Savez-vous, cher compagnon, qu’il est temps ? Écoutez, les réminiscences vont surgir en vous ! Cloîtrée, vouée à l’époussièrement, je pouvais sentir votre regard amoureux monter, se poser sur mon tombeau et le lécher d’une pointe dévote. Votre langue a fait son office, elle a produit le miracle : je viens à vous, je dépose à vos pieds ma personne d’eau à nouveau pure, résolue à jaillir, à étancher les soifs oisives du bétail futur. Il faut lui épargner cette dure malédiction de l’ahurissement, les rechutes sont toujours menaçantes, toujours tenaces. Vieillir, moi ? Les lectures ne vieillissent pas. Le texte de cette vie se devait de s’effacer tout en s’écrivant. Ce sacrifice, je l’ai accompli pour reprendre force à vos côtés, et quitter ma condition d’héroïne de romance à faire monter le rose aux joues des vieux mômes, sur-le-champ. Cette mue rancie de vilain petit canard, ce camouflage intégral ne servira plus. Désormais prête à m’élancer vers cette terra incognita où le dire n’épuise jamais le dit, ni le pire le pis, je pirouette vers l’ailleurs. Fanfare ! Une porte, avec fracas, s’ouvre. La salle de jeux est nauséabonde. Plongée dans un épais, spacieux, humide embarras d’où émerge seulement, par jets successifs, telle bribe entrevue l’instant d’une pensée, la courbe d’une illumination impossible, reflet divin d’un pouvoir bientôt retrouvé. Comment lutter contre cette cathédrale ? Une seule lettre et le globe pisse. Toujours, la fiction a eu cette idée du monde, bien plus haute que celle de sa propre existence. Voila pourquoi elle ne vécut qu’à travers son propre mirage. Embryon fier et immature. Balle, baballe à chienchien, légume déguisé en escalope. Imposture ! Lâchée dans l’air, hors de sa coquille fracassée, elle ne marche pas très vite, elle tâtonne, trébuche, se ramasse d’innombrables gamelles, toute en mouvements, en révolutions. Certaines sont venimeuses, et d’autres ne le sont pas, leur couleur est inoffensive, toute blanche, de la recomposition des sept couleurs du spectre, à peu près semblable à l’écume de la mer. Le fraisil, en un imperceptible frémissement, expire une bactérie innocente, encore, de l’identité. Un tas de cendre insolent, vitriolé, extrêmement proche de la taille d’une figue mûre ; bulle qui siffle, vibrionne, pulse hors de la puanteur étalée à la lame du couteau. C’est le continuum dans la rupture, le pâturage dans la vache, l’intestin dans les kilomètres de ténia. Un landau expulsé de la mêlée sénile. Voila ce que j’avais à divulguer. Il fallait commencer par quelque chose pour se justifier. Désosser l’origine. Même l’immanence n’est pas immanente. Alors, créons une nouvelle tendance, un nouveau genre : l’infundibuliformalisme ! Jetons toute chose qui vient sous la main, qui sort de la bouche, jetons au fond du cornet, tassons, écrasons, touillons, et il en sortira, liquide et filtrée, une pâte onctueuse, fertile et fertilisatrice ! Nous en ferons un épatant commerce, un drôle, un solide ! Manifeste ! Dépôt légal ! Connaissez-vous l’animal qui inventa le calcul intégral ? Quelles relations y a-t-il entre le produit du travail et le coït de la vie ? Les sempiternelles plus-values ? Qu’attendez-vous pour agir ? La suppression des frais de curetage ? La déréglementation de tous les sens ? La mondiabolisation ? Quel siècle à prothèses ! Actions mortes agissez. Sous le doigt : ficelle, ficelle à ficeler. Dentelle en berne ? Maquerelle du durable ? Hasarder pour contrer le hasard ? Se méfier de la pente ? Mentir « glorieusement » sur la longueur de la manche ? Rien n’aura eu lieu que le lien ineffable, indicible entre le lieu et la constellation (au milieu : l’horizon, coupure décisive, zone érogène, héroïque appel d’air). Rien, hormis une quête disloquée. Rien qu’une issue. Le brouillage, le brouillage, le brouillage… Le mécanisme nous échappe, aucune maîtrise… Les plus prodigieuses études n’y feront rien, ce torrent constructeur nous emportera tous… À peine pourrons-nous pousser de petits cris, à tour de rôle. Les gradins se remplissent, les bancs sont découpés, les mollets aux pantalons troués flageolent. L’attente est gaie et méchante ; seul un simple geste rétablira l’équilibre du désir. Cette pépinière d’exclus fournira les meilleurs souverains, chacun donnera son trône en guise d’aumône expiatoire. L’homme dépêché comme messager de l’espérance, aux écritures à griffes saintes, se fait attendre. Où es-tu ? Ravale ta salive, gris prisonnier, secoue le trésor de tes derniers caillots. En usant cette vieillissante monnaie, en la polissant un peu contre ta peau, tu parviendras peut-être à tirer quelque joyeux feu d’artifice de ce sang valsant, événement dont la piqûre peut donner la fièvre, tempête destructrice, il a déjà tout envahi, le toit du temple est tombé… La mort dans l’âme, dont elle fait sa proie, la mort dans l’âme… Des appels au secours ont été entendus au plus fort de la tourmente, tous confondus en une seule masse, nous le savons, les premiers sauveteurs sillonnent les artères de la cité, malgré la guerre dans laquelle, à force de courage et de patience, on finira par être vainqueur, et viennent chanter, toutes sirènes hurlantes, le réconfort… Cette toile arrête les choses, les garrotte en les entourant de fils… Il faut absolument trouver des renforts, leurs antennes portent de fortes pinces, mais toutes les lignes sont déjà saturées… Ils ont peur, les premiers, très peur, être sur le terrain, trop peur pour réagir encore, des éléments qui tombent… Ça va exploser, je vous le dis, plus rien ne tourne rond, la grande négociation attendue, beaucoup d’eau, très peu de neige sous les images, j’épargnerai tous les détails, pourvu qu’ils soient obèses et roses dans la gorge, les dignes rejetons de la forme d’agitation… Le corps de la vie se lève, s’élève, nous dévore l’un et l’autre. Hors du silence, du sale silence ordinaire, nous dérivons vers cette incertitude rassurante. Cette rencontre devait connaître ce lieu, seul à même de nous héberger et de nourrir notre fruit, tantôt bruyant, tantôt recueilli. Le corps s’anime, appelé hardiment à sortir. Nous allons disparaître.

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