Pour lire pas lu 

Pour Lire
Pas Lu

 

  
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Leurs crânes sont des tambours...

Le journal qui mord et fuit...  

Prix : 10 F

 

   
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France Inter ou Radio Police ?

(Extrait du dossier "La peste France Inter" de PLPL 7)

Présentateur de la tranche 13-14 de France-Inter, Jean-Marc Four utilise son journal pour inviter ses amis policiers, juges, gardiens de prison ou responsables politiques à évoquer son sujet préféré : l’insécurité. Quand il tourne dans les couloirs de la Maison ovale de Radio France comme un hamster dans sa cage, une plaisanterie lui servirait de credo : « Pour un journaliste, l’impertinence, c’est la flatulence. »

PLPL s’est plongé dans les archives du Fourbe et Flatulent Four (FFF). Les résultats de l’analyse sont édifiants : au cours des six derniers mois, FFF a fait défiler dans son journal du « 13-14 » vingt-quatre invités sur le seul thème de la délinquance. Dix-sept personnalités sont venues parler de sport. La question sociale, elle, n’a justifié que sept invitations. Pendant cette même période, neuf spécialistes étaient conviés pour disserter sur la météo. Quand aucun crime ou chapardage de téléphone portable ne défraie la chronique, chacun a compris que le journal de Four ouvrira sur le sport ou sur la météo. C’est « le système FFF », très largement plagié sur Jean-Pierre Pernaut, qui a garanti les succès d’audimat du journal de 13 heures de TF1 6. Le Fourbe et Flatulent Four a d’ailleurs été responsable de la société des rédacteurs de France Inter. Le 30 octobre 2001, alors que des B52 américains pilonnent l’Afghanistan, dix des trente minutes du journal de France Inter sont consacrées au « temps exceptionnel qu’il fait en France ». Désireux de transformer son émission en un carrefour des scoops, FFF souligne : « Vous voulez que j’vous dise : il n’y a plus d’saisons, mais au moins, cette fois c’est dans le bon sens. » Puis Four donne la parole à un expert de service, un climatologue, à qui il demande si tout ça au fond n’est pas un peu dangereux. Car l’idée de terroriser ses auditeurs humecte les babines de FFF. Le 1er novembre, à la suite du déraillement sans gravité d’un TGV dans les Landes (le troisième seulement en dix ans), il interpelle le directeur régional de la SNCF à Bordeaux : « Vous ne pensez pas qu’on risque un jour un très gros accident avec un TGV lancé à grande vitesse ? » Le lendemain, la mise en circulation d’une fausse carte de crédit lui permet de vidanger ses énormes glandes salivaires : « C’est quand même assez inquiétant, ce que vous nous racontez là. Y a-t-il un danger pour chacun d’entre nous ? »

Le présentateur du 13 heures est aidé par une grande partie de la rédaction, bien dressée à faire mousser le moindre fait divers. Rien ne doit troubler le déversement des eaux usées de la banalité dans les tympans dévastés des auditeurs de Radio France. Quand, le 31 octobre 2001, la multinationale Alcatel annonce le licenciement de 10 000 salariés, l’information est évacuée au journal de 8 heures en quelques secondes par Patrick Roger, un clone de Jean-Marc Four. En revanche, les frasques d’une skieuse balladurienne, Régine Cavagnoux, vont mobiliser toutes les rédactions : trois ans après que la princesse de Galles se soit moulée dans un poteau du tunnel du pont de l’Alma, Régine avait eu la mauvaise idée de s’encastrer dans un entraîneur allemand. Pour France Inter, la nouvelle est un triomphe : treize des trente minutes du journal de 13 heures lui sont dédiées. Tout le registre de l’info délavée y passe : un direct de l’hôpital où Oliver Poujade nous apprend l’heure exacte de sa mort ; un reportage de Richard Vivian dans le village de « cette fille extraordinaire » où « l’émotion est considérable » ; un communiqué grandiloquent d’un adjoint au maire le « visage marqué par l’émotion et la nouvelle » ; des témoignages larmoyants d’habitantes – avec Yvette, « on est mal dans notre cœur… dans notre corps » ; pour Denise, « elle était sympa avec les enfants » ; les cloches de l’église qui « retentissent de longues minutes » ; un entretien en direct avec le président de la fédération française de ski ; un portrait, signé Jean-François Rhein, emblématique de la prose des journalistes sportifs : « Une persévérance, une obstination, un courage, sans parler d’un talent bien sûr à nul autre pareil qui lui permettront à trente ans, au crépuscule de sa carrière, de se hisser enfin au niveau des meilleurs. » Enfin, c’est le tour des frères siamois du capital : un communiqué de l’Élysée salue « le courage hors du commun » ; une coulée de guimauve ex-trotskyste nous confirme le don de Lionel Jospin pour le mensonge : « J’ai été bouleversé de l’annonce. » Un ouvrier du bâtiment glissant de son échafaudage mal ficelé par un patron avide de bénéfices suscite moins de trémolos. Car, PLPL le révèle : alors que trois skieurs sont morts d’un accident du travail depuis 1970, 68 352 autres salariés ont, dans le même temps, été victimes de leur métier sans émouvoir FFF, Chirac ou Jospin (sources : CNAM).

Le calvaire – non pas de Régine Cavagnoud, mais des auditeurs – va prendre fin une semaine plus tard, le lundi 5 novembre, jour de l’enterrement de la skieuse balladurienne. Jean-François Rhein bêle son oraison : « Le ciel, ce mâââtin au deuussus de Lâââ Cluzaz, grîîîs et trîîîste, de grôôs nuages s’accumulent sur la chaîîînes des Aravis. La tristêêêsse, le recueillement se lisent sur tous les visâââges… »

Radio Police

Pour France Inter, Cavagnoud évoque un sentiment positif. « Une championne, une personnalité très attachante, modeste et souriante mais battante jusqu’au bout des ongles. » En somme, tout le contraire des sauvageons de banlieues pourvoyeurs de ce « sentiment d’insécurité » dont se repaissent les journaux de Radio France et les émissions de France Culture 7.

Sur France Info le 27 janvier 2000, on a choisi de s’intéresser à la violence à l’école. Les auditeurs ont droit toutes les heures aux jérémiades du présentateur : « Rackets, agressions, et parfois même tortures, les violences se multiplient à l’école, tout comme les plans pour tenter d’y mettre fin […] France Info Plus fait le point aujourd’hui sur ce dossier avec des témoignages de victimes de cette violence et notamment de rackets. » Le plus effrayant de ces témoignages fut assurément celui de « Jérémy » : « Il y a un garçon qui me donnait des ordres : “Il faut que tu changes de look, de coiffure”, avec un ton méchant à chaque fois. Euh, je peux pas dire, bon, qu’ils m’ont vraiment frappé, mais ils m’ont poussé. Après, en cours, il y a une fille qui lançait des bouts de gomme, des bouts de craie sur moi. Et là, bon, j’ai craqué. J’ai dit : “Ça peut plus durer.” Et donc j’ai parlé. Ça m’a soulagé. Je suis moins stressé à la maison. »

Lundi 3 septembre 2001, Jean-Marc Four exulte. Le directeur de cabinet du maire de Béziers a été assassiné : « Ce n’est pas un simple fait divers. L’incroyable course poursuite qui a eu lieu dans les rues de la ville a de quoi frapper les imaginations. […] Et ce qui frappe, c’est l’impressionnant arsenal dont disposait ce petit délinquant. » Dès l’aube, le ton avait été donné : « Béziers se réveille ce matin sous le coup de l’émotion. La ville a vécu une véritable scène de guerre urbaine. […] L’insécurité sera sans doute l’un des thèmes forts de la course à la présidentielle. » À 13 heures, FFF, le Fourbe et flatulent Four, interroge une sociologue : « Alors, imaginons que je sois un petit délinquant – hypothèse d’école –, j’ai envie d’un lance roquette, je fais comment ? […] Plusieurs dirigeants politiques – Alain Madelin, par exemple – affirment qu’il faut – je cite – “sortir les armes de guerre des cités”. Ça veut dire qu’il y a beaucoup d’armes de guerre selon vous dans ces cités ? » Le visage détrempé par les postillons du présentateur, la sociologue finit par lâcher : « Ben, il y en a oui, et pas seulement les jeunes. Tout le monde est armé hein ! »

Depuis septembre, les radios du service public mélangent sans vergogne les événements de New York et les faits divers français. En l’espace d’une semaine, France Inter a décliné trois émissions spéciales autour de cet amalgame. « Le téléphone sonne » du 26 octobre 2001 interroge : « Islamisme et intégration : il y a-t-il ou pas un effet Ben Laden dans les banlieues ? » Quatre jours plus tard, « Le téléphone sonne » fait grésiller ce sommaire provocateur : « Sécurité ou liberté : jusqu’où peut-on aller pour combattre la délinquance et la menace terroriste ? » Le lendemain, l’émission « Respublica », confiée à Pierre Le Marc, un sous-Alain Duhamel, permet à Charles Pasqua d’épancher une montée de bile : « Il faut que la peur change de camp. […] Ceux qui font si peu de cas de la vie humaine, qui n’hésitent pas à kidnapper des enfants et à les assassiner, à torturer des personnes âgées et à les assassiner, savent en définitive qu’ils ne risquent rien. Ils sortiront au bout de dix ans. Voilà la réalité. Et moi je dis : il faut au moins qu’ils aient la menace du châtiment suprême. »


6. Interrogé par Télérama (09.12.98), Jean-Pierre Pernaut avait livré sa philosophie de l’information : « Le 13 heures est le journal des Français, qui s’adresse en priorité aux Français et qui donne de l’information en priorité française. Vous voulez des nouvelles sur le Venezuela ? Regardez la chaîne vénézuelienne. Sur le Soudan ? Regardez les chaînes africaines. Le journal de 13 heures de TF1, c’est le journal des Français. »

7. Lire « Glapissements sécuritaires sur France Culture », PLPL n° 4, 2001. Lire aussi (et commander par dizaines) le numéro 6 de PLPL sur « Les pyromanes de l’insécurité », avec sa désormais célèbre affiche « Les médias mentent ». Jamais la diffusion de ce numéro n’a été plus urgente. Quant à l’affiche, elle devra être placardée dans toutes les villes de France !