux qui se reconnaissaient en eux.2
Les talibans vengeurs de l’islam ? La foi en Allah, arme invincible ? La preuve est faite que non. Chacun a pu voir, de ses yeux voir, que le zèle fondamentaliste n’a rien pu contre les B-52 ni, plus humiliant encore, contre les va-nu-pieds de l’Alliance du Nord.3 […]
L’Alliance du Nord. Certains, au début de cette guerre, espéraient contourner l’Alliance du Nord et fabriquer de toutes pièces une résistance pachtoune de substitution. Le calcul a fait long feu. Tout le monde a compris, assez vite, qu’une résistance ne s’improvise pas. Tout le monde et, en tout cas, le Pentagone a pris la mesure de l’erreur qui consistait à faire reprendre du service à des vieux marchands de Peshawar et de Paris, coupés de leurs bases, isolés, qui ne passaient pas trois jours en terrain afghan sans tomber dans un piège et périr.4 […]
À ceux qui doutaient encore, à ceux qui, contre l’évidence, continuaient de voir Bush en apôtre d’une croisade qui ne serait que le visage inversé du djihad,5 voici la dernière preuve : l’Amérique volant, pour la troisième fois en sept ans, au secours d’un peuple musulman et soutenant, de fait, sa guerre de libération.6
[…]
Pourquoi ne pas admettre que les États-Unis ont démenti les prédictions de ceux qui les voyaient s’empêtrer, multiplier erreurs et bavures, s’embourber ? Car récapitulons. Ces Américains « obtus » ont su, en 100 jours, mobiliser une armada ; l’envoyer à 10 000 kilomètres de chez eux, dans un pays dont ils ne savaient à peu près rien ; forger une coalition qui a tenu ; réinventer, dans l’urgence, leur diplomatie ainsi que leur doctrine de défense réduite, jusque-là, à la théorie du bouclier antimissile ; réformer leurs services secrets ; colmater leur front intérieur menacé par de nouvelles attaques ; 7 changer leur manière de voir ; rompre avec l’idéologie de la guerre « zéro morts » ; et ils l’ont gagnée, cette guerre, en faisant, au total, quelques centaines, peut-être un millier de victimes civiles... Qui dit mieux ? De combien de guerres de libération, dans le passé, peut-on en dire autant ?8 Et qu’attendent les Cassandres pour reconnaître qu’ils se sont trompés et que, lorsque, au lendemain de la chute de Kaboul, ils écrivaient (Robert Fisk) que « les criminels de guerre c’est nous », la passion les aveuglait ?9 L’anti-guerre du Vietnam. L’anti-guerre soviétique en Afghanistan. […] Les États-Unis, que cela plaise ou non, ont été, jusqu’à présent, à la hauteur de ce défi qu’on leur lançait.
[…] Un dernier mot. Si vraiment la preuve est faite que, lorsqu’on veut, on peut, s’il a réellement suffi de 100 jours pour commencer de libérer le peuple d’Afghanistan, comment ne pas songer à d’autres peuples, ailleurs, sous d’autres jougs ?10 […] Leçons afghanes. Preuve par l’Afghanistan. Ce que cette guerre nous a appris c’est que la mondialisation de la démocratie est l’autre horizon de l’époque.

Bernard-Henri Lévy est écrivain.11

  

 

 

2 Cette imagerie raciste – les Arabes, « piteux » et « défaits », qui « détalent comme des poulets » – est un des grands classiques de la propagande de l’extrême droite israélienne depuis la guerre « des Six Jours » (juin 1967) entre Israël, d’une part, et l’Égypte, la Syrie et la Jordanie, d’autre part. Selon des récits antiarabes, apparemment prisés par BHL, la victoire israélienne dans le désert du Sinaï aurait été tellement fulgurante en 1967 que les soldats égyptiens avaient détalé comme des lapins (ou des poulets si on veut être encore plus méprisant) – en enlevant leurs chaussures pour courir plus vite dans le sable…

3 L’image d’une « rue arabe » peuplée de fanatiques qu’il conviendrait d’humilier militairement pour les calmer est également un « must » de la propagande de droite, américaine ou israélienne.

4 BHL passe lui aussi son temps à ne rester que quelques jours en Afghanistan, ce qui lui permet – en médiatisant, en particulier grâce au QVM, chacun de ses départs et retours – d’occuper les médias en permanence. Commentant l’un des reportages de BHL sur Massoud publié par Le Monde (13.10.98), un spécialiste de l’Afghanistan a pourtant expliqué : « Bernard-Henri Lévy accumule les erreurs et, surtout, les complaisances. […] BHL est la seule personne de ma connaissance à avoir traversé un pays en guerre sans s’en apercevoir. » (QVM, 22.10.98)
La dernière promenade de BHL en Afghanistan, au printemps dernier, a été immédiatement suivie de son retour, rapport officiel en main. Car le plus étonnant est que BHL a été envoyé en mission « culturelle » en Afghanistan par Chirac et Jospin à la fois, sans même que ce soit pour une bonne raison évidente (s’en débarrasser.)
En mai dernier, l’opportuniste Laure Adler, directrice de France Culture et Laisse d’or de PLPL, a pris le relais de l’Élysée et de Matignon en laissant coloniser son antenne par BHL, qui présenta son projet de « Maison des écrivains » (pro-américains) à Kaboul. Un mois plus tôt, la Documentation française, qui dépend du Premier ministre (Jospin à l’époque), avait co-édité avec l’éditeur béachéliste Grasset le « rapport » de BHL sur « la reconstruction de l’Afghanistan ». L’unique annexe du « rapport » officiel était… un discours de BHL parlant de BHL. Le « rapport » n’a pas reconstruit l’Afghanistan mais les nombreux invendus auraient déjà servi à remplir les rayonnages du palais de BHL à Marrakech.

9 Plusieurs semaines après la publication des récits concordants (BBC, Newsweek, Le Monde diplomatique) de massacres commis par ses amis de l’Alliance du Nord, BHL n’avait toujours pas « reconnu qu’il s’était trompé ». Dans ses bloc-notes du Point des 6 et 13 septembre 2002, BHL n’évoque même pas ces tueries.
Il préfère parler de son journal Les Nouvelles de Kaboul, qu’il s’apprête à réaliser en trois langues « sous la direction d’un journaliste du Monde ». Les qualités de journaliste de BHL ne faisant plus de doute pour personne – Kouchner a écrit à propos du mari d’Arielle Dombasle : « En France, il ne fait pas bon avoir raison trop tôt. » (QVM, 26.10.01) –, les malheureux Afghans sont à leur tour condamnés à subir un sort pire que la dictature talibane : un hebdo béhachélien (c’est-à-dire appartenant aux groupes Pinault/Hachette-Grasset/QVM).

 

 

 
 


PLPL11, octobre 2002 page 11