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Charles Bösersach

JOURNAL MALADE

 
 

Semaine du 28 mai au 3 juin 2001.

 
 

   

 lundi 28

Du sang dans la lumière, qui brouille tout. L’une dort (ou fait semblant), l’autre se nourrit d’elle. Chaînes, ceinture, et beaucoup de cheveux (tignasses).

J. ne veut pas entendre parler de mes projets la concernant. Ce que je lui suggère la perturbe. Elle craint « des ennuis ». Cela l’attire, la fascine. Elle finira par y venir.

 29 mai

Elle arborait un porte-jarretelles, des bas — c’était risible et émouvant. Mais je parvins à ne pas sourire. J’éteignis la lumière et je fus sur elle (serrée, nerveuse) comme un gros insecte butinant une grande fleur désunie un peu fanée.

 30 mai

Elles sont deux, une petite aux longs cheveux blond roux, bien en chair (pneumatique), joviale. Elle porte des lunettes. L’autre : grande blonde maigre, désincarnée. Bien sûr c’est la grande qui m’attire. Alors je courtise la petite. Je lui fais comprendre qu’elle me plaît, et que je suis à sa disposition. Elle rit, m’examine de la tête aux pieds. Elle rit, ne répond rien (ne dis pas non ni ne s’offusque). Et, bien sûr, je me suis arrangé pour que l’autre, la grande, puisse deviner « notre petit manège ». La rendre « jalouse », faute de mieux. N’empêche : elle était à lire, assise sur l’escalier qui mène à la cour intérieure. Elle portait une très courte jupe en cuir. Nous parlions un peu et ses jambes s’ouvraient. Mais je n’ai pas osé. C’était peut-être distraction. (Quelle belle distraction.)

 31 mai

(Tout près du visage de J.) : il se masturbait avec une telle violence que je crus qu’il allait s’arracher le sexe.

Fatigue, fuièvre, dégoût de tout. Ce sont desruses. Se laisser couler, plomb (par exemple : ne plus se laver, ne plus se lever) et ; arrivé « en bas », constater avec — presque — plaisir que l’on se sent chez soi.

 v.1 juin

Rencontré Irène au bar Américain. Quinze, seize ans. Trois sœurs, deux frères. Perdue. Me parle longuement d'un de ses frères qui est malade (mais elle est incapable de me dire ce qu'il a).

 2 juin

J’ai encore vomi. J. me soigne avec dévouement et moi je suis épouvantable, grinçant, désagréable. Je ne m’aime guère, en ce moment.

Il décide de laisser S. « à la disposition » de quatorze copains, âgés de 15 à 20 ans. Elle sera violée tour à tour par l'ensemble des jeunes gens présents.

Après avoir peiné pour obtenir des preuves, il a trouvé un moyen simple de s’en procurer (il suffit de payer). Ceci ne retire rien à la validité de ces preuves (qu’au début il ne considérait que comme des indices, des présomptions) mais réduit sensiblement l’intérêt qu’il leur porte (pas assez toutefois pour qu’il s’en désintéresse ; simplement, la quête est devenue une sorte de corvée ; l’exaltation, le doute, les revirements se sont mués en routines). Preuves, des preuves de l’existence de Dieu. Des évidences. Une fois admises ces évidences, une fois décrypté le message (et cela ne coûtait qu’un bref effort d’attention), l’ensemble s’ajustait sans solution de continuité. Perfection. Perfection que venait troubler cependant un aspect irritant de l’affaire : les preuves étaient nombreuses ; elles étaient innombrables. Ainsi, après avoir collecté ses premières pièces avec ferveur, après les avoir longuement examinées, les avoir tournées en tous sens, avoir passé des nuits à s’abîmer en leur contemplation, en leur interprétation, il se contente de les stocker, par centaines, renonçant même à envisager une quelconque méthode de classement. Encore vécu-t-il un moment dans l’illusion qu’il lui serait possible de collecter toutes les preuves. Mais là aussi, l’adversaire était plus fort : les preuves étaient partout, elles pleuvaient sur lui ; il suffisait de tendre la main. Ce qu’il faisait encore, machinalement. Plusieurs heures par jour il engrangeait ses preuves, les empilait, se promettait chaque fois de — bientôt — se lancer dans une autre partie de son programme : étudier, comparer, décrire, classer. Toutes les preuves n'étaient pas de même nature et il hésitait quant à établir une typologie. Il pressentait confusément de quel nouveau piège il pouvait s’agir : définissant lui-même une configuration, une lecture pour l’ensemble, il ne pouvait, du même coup, qu’abandonner tous les autres possibles, sans être certain d’avoir fait « le bon choix ». Et sans être convaincu, au fond, qu’il soit réellement nécessaire d’avoir à effectuer ce choix. Ainsi, Dieu, masse informe constituée de ces innombrables bribes continuait de le narguer, définitivement incomplet, amorphe, dérisoire. Il était las et se sentait floué. Il imagina même détruire toutes les preuves (peine perdue, il le savait : il y en avait d’autres, partout ; le monde regorgeait de ces preuves, toutes semblables, toutes différentes) mais il n’aurait pu, il le savait, les détruire — une par une — sans les avoir au préalable examinées, décrites dans une fiche, et la tâche paraissait dès ce moment insurmontable.

 le 3

M. : Exacte au rendez-vous. Me parle de son père, chez qui elle vit. Ses parents sont divorcés.
Elle me raconte qu'elle a fugué, qu'elle voulait retourner vivre chez sa mère. Je l'emmène à l'hôtel. Aucune difficulté. Très naïve. Me demande si je l'aime.

   

 

Charles Bösersach

Charles Bösersach  
    

  
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