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ela faisait vraiment (trop ?) longtemps que je
n'avais ressenti un tel un choc en lisant un bouquin. Fallait remonter à Céline, puis
Ellroy, et Dantec il y une poignée d'années, pour que je me rappelle avoir tanné mes
amis et connaissances avec le « super bouquin que je suis en train de lire ». Suerte
fait sans conteste partie de cette catégorie.
Le principe pourtant peut sembler simple : un taulard, tombé pour
des braquages, rencontre la philosophie de Levinas en prison, et se met à pondre un roman
autobio, où il raconte sa vie légèrement romancée et ses considérations
existentielles sur la prison. À l'issue d'un tel énoncé, on craint le pire. Et pourtant
ça fonctionne pour trois grandes raisons :
Un, le style. Ce gars-là sait vraiment écrire. J'irais même plus
loin : si il n'avait pas été directement concerné par le sujet, on aurait crié au
génie littéraire. Ainsi son héros parle-t-il de la condition des prisonniers :
« ... Ce que vous voulez avant tout, c'est continuer à vivre comme si de rien
n'était. C'est pourquoi vos revendications vont toujours dans le sens d'une amélioration
matérielle du régime pénitentiaire. J'ai pas ci donne-moi ça, j'veux embrasser ma
maman, areu-areu ça fait quinze ans qu'on me sert un biberon froid tous les matins, etc.
[...] Car de même que les ouvriers ne manifestent pas pour qu'on supprime leur usine,
vous, vous ne vous mutinez pas pour sortir de prison... »
L'humour, manié généralement à froid, est aussi une de ses
grandes spécialités. À son collègue qui lui dit que tout est politique, il répond
:
« - Je doute qu'on me demande un jour de prouver que tout est politique...
- Ce ne sera pas nécessaire. Lyon III est déjà considérée comme une université de
droite à tendance catho.
- Elle se trouve aussi au bord du Rhône, et ce n'est pas pour ça qu'on en sort
marinier... »
La seconde raison, en tout cas pour moi, est l'utilisation des
lieux. Le personnage vit dans un univers ancré, marqué par les lieux où il
évolue. La plupart de l'histoire se déroule alternativement à Lyon et en Espagne, et
tous les lieux sont clairement identifiés. Je me suis même surpris à chercher la rue
Jean-Claude Vivant à Villeurbanne, où le narrateur passe un mois d'août torride et
ennuyeux. Mes recherches m'ont effectivement confirmé le côté anonyme et sans âme de
cette rue.
Enfin, la portée ethnologique du bouquin, souligné par le fait
qu'il soit paru dans la très bonne collection de Jean Malaurie, où il côtoie les
ouvrages de Lévi-Strauss, lui permet d'apporter une réflexion plus que pertinente sur le
rapport que notre société entretient avec ses prisonniers, exclus quasi-définitifs du
système social.
Pour la petite histoire, et pour permettre l'élargissement de ce
prisonnier vraiment repenti, n'hésitez pas à faire un tour chez son comité de soutien.
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