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VI
J’apprends
à lire à l’envers surtout les prospectus.
Je
coupe dans ma tête. Oui, ça s’arrache comme des sparadraps.
Mauricette Beaussart
Cuisses.
Un garçon chantait : Pour moi la vie va commencer/Écarte
tes cuisses laisse-moi passer… Puceau dans une cour de récréation.
Des heures d’observation, facile. Regarder permet d’expulser le réel
de la réalité. Nonobstant votre absence de visage, vous
n’y échapperez pas. Ce flou vortex de tissus sur vos épaules
me fascine. Nous pourrions y déambuler, élaborant de succulentes
mitoses… Des épopées. À moi. L’histoire d’une de
mes fioles. Il y a longtemps, bien avant de devenir une présence
du grand jeu, cette chambre m’a accueillie. Nues, toutes deux, lentement,
avons appris à nous apprécier au gré de nos retrouvailles.
Nous avons senti des passages, contemplé des étreintes,
goûté des larmes, recueilli des confidences, caressé
des visages. La comédie humaine s’est illustrée, ici, brassant
le sang de ses enfants, brandissant les nourrissons aux fenêtres
avant de les jeter dans la cour des mirages. Ma naissance, secrètement
inscrite dans la trame fatale de longue date, assortie d’un nantissement,
fut ressentie comme un pis-aller. Une farce ! Assise sans confort
entre les traînées du doute, écumante de sévérité
et pantelante, ma pubère élue de voix hisse les brèches
en tête du défilé. Et une sœurette, genre croupe coupée,
vient clore ce merveilleux cortège dégueulant d’une cervelle
de Narcisse rassis… Le pollen des météores. Sèche,
ma gorge se noue, infestée de chiffons de rouille. Ma nuque est
grêlée du parcours. Quel devoir de s’engager dans cette portion
du trajet, investi de chausse-trapes et de collets… Fi des lapins !
Je ferai la peau rance à mes soupirants. Ils pissaient aux barbelés,
arrosant ma sœur, ces voyous ! Je leur crèverai les joues…
Ça leur fera une et deux bouches grandeur mature ! Vous ne
riez pas ? Allons, du flair ! Nul, non, nul ne devrait se féliciter
de n’avoir plus, depuis l’aube, subi des invasions comme la mienne. Les
citations à comparaître m’enchantent, talismans, gris-gris,
amulettes patinées. Squames du lexique. Pour ceux qui conversent
avec le centre invisible en quelques secondes, moyennant quelque privauté,
puiser au ruisseau antique, quelle courbature ! Toutes les adolescences
au masque de plébiscite le savent bien. Il faut renouveler le jouir
pour faire forte impression. Les métamorphoses seules se métamorphosent !
Vos doigts sont certainement repus de remèdes. Mes suçons
assoupis de vrille, déportée vers la caduque mendicité…
Vous téterez l’illicite mamelon du bonheur avant de me quitter.
Sentez-vous mon ventre empli de ces fruits d’or tant convoités,
rompus aux refrains des idiots ? Morne norme… Je ne fais que donner
mon jus d’enchanteresse ! Le distillat, libre à vous de l’instaurer.
J’aurais pu être, je suis votre mère. Nos ébats s’embrouillent
dans les rites, nous rions des chromos en parfait désordre. Larve
éclose du sourire des guenilles, je récolte la vapeur, parure
de vos soupirs. Vous qui vouliez des résultats valables et garantis
dans un très court délai… La chaleur de nos manœuvres est
éblouissante. Rechercher, remplacer, vérifier les reprises,
évincer les répétitions, écarteler les redites,
enfoncer les clous, éjecter la pulpe ! Flairant sous les lattes
du parquet, je devine que s’y trouvent, pourrissant, les restes en gémissements
de l’imagination, réduite au bourgeonnement des matières.
Les restes du loquteur… Et l’écorce se fendille, couine, grésille,
purulente princesse… Vous ne comprenez pas ? C’est rassurant. Expliquer,
convaincre de sa bonne foi, é-peler… En matière d’inachèvement,
je ne crains personne. Quelle prétentieuse ! Moquez-vous.
La mécrise a cessé. Semées, les corollaires. Peuplés,
les musées. Liés, les signes de nos errances, corrigées,
les corrections. L’ordre des renvois sera l’ordre des cibles. Nous sommes
ce qui nous ment. Comprenez-le bien : avec une personne (soi),
l’ennuyeux, c’est la valise. À votre insu, on vous a chargé
d’un poids qui ne vous appartient pas. Ignorant, vous avez beau vous plaindre,
râler intempestivement, la vie est dure, ma carcasse s’use, s’étiole…
Il faut traîner toujours la valise. Certains passent une existence
complète à vider la leur, fonds de commerce pitoyable, rarement
extraordinaire. D’autres, malins ou illuminés, prennent conscience
que la chose leur est intruse, salement superflue, puis l’abandonnent,
soulagés, sur un quai de gare, poursuivant seul ce voyage où
il n’y a aucune énigme à élucider. Boule ronde, abcès
immonde à crever : je. La boule au contenu idiot, la
caricature niaise d’exécution, une chose très spontanée
pour laquelle on a beaucoup œuvré. Je éteint l’autre, plus
qu’il ne l’étreint. Nous sommes le juge et l’accusé, le
bâton et la plaie, la mare et le noyé. C’est par cette voie
réconciliatrice que s’engagera la répudiation. Nous sommes
ce qui nous mange. Et ça bouffe, le ver, ça esquinte… Vous
défaillez ? Pourtant, vous comme moi sommes complices de ce
meurtre ! Vous, qui aviez commencé par me suivre entre
ces quatre murs avec la politesse d’un garçonnet bien élevé…
Qu’espériez-vous ? Un cours particulier ? Une
leçon de danse ? Beau programme ! Pour respecter
cette si belle confiance, je me devais de proprement vous violer.
VII @ index
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