Contemporains |
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Favoris
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Le Plot. |
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u même endroit, un peu de sucre, des taches sombres sur le trottoir, jolis débris dans le caniveau. Les images (cest là votre souvenir) remuent un peu, débordent, nous retiennent un moment. Ce coin de rue où lon ne passe jamais sans émotion, que lon ressent comme légèrement concave, même si lidée prête à rire... Dailleurs, nen parler à personne. De son plein gré succomber de nouveau. En bas, les outils noirs, lourds. Partout des penderies, des cartons ficelés, des tréteaux. La resserre, charbon, pommes de terre les germes mauves translucides tendus vers la lucarne, cet ignoble cabinet, sale, bancal, menaçant. En bas, le porche. Sur un sac. Les orages. Lusine en dents de scie. Cet été, portes ouvertes (une chaleur exceptionnelle), on voyait les balles de coton. Sauter dessus. La déception. (Elle a souri, levé les yeux au ciel. Pour un peu elle aurait pouffé. Elle se sentait impatiente, coquine, incestueuse. Il ne sest rien passé, je ne lai pas permis. Son visage abîmé maurait rendu malade.) Il me fallait ruser, ruser avec labsence. Je me voulais sérieux, notais chaque détail sur un cahier. Fatras. On laura emportée, on la ôtée. Cela nous avait échappé. Nous aurions dû être plus vigilants (bien sûr), plus intimement liés au drame, compromis. Il restait ces silences, des indélicatesses. Lacunes. Je devins plus soucieux, je traversais très prudemment les rues. Cétait un soir, un soir de pluie, les lumières nous émerveillaient. Tout était simple et neuf. Javais aussi pensé que je pourrais me reposer ici quelque temps avant de repartir (ce pays donnait limpression irritante dêtre à la fois limpide et plein de hâte, abandonné et grouillant de petites vies confuses, gourmandes, et javais toujours peur, cela ne mavait pas quitté ; jimaginais la haute silhouette titubant sous le soleil épais, me suivant à distance avec des gestes théâtraux). Ce soir, lesplanade, lété. Déserte pourtant. Il reste le sillage de ceux que nous aurions pu côtoyer si lenvie de sortir avait été plus forte. Notre silence nous étouffe. Lorsque je suis revenu, je lai trouvée qui grelottait, assise à la même place. Je lui parlais encore, elle ne répondait pas. Une laideur obtuse envahissait ses traits. Si cest cela mourir, se fuir obstinément, nier... Elle ne me laisse aucune possibilité. Et nous ne dormons plus, et nous ne mangeons pas ; cela est bien plus simple. Ces forêts contournées, louvoyantes, ces fleuves délicats, ciels pesants aux nuages de tourbe, nuages échevelés, fous. La jungle. Amas de caisses éventrées sur la berge. Le premier campement. Ici se nouent les trahisons originelles, et les renoncements. Ici, ce lent enlisement. Feindre. Sobstiner à ne considérer les échéances quen termes matériels : vivres, équipement, porteurs. Cela fit entre eux tous une petite cavité, une mélancolie. Entre larme et nausée ; incomplétude. Les jours passaient sans que rien ne changeât. Nous demeurions fébriles, aux aguets. Les marches épuisantes ny faisaient rien : le soir redevenait inamical. Père est couché à plat ventre sur le sable. Le vent fait claquer les pans de son habit et rouler son chapeau. Nous savons, sans avoir à le vérifier, sans aucune envie de le vérifier, que son visage nest plus quune horrible bouillie où se tordent les vers. Son corps est sec et très léger creux. Nous pensions que Père était ailleurs, quil fuyait pour toujours dans la nuit gémissante. Le lendemain (mais il ny eut que cette lumière pénible et des coupures, des moments dabandon, et des incohérences. Nous subissions cela dans linconfort le plus vif). Il sagit de ne pas se laisser gagner. Jai regretté ces manquements (errer le regard vide par ces banlieues lointaines où nul ne répondra à ses questions, à ses hoquets plaintifs. Il est comme un enfant, sassoit sur le trottoir, ne bouge plus. Il quémande une cigarette). Des incendies se déclaraient ici et là, que nous traversions en riant nerveusement. Dormir, pesamment, soigneusement. Sextraire de temps en temps ; pure nécessité. Puis concéder, admettre, renier, ratiociner. Mais il y eut ce malentendu... Je rabâche. Les ruines ; pas même. Et les jouets, ridicules, boursouflés, écoeurants, insupportables. Et je parcours la ville, je marche. Tout est désert, infiniment désert. Je sais que lon mépie et que lon me désire. On a coché le bois, tracé des sentiers rectilignes, amassé des montagnes. On a disposé de cela avec soin, en respectant les perspectives. (Et déjà épuiser le registre des observations.) Jai passé les barrières, jai traversé des potagers et des pelouses, des cours dusines. Jai remué la tôle. Je me suis vu traqué, cerné, humilié. Dans le noir apparaissaient des yeux, des mains et des bouches méchantes. Je fus saisi et secoué, roué de coups puis emmené dans une camionnette. Sang, poussière, morve. Je frissonnais. Ils pensent que coudoyer la mort les anoblit. Ils sont hautains, et méprisants. Le moindre accroc me désespère, me hante des semaines durant. Du coin de loeil je te surveille. Tu es lasse, affaissée. Tes projets se dénouent. Je me sens tout à coup soulagé. Un fauve maladroit et pelucheux, presque touchant, attendrissant griffes démesurées. (Senfuir dans la nuit cest sortir de soi-même, disiez-vous sentencieusement.) Elle goûte peu cette prolixité. Il renoua avec des terreurs quil avait cru enfouies, redevint petit, se mit à trébucher. Il tomba plusieurs fois, sécorcha les genoux, manqua abandonner, sabandonner rester là et pleurer. Mais aussi sa sueur, cette fibrillation. Jai dormi près de toi, je lai veillée, bordée. Jamais peut-être ne me suis-je senti si satisfait. Repus. Les jours étaient pourtant plus grumeleux, grenus et verdelets. Ils magaçaient les dents. Désormais je ne veux plus partager avec eux. Quils restent là tant quils voudront, disais-je. Jimaginais chez autrui une telle délicatesse... Dire le contraire, en espérant ainsi... Cela échoue, visiblement. De plus en plus fébrile, elle ne cessait douvrir et de fermer les tiroirs dune commode où, nous le savions, ne se trouvaient guère que quelques insectes desséchés et des lambeaux de papier peint. Elle prétendait chercher quelque chose quelle aurait perdu ici, jadis, dans cette pièce (nous qui ne possédions rien). La mort grotesque est un ours débonnaire ; son étreinte pataude révèle soudain de longues griffes tièdes, une gueule béante dont les crocs se referment délicatement sur le crâne du bambin qui continue de rire. Avec hésitation toutefois. Une nuance de doute inquiet. Cette mort est maligne, elle ne cesse de câliner, se délecte (le broiement les os en esquilles sanglantes est ailleurs ; il ne faut pas penser que cet oeil malicieux, ces babines sont mensonges, non : la mort grotesque est pathétique : elle brise maladroitement ses jouets, sen étonne, sen afflige). Ailleurs, les étages affaissés, lescalier effondré, tous recoins adoucis, plâtre humide tassé, ce danger tendre, naïf. Elle a levé les yeux. Son visage est plus jeune, fragile, émouvant, ses yeux sont pleins de larmes ; je dois me faire violence pour ne pas me précipiter et la prendre dans mes bras. (Ses amis font grand remue-ménage et mempêchent de travailler utilement.) Jai résolu cela, jai simplifié. Ils avaient tous menti. Comme prévu. Un magnifique quiproquo. Je somnolais ; il me restait des chances. Sur le quai ; se morfondre près des bennes rouillées. Un tas de poissons morts. Jessaie de me souvenir du trajet quil nous restait à parcourir. Je ne suis pas sûr, je ne suis jamais sûr. Cela me contrarie. Un mot me manque, un mot à peine, mais cela brouille les idées. Battre la semelle dans les embruns et rêvasser tandis que séloignent les flonflons. Ces gens allaient et venaient là autour avec des airs faussement désolés. Bancals. Vraiment, ils auraient voulu nous aider, apporter un quelconque soutien, un mot de réconfort. Ils sessuyaient le front avec de grands mouchoirs à carreaux, sapprochaient, nous regardaient puis séloignaient en soupirant et en bougeant les bras. Un moment assoupi, je me demande sil nest pas mort. Cela arrive. La peau devient moite, épaisse. Alors je referme la porte, je vais très calme jusquau téléphone sous lescalier. Parfois je me détache, je disparais. Il me faut bien revenir de temps en temps afin de constater, encore et encore, que ce fut sans effet. Dans ma façon de faire quelque chose aussitôt les ennuie, les déçoit. Chacun de nous espère tant. Nous aurions seulement souhaité que cessât lironie. Ils prétendent que mes maladresses sont le fruit de patientes manoeuvres, finissent par me craindre. Je ne veux pas sortir, je ne sortirai plus. Trop à faire. Cest si facile aussi, ouvrir la porte, mettre le nez dehors, se dissiper. Retrouver les habitudes. Ce fut si difficile à construire, à méticuleusement préserver. Tout prévoir, imaginer le pire. Doutes. Même mes amis supportent mal cet examen. Ils se troublent toujours et cela les contrarie. Mais je sais, aussi, ne pas me rengorger. Jai cessé dêtre lui lorsque nous sommes morts. Javançais dans la grand-rue, je savais que jétais arrivé. Jen oubliais la soif, lépuisement. Javançais dans la rue, en plein midi. Le silence mimpressionnait et elle est apparue, la mort grotesque, et cétait un duel, un duel dérisoire : comme elle sapprochait, ma vie se retirait. Lorsquelle fut tout près, javais touché le sol. Relève-toi, défends-toi, répétait-elle mécaniquement. Mais ma vie sen allait comme finit une chansonnette. Sa botte contre ma joue meurtrie... Relève-toi, bats-toi... Elle ne sarrêtait pas. Mes dernières forces avaient fondu. Jétais allongé sur le sable, le sable me cuisait, emplissant mes veines, ma gorge, mes poumons comme vermine minuscule. Je restais là, inerte, indifférent. Cette dissolution fut un soulagement. La salle était déserte. Nichées dans les recoins parmi les balayures, les existences grignotantes. Se mettre à pleurnicher, sans raison particulière. |
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