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 Sébastien Morlighem

  Détestez vos connaissances.


 
Sébastien Morlighem
 
 
 

ien, non rien, bien sûr, oui, rien ne tient mieux que le peu. Dire peu suffit à toute chose, nul besoin d'aller plus loin, nous n'avons pas été plus loin en nous. Nous pourrions, mais ce ne serait pas du jeu, ce serait de la triche, nous serions dupes de nous-mêmes, ce dont nous ne voulons pas être dupes. Le soleil éclaire notre jour, la lune suffit à notre nuit, c'est déjà bien assez pour nous. Vous le savez très bien, nous n'avons pas besoin d'en savoir plus. Un jour, nous pourrions le savoir mais ce serait inutile, nous n'en aurions plus l'utilité. Les pieds de notre corps sont faits pour la marche, les mains de notre corps sont faites pour le travail et la prise des choses, le sexe de notre corps est fait pour la reproduction, le cœur de notre corps est fait pour l'amitié et l'amour (et certains diront que ces sentiments qui portent vers le prochain sont une illusion, un fantoche), la tête de notre corps est faite pour le penser de notre cogito : je pense donc je fuis. Pourquoi alors chercher à vouloir en savoir plus ? Nous savons très bien qui nous sommes et nous ignorons ce que nous ne sommes pas, et nous ne cherchons pas à savoir qui nous pourrions être si nous n'étions pas nous. Nous ne pourrions pas être vous ou lui ou eux, car nous savons tous que nous ne pourrions exister au même endroit et au même moment dans un même corps et une même âme (à condition de croire que nous avons une âme, ce qui reste incertain, vu l'avancée actuelle de ces choses). Si nous n'étions pas nous, nous serions du néant, ou dans le néant, ou peut-être, même, le néant, tout simplement. À supposer l'existence du néant, ou sa non-existence, puisque c'est du néant qu'il s'agit, un cas très particulier d'être qui est du n'être pas. C'est ce que nous supposons, croyez-nous, et nous ne pouvons penser autrement, sinon, nous ne penserions pas comme nous pensons et ce ne serait pas nous qui pensons alors pour nous. Nous ne savons plus très bien, parfois, à dire vrai, quoi penser de tout cela. Heureusement, le cerveau veille au grain de toute chose. Nous lui faisons confiance, c'est là une chose très certaine. Nous nous tenons à carreau : il nous surveille du coin de l'œil. C'est pour cela que nous n'avançons pas, que nous ne bougeons pas et que nous n'avons jamais bougé, contrairement à ce que vous pourriez croire. Car vous croyez, bien sûr. Vous avez des idées très précises sur le sujet. Nous n'en avons cure, croyez-le, c'est certain. Le monde bouge sans nous, il fait ça tout seul, comme un grand, point de mystère caché là-dessous, c'est une hérésie que de chercher l'exercice de l'influence humaine sur chaque particule mouvante de l'univers. L'univers existe, il avance, recule, tourne sur lui-même, explose, se recompose, éructe, se gratte, va au bal sans notre consentement. Mais, insatisfait perpétuel, vous cherchez une explication, comme de juste. Vous composez des hypothèses, émettez des propositions, échafaudez des théorèmes, renversez la vapeur. Vous avez besoin d'un toit pour vous protéger ou d'une gouttière pour évacuer la saleté. L'idée suprême, avant tout, avant vous, en guise d'explication. Votre idée de la semence originelle. Nous, nous disons : Dieu, ou quelque chose d'autre qui le remplace, chiffon, brouette ou cru, ou mulaf-potor, et nous sommes débarrassés de cette idée. Sans elle, nous serions contraints de passer notre temps à chercher d'où vient la vérité qui ne manquerait pas de glisser entre nos doigts tendus si nous voulions l'attraper. Vous êtes bien embêtés, vous, n'est-ce-pas ? Les idées nous sont si chères que nous ne saurions en changer, en trouver d'autres. La nouveauté est une chose absurde, un leurre évident où bon nombre de sots se croient permis d'aller voir ; ils ne reviennent jamais, forcément. D'ailleurs, vous êtes bien naïfs de la chercher ici : elle n'y est pas, et nous non plus, n'y sommes pas. Vous seuls y êtes. Telle est l'issue finale, et qu'elle vous suffise.
     


Sébastien Morlighem      
    

  
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