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Ulysse
on fit toujours grand cas et commentaires toujours plus élogieux,
vantant ses exploits et ses fameuses « mille ruses » quon
accola à son nom comme une enseigne lumineuse; delle au
contraire on ne sut que louer la constance. La fidèle Pénélope ! Comme
si ce fut là mon seul mérite, le seul quils aient daigné mattribuer
à voix basse. Pour le reste, pas un mot, pas une syllabe. Mais quen
savait-il donc ce mystérieux Homère ? Où avait-il les yeux pour
voir si mal ? On murmura souvent quil fut aveugle
et quil écrivit ses récits au gré de sa fantaisie davantage
quil ne les rapporta.
Jécris ceci pour réparer, au delà de
laffront, loubli quon fit de ma personne et les
outrages dont on affligea la vérité. Jécris ceci afin quon
sache qui fut Pénélope avant quils ne parlent tous à sa place.
I
SON
ODYSSÉE
1.
Naissance de lamour.
Notre première rencontre eut lieu dans un cirque et ce présage aurait
dû mavertir des farces sans fin quil me jouerait.
Jétais alors déjà les Dieux
avaient scellé mon destin le prix dun concours (voila
bien notre usage que dêtre jouées au poker quand il ne reste
plus rien à miser, marchandise ultime dont on dispose sans réfléchir,
sans songer que linstant daprès on la déjà perdue
et concédée aux mains les plus scélérates, et dont on entend quelle
vienne ensuite absoudre ses parieurs) et vierge et plus jolie
quun cygne (et jalousée à ce titre dHélène et de Léda
et de toutes les déesses de lOlympe).
Ulysse remporta lépreuve et avec elle
son enjeu.
Je me souviens de ses paroles lorsquil étrenna ma porte. Il
me voulait « consumée » cest à dire leste,
animée, vicieuse. Je devais minsinuer la plus mauvaise réputation
tandis que jétais en vérité la plus innocente. Je tâchai de
lui faire entendre raison mais il répondit avec humeur :
« la belle innocente, la belle coupable, la belle affaire ».
Je suis véritablement entrée chez lui les yeux bandés je
veux dire que réellement il me bâillonna et fut fouillée
toute la nuit par des mains que je supposais siennes et dont je doute
aujourdhui quelles lui aient toutes appartenu.
Je pensai jétais forte déjà :
« Sil sagit de telles fantaisies alors oui javouerai
ce quon voudra si cest ce qui lexcite je lui dirai
moi sa femme je suis comptée au rang des putains et jusque dans son
lit encore voilà la preuve les cartes dIthaque sur le tissu
et pas avec un seul non 3 ou 4 au moins sont venus me profaner comme
il dit et même certains mont payé trois fois rien tout le plaisir
était pour moi. »
Sa sur Odyssée, à plusieurs reprises, lavait dans le passé
accusé de la regarder se baigner à travers la haie ou par un trou
quil avait creusé dans la porte des toilettes. De ces accusations
on lavait aussitôt blanchi mais quand elles me revinrent en
mémoire en cette Nuit de Noces et que je les considérai à la lumière
de son comportement nuptial, je dus convenir quelles nétaient
certes pas sans fondement.
(Je crois quil massombrit plus quil ne méveilla
aux voluptés. Cest plus tard que, seule, aidée de quelques amants
mais surtout de servantes promptes au plaisir, je devins femme tout
à fait cest à dire sensuelle, gaie, lumineuse et exquise et
fus par elles surnommée la chère toujours acquise.)
Quand la Guerre quil avait appelée de ses vux
bien quil tentât de sy dérober nous sépara,
je lui avais donné un fils, Télémaque, que nous chérissions tous deux.
À cette époque mon amour pour lui ne connaissait pas de nuage. Je
laimais, mon beau héros. Si bien que lorsque son départ me fut
connu je meffondrai, plus affligée encore quAndromaque
devant la mort dHector, cessai tout commerce avec la musique
(je me destinai auparavant à chanter au music hall) et répugnai même
à lidée dassister au récital du ténor Phémios que je portais
aux nues deux jours plus tôt.
2.
Les tours dune veuve.
Lorsquil eut disparu derrière la barrière des flots (notre peuple
de marins sévertuait à voir périr les siens au fond des vaisseaux
les plus vétustes, faisant le plus souvent office de sombres tombeaux)
et quon meut conté son agonie, la nuée des Prétendants
entendant la nouvelle sabattit sur moi tel un essaim de mouches
enivrées. Il en pleuvait partout. Où que je me trouve, au plus profond
de mes appartements, aux lieux daisance ou dagrément,
il sen tenait toujours un ou deux à portée de bras et cherchant
à men ceindre sans vergogne. Parmi eux jen distinguai
de fort jolis dont la séduction aguerrie sut parfois matteindre
mais un oracle bien avisé mavertit quUlysse vivait encore.
Aussi inventai-je certains stratagèmes habiles à les écarter de ma
couche, du moins de manière provisoire mais durable. Je prétendis
ainsi je parlais fort, dressée sur la dernière marche de
lescalier trônant dans la grand salle, madressant à la
foule des soupirants avinés, mécoutant à moitié, tout occupés
à flétrir et flatter les robes de mes servantes (dont certaines, victimes
du courroux dUlysse, périrent atrocement, mais plus tard) devoir
écrire une lettre, un mémoire récapitulant en détail le patrimoine
du maître de Laerte afin quon puisse en disposer et rendre possible
la possession de ses biens. Cet argument sut les convaincre mieux
quaucun autre, tant il flattait leur cupidité insondable. Tout
le jour et longtemps jécrivis ce catalogue, feignant davancer
la succession, mais de ma plume ourlée dor coulait une encre
sympathique disparaissant la nuit au creux du papier et ce que je
tissais le jour la nuit le défaisait si bien quaprès trois années et
moroses, où je me morfondis tant, fatiguée dobserver sans sévir
la débauche des servantes le travail navait pas avancé
dune lettre.
3.
Trahison de laccorte servante.
Cest alors que Mélantho me vendit. Cétait une jolie servante
à la chair languide mais chaude et grasse tant que mes tourmenteurs
se la disputaient ardemment chaque nuit et quelle devint bientôt
lenjeu de paris insensés. À tous elle cédait sans paraître se
rendre et savait, dans les pires transports, garder un visage de nymphe
étonnée. Elle me surprit donc à mon ouvrage et révéla mon stratagème
aux guerriers endormis. Les prétendants Antinoüs à leur
tête sinstallèrent à demeure au palais, festoyant
sans répit, égorgeant mes troupeaux et mes porcs, épuisant patiemment
ma fortune dans dinterminables orgies. Mon fils Télémaque prit
alors (sans toutefois mavertir ni me consulter) la maisonnée
en main et mécarta un peu plus de mes biens (que devins-je alors
sinon belle monnaie vivante ou produit quon achète, objet de
luxe ou sceptre convoité ?). Voila où ma vertu me jeta : en
pâture aux appétits les plus immondes, le seul bénéfice à ma conduite
fut dêtre reléguée comme un jouet de chair derrière une vitrine.
Alors, au dessus de lescalier, tandis que Télémaque se
prenant pour son père tout juste pubère fait son discours,
je mapproche au plus près de la rambarde sculptée du buste dAphrodite
et pose une jambe en avant dans un bruissement délicat de dentelles,
tenant les volants de ma robe de satin noire de tout temps
les hommes chérirent et convoitèrent les endeuillées dune
main, tandis que lautre se tient en arrière et découvre le galbe
onctueux dun mollet gainé de soie, et plus il parle plus le
tissu souvre et se poussant du coude ou clignant des yeux les
Prétendants, lil égrillard, sapprochent pas à pas
et se postent écarquillés sous mes jupes « quel
spectacle mieux quau théâtre ou dans les cabarets » comme
entre deux rideaux dont on tire savamment les cordons devinent la
culotte et les cuisses graciles, supposent la toison ou quelque place
assombrie (ce quinsensément je nommais « mes entrevoiles »; je
lai dit : nous fûmes un peuple de marins) et tout
humides forment un rêve.
Télémaque, pauvre garçon, le visage empourpré
garde les yeux clos pour oublier de se taire et interrompre son discours
mais ses mots disent son trouble et sentrechoquent dans sa gorge
plus que les osselets dans la cour de lécole, il se met alors
à rougir tout à fait, prend un ton violacé et presque cramoisi avant
de sévanouir dans la coulisse. Prétextant son malaise je mesquivai
à mon tour.
À
suivre...
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