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  Christophe Petchanatz

  Nouvelles du pays des morts.

 


Ce texte a fait l'objet d'une plaquette de 24 pages, parue en janvier 1999, aux Éditions de Garenne.



   

l y en a parmi nous qui se plaisent dans leur passé. Il ne me plaisent pas. Ils ne se plaisent pas à eux même. Je veux vous raconter l’histoire de Manfred.

Manfred a sa demeure à trois allées d’ici. Il parvient à marcher en faisant crisser le gravier. Ce talent lui vaut l’intérêt des nouveaux venus. Quand nous l’entendons, nous essayons de prendre l’air indifférent.

Je comprends mieux Manfred aujourd’hui qu’il m’a demandé de l’accompagner. Ce n’est pas pour se rendre intéressant qu’il foule le gravier. Il a gardé trop de souvenirs d’avant. Il se demande parfois s’il est bien mort.

Là-bas, nous sommes arrivés à la fin de l’après-midi. C’était plein d’herbe, à la campagne, avec des rosiers sauvages en fleurs au bord du pré. Je pensais voir un tracteur qui aurait tiré un char, des garçons et des filles avec des foulards et des fourches, mais il y avait seulement une famille en promenade, qui n’était sûrement pas cultivatrice. La petite fille jouait avec un ballon bleu. J’avais peur que Manfred essaie de taper dedans, mais il m’a emmené sur la route à côté et là il y avait deux filles et un garçon sur des bicyclettes qui descendaient et qui remontaient. Les filles étaient jolies, brunes toutes les deux, une avait l’air un peu tragique, l’autre n’avait pas encore choisi. C’est celle-là que j’aimais le mieux. Elle n’avait pas l’air très sûre sur son vélo. Manfred s’est mis en plein devant elle. Elle a dû sentir quelque chose parce qu’elle a eu un sursaut étonné et elle est tombée juste après. Manfred m’a dit: “ tu vois, je peux faire quelque chose! ” J’étais furieuse. J’ai dit “ Tu peux la faire tomber, mais comment tu pourras la consoler ?” Je sais qu’il y en a parmi nous qui passent le plus clair de leur temps à jouer avec les vivants. Je ne voudrais pas que Manfred devienne un de ces joyeux fantômes. Après ça j’ai voulu rentrer.

Mathilde est une dame inquiète. Elle avait perdu dans un accident sa fille et son fils. Quand elle est arrivée ici, sa fille est une des premières rencontres qu’elle a faite, et ça l’a beaucoup aidée à accepter son nouveau sort. Elle pensait que sa famille allait être enfin réunie. Mais son fils n’était pas là, et la soeur ne l’avait pas revu. Le temps a passé. Mathilde va de l’un à l’autre, personne ne sait rien, et puis nous sommes peu curieux. Une chose pourtant me chiffonne. Comment Mathilde compte-t-elle reconnaître son fils? Et comment sait-elle que Lina est sa fille? Une des premières choses que nous apprenons ici est que personne n’est rien pour personne. C’est seulement dans nos visites de l’autre côté que nous retrouvons au début les gens que nous avons connus. Mathilde est une mauvaise morte, qui essaie de renouer ici les liens étroits de l’autre monde.

Je suis la seule ici apparemment à m’intéresser aux gens, aux événements, à tenir chronique. Cela m’ennuie parfois, car j’ai le sentiment que je nuis ainsi à mon sort. Serais-je moi aussi une mauvaise morte? Je veux pourtant mourir, encore mourir.

Un grand homme gris dans le crépuscule. Il s’éloigne d’un pas raide. Je ne l’ai encore jamais rencontré. On dirait le temps qui passait.

 


Christophe Petchanatz  
    

  
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