Trotskisme culturel, suite

  

 

Aa décision des chefs de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) est prise. Olivier Besancenot, le jeune-candidat-facteur-de-28-ans change de carrière. Il devient vedette des médias. La journaliste pépéiste [membre du PPA] Arlette Chabot vient de le désigner « révélation politique de l’année ». Stratège en diable, la LCR s’est décidée au moment où le plus sûr moyen de se ridiculiser dans les milieux contestataires est de s’afficher à la télé à côté du Roi du téléachat ou de jacasser sur sa vie amoureuse dans Gala.

Qui a conseillé à Besancenot une telle reconversion ? Peut-être ses deux amis connus pour leur narcissisme médiamaladif. Philippe Corcuff, d’abord, qui lui a dédicacé son livre, La Société de verre, paru en octobre dernier 1. Ensuite Christophe Aguiton, surnommé « Cri-cri » ou « le BHL de la contestation » 2. L’un et l’autre sont aussi des amis d’Edwy…

Pour Cri-cri, tout est bon. Il affiche son sourire bronzé devant tous ceux qu’il rencontre. Même Le Figaro Magazine adore son trotskisme culturel : « Ces radicaux-là ne sont pas des rebelles. […] Christophe Aguiton, figure de proue du mouvement anti-mondialisation, illustre cette métamorphose des extrêmes gauches françaises. […] Charismatique, il promène souvent sa gueule d’ascète aux yeux bleus devant les caméras. » Cri-cri rassure le « Fig-Mag » : « Il ne s’agit plus, explique-t-il, de mettre l’autre en minorité, mais de trouver un terrain d’entente. » (25.01.03)

Où ça ? Dans les médias pardi ! Le 21 septembre 2002, Besancenot s’était déjà ébroué dans l’émission d’Ardisson, dont la fortune estimée s’élève à 14 millions d’euros 3. Ses camarades de plateau étaient le boursicoteur bouffi Jean-Pierre Gaillard et l’essayiste mondain Philippe Sollers. Quatre jours plus tard, le 25 septembre, le Quotidien vespéral des marchés publie un texte de Besancenot pour récompenser la LCR de fréquenter Sollers et de n’avoir jamais critiqué l’entrée du Monde en Bourse. Copain de Besancenot et de Plenel, Corcuff en assure le service après-vente dans Charlie Hebdo : « Un rafraîchissant papier d’Olivier Besancenot, dans Le Monde, qui ose encore parler de “rêve” en politique… »

Le rêve d’Olivier, c’est surtout de passer à la télé. Et, pour ça, il faut ménager le PPA. Pas de problème. Invité par Christine Ockrent, le 12 mai 2002, Besancenot n’aborde pas une fois la question des médias et des « ménages » 4. Six mois plus tard, re-belote. Parlant à Pierre-Luc Séguillon (qui fait des « ménages » à 50 000 francs et qui a été payé par Pierre Botton – comme Ramina 5), Olivier Besancenot lui lance, hélas sans rire : « On n’attend que vous pour participer à la convention européenne des mouvements sociaux. » Quand elle fut invitée dans la même émission que Besancenot, Arlette Laguiller, qui adore la télé elle aussi, a au moins mouché Séguillon :
A.L. : – Vous connaissez peut-être mieux la bourgeoisie que moi.
PLS : – Je ne sais pas pourquoi vous répétez ça.
A.L. : – Parce que vous la défendez en fait  6.

Passer à la télé, c’est se soumettre à tous les cabotinages : Arlette et Olivier ont pleuré devant des journalistes davantage qu’ils ne les ont fait pleurer… Invité par Karl Zéro le 3 mars 2002, Besancenot s’est même prêté à une mascarade conçue par le larbin chauve du patronat. Il a accepté de déambuler dans les rues de Paris avec un Zéro déguisé en facteur tenant un vélo. Le jeune salarié révolutionnaire consentait ainsi à ce que son gagne-pain soit transformé en gadget pour animateur milliardaire sur une chaîne de Vivendi. Et comme Besancenot n’avait abordé ni la question du pouvoir des médias ni celle des émoluments de leurs vedettes chauves, Zéro se paya même le luxe de reprocher à « Olivier »… d’être devenu « réformiste » ! L’année dernière, le livre de Besancenot (car il en « écrit » autant que Corcuff) s’ouvrait déjà sur un portrait d’Olivier signé par une journaliste de Vivendi…

Ce n’était qu’un début. Ignorant les avertissements de PLPL, Besancenot força l’allure 7. Son livre Révolution ! lui en fournit l’occasion. Le chapitre « Presse et liberté » indiquait « Tous les journalistes ne sont évidemment pas ‘des chiens de garde du capital’ » manière de tendre la perche à ceux qui inviteraient Besancenot à faire sa promo. Révolution !, c’est le culte de la personnalité comme au temps de Staline, d’Edwy Plenel et de Saddam Hussein : alors que son nom figure déjà en tête d’affiche, le visage d’Olivier encombre la moitié de la couverture. Un bandeau criard de l’éditeur enfonce le clou « Olivier Besancenot - Flammarion ». Pourtant, Besancenot n’a pas écrit le livre seul. Une table des remerciements suggère, page 325, la contribution de dix-neuf personnes… Et, page 5, en dessous du nom de Besancenot, on lit : « avec la collaboration de François Sabado ». PLPL interroge : Sabado est-il trop vieux ou trop barbu pour que son visage de co-auteur figure en couverture ? 8

« Allez, on retourne chez Ardisson ! » lui ont probablement suggéré Corcuff et Aguiton. Le 1er février dernier, Olivier revint alors sur le plateau qui lui avait fait rencontrer Jean-Pierre Gaillard. Au lieu de demander à Besancenot, comme à Rocard, si « sucer c’est tromper », Ardisson permit au « postier de Neuilly » de rencontrer un avocat de d’Ariel Sharon. Traité d’antisémite, Olivier sanglota. Il aurait eu l’habitude de ce genre d’injure si la LCR n’était pas le chouchou du QVM. Plenel accuse en effet d’antisémitisme tous ceux qui critiquent le capitalisme, l’Amérique et le téléachat (lire le dossier pages 3 à 5.)

Et puis vint le moment Gala. L’hebdo « des gens célèbres » fit sa « une » sur « Éclatante Jenifer : “Oui, je suis amoureuse” » mais le corps du numéro comprenait un reportage de quatre pages sur « Olivier Besancenot, le petit facteur rouge de Neuilly ». PLPL y apprit que « dans les halls d’immeuble de l’avenue Charles-de-Gaulle, on l’apostrophe : “Bien que je ne partage pas vos opinions politiques, je voulais vous dire que je vous ai trouvé très bien, l’autre soir, chez Ardisson.” » Grâce à Gala, la LCR peut désormais jauger les réactions des révolutionnaires aux émissions d’Ardisson.

Pour comprendre la signification d’un passage de Révolution ! de belles histoires d’amour sont nées sur les barricades ! »), Gala avait « suivi à bicyclette » le célèbre Olivier. Mais Besancenot, c’est le calme plat : ni maîtresses, ni amants ; de torride, nenni. Pourtant Olivier se dévoila - comme Jenifer : « Il y a une femme dans ma vie. Ne rien en dire, ne pas la montrer, c’est aussi marquer ma différence. Ce qui se passe dans mon cœur et dans mon lit ne regarde que moi 9. » La Sardonie libre qui avait investi 2 euros dans ce numéro de Gala en espérant se repaître de la lubricité sexuelle des trotskistes fut roulée ! PLPL demandera à la LCR de lui rembourser sa mise.

Enfin, le téléachat. Plenel, qui tremblotait en pensant à la diffusion croissante de PLPL, s’offrit une heure de répit (rémunérée 760 euros par Bouygues) avec « un révolutionnaire » qui « force la sympathie ». Le RTA le félicita de « son insistance sur la liberté individuelle ». Olivier dénonça alors ce que les bolcheviks avaient fait « par rapport à l’importance de la liberté de la presse ». La seule fois où le porte-parole de la LCR aborda la question de la liberté de la presse dans le studio de la chaîne câblée de Bouygues, ce fut donc pour dénoncer les bolcheviks ! Le RTA poussa son avantage : « La liberté individuelle et le principe d’égalité sont en contradiction. Si on veut l’égalité vraiment, parfois, ben elle est contraire à ma liberté personnelle, de… je sais pas, de posséder quelque chose, de m’enrichir [il plisse ses yeux de fouine]. […] Eh bien ! discutez, vous avez envie d’amender, lisez, discutez ! Les livres ça fait toujours réfléchir 10. » Oui Edwy, surtout les gros livres qui dévoilent la face cachée du Monde

Le Point, 14.02.03

Et puis Besancenot s’emballa. Il propagea la révolution en compagnie de Christine Bravo et de Laurent Ruquier (France Inter, 11.02.03), de Patrick Sébastien et Daniela Lumbroso (France 2, 16.02.03), de Pascale Clark et d’un Joey Star déchaîné : « Moi ça me révolte ce système, c’est pour ca que je fais une émission à Skyrock. » (France Inter, 28.02.03) Le couronnement vint avec « Les Grosses Têtes » de Philippe Bouvard. Grâce à des remarques du genre « Je n’ai pas pu envoyer ma femme au Club Med cette année alors j’ai dû la baiser moi-même », l’émission est un joyau du trotskisme culturel. Guy Carlier a refusé d’y participer, dégoûté par les « vannes homophobes 11 ». Mais Carlier n’est pas révolutionnaire, lui.

Trop c’est trop ! Un lecteur de Rouge, organe de la LCR, a gémi : « Que vas-tu faire dans des émissions télé plus ou moins débiles ? Quel intérêt de mettre ta photo en pleine page sur la couverture de ton bouquin ? Ce n’est pas ta tronche qui est à vendre. » (13.02.03.) La réponse est tombée trois semaines plus tard. Besancenot et Sabado ont expliqué : « Après “Les grosses têtes”, il y a eu un bond dans les ventes du livre. Il faut qu’on ait toujours l’idée grand angle, grand public. [...] Il ne faut pas avoir une attitude méprisante par rapport à toute une série d’émissions populaires. […] Le problème, pour la Ligue, c’est de savoir définitivement tourner une page de sa propre histoire 12. »

« Tourner la page » : le « populaire » dorénavant assimilé au vulgaire et au réactionnaire, le racolage médiatique en guise de ligne politique « grand angle, grand public ». C’était minable. Et ce fut raté : dans le baromètre mensuel d’Ipsos-Le Point qui suivit un mois d’exhibitionnisme de Besancenot (14.03.03), sa cote favorable chuta de trois points et celle des jugements négatifs progressa d’autant.

[Lisez aussi dans le dernier numéro, disponible par abonnement ou en kiosque, « Attac préfère les journalistes aux 'gauchistes' ». (PLPL, n°16, septembre-octobre 2003]

1 Depuis, Corcuff en a déjà pondu un autre, Bourdieu autrement, dans une collection dirigée par Daniel Bensaïd (à qui Corcuff avait également dédié son précédent ouvrage). Les ouvrages corcuffiens sont intellectuellement bâclés mais certains des bons « amis » de Corcuff répliquent que personne ne s’en apercevra tant ils sont illisibles. Avec Bourdieu autrement, Corcuff attaque nommément Noam Chomsky, PLPL, à qui il reproche d’être « en décalage avec la complexité », et il prétend « dépasser » Pierre Bourdieu, dont le livre sardon Sur la télévision serait … « peu nourri des travaux existants de sociologie des médias ». Lors d’une conférence à la Sorbonne, le 15 mars 2003, le sociologue des médias Patrick Champagne a, comme on chasse une mouche, ironisé sur « ceux qui croient dépasser ceux qui les dépassent. »

2 Lire « le BHL de la contestation », PLPL n° 5. Seuls les abonnés délicieux peuvent commander d’anciens numéros au prix de 10 euros (minimum) les dix.

3 Lire « Ardisson sème à tout vent », Challenges, 6 mars 2003.

4 « France Europe Express », France 3. La rapacité de Christine Ockrent, Reine des ménages, est aussi notoire que les faux scoops de Plenel, Roi du téléachat.

5 Sur les « ménages » de Séguillon, lire Capital, octobre 2001. Sur les « média-trainings » de Séguillon et de Ramina [Colombani], lire Libération, 25 janvier 2002.

6 « Grand Jury » de RTL-Le Monde-LCI, 24.03.02.

7 Lors de l’université d’été de la LCR en août 2002, plusieurs membres de PLPL et de sa vitrine universitaire d’Acrimed avaient alerté les militants des dangers de la médiatisation. Très mal reçus par les chefs de l’organisation, ils avaient rencontré là-bas de nombreux Sardons excédés par le narcissisme médiatique de leurs chefs. PLPL leur a communiqué les plans d’un coup d’État contre les mordus du téléachat moustachu.

8 Chez le RTA Plenel, Besancenot admettra que le livre est « un travail de la LCR » (LCI, 15.02.03.)

9 « Olivier Besancenot, Le petit facteur rouge de Neuilly », Gala, 13 février 2003.

10 LCI, 15 février 2003.

11 Télérama, 12 mars 2003.

12 Rouge, 6 mars 2003.