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e langage, nous le savons,
cest la pensée. Cest la description de la réalité, du monde. Nous nous
plaignons parfois que le monde soit en désordre, discordant, incohérent. Alors que nous
ne songeons guère à réformer ce qui en constitue lessence. Je ne parle pas ici
des réformettes annoncées à grand fracas, régulièrement, par nos dirigeants ou nos
intellectuels, réformettes vouées à léchec sitôt quénoncées. Ça
nest pas ainsi que lon doit procéder. Ma méthode a ceci de remarquable
quelle est simple à comprendre, aisée à mettre en pratique, et dune logique
exemplaire.
La langue, lorthographe, la grammaire la
syntaxe sont les éléments qui fondent, pour lindividu, sa capacité de
représentation du monde. Si nous convenons, avec Monsieur Lacan, que «
linconscient est structuré comme un langage », nous ajoutons aussitôt
quil convient absolument que ce langage, cette loi, soit cohérent, rationnel
en un mot, le langage ne doit pas être déstructuré ou astructuré.
Pour la petite revue de lHomme Moderne, je me contenterai
ici de quelques exemples faciles à comprendre :
1. Lusage du « a »
en début de mot correspond souvent (mais pas toujours), dans la langue française,
à une posture dite « privative » : acéphale : sans tête
anesthésie : perte de la sensibilité
aboulie : diminution ou disparition de la volonté
agnosie : incapacité de reconnaître ce qui est perçu
agueusie : absence de sensibilité gustative
atonal : système qui nobéit à aucune tonalité
etc.
2. Ce que nous recommandons :
a) Que soit tout dabord normalisé
le « sens » de ce a privatif : absence, perte, diminution ne sont pas
les mêmes choses. Pour des raisons à la fois logiques et historiques, nous préconisons absence.
Cest lhypothèse que nous conserverons tout au long de cette
démonstration.
b) Une fois admis lusage privatif
(je prive de) du a lorsque celui-ci est en début de mot, a signifiant absence,
il convient dexaminer lensemble du corpus constitué par les mots commençant
par a.
c) Bien entendu, à ce stade de notre
travail, nous constaterons que de nombreux mots ne répondent pas, ou semblent ne pas
répondre aux exigences de notre définition : abruti, abricot, amoureux, alibi...
d) Ces écarts à la règle ne sont
constitués, en fait, que des défauts de leurs définitions. Épithètes ou
substantifs commençant par un a se doivent bien, selon notre système, de
répondre à la règle a = absence de.
e) Ainsi, est abruti quelqu'un qui
nest pas « bruti », un abricot est un fruit dépourvu de «
bricot », un amoureux nest pas « moureux », et un alibi
est caractérisé par le fait de nêtre pas « libi ». Ces exemples,
débouchant sur des néologismes, semblent prouver les limites, les faiblesses de notre
raisonnement. Il nen est rien. Nous avons constaté tout dabord une
défaillance des définitions concernant certains mots. Nous avons ensuite «
redressé » les dites définitions pour indiquer celles qui seraient, dans
notre contexte, régulières. Ceci nous amène à constater de nombreuses carences dans le
lexique.
f) Bruti, Bricot, Moureux, Libi ne
sont pas des aberrations, des monstres linguistiques. Ils sont seulement les mots qui
manquaient. Bien sûr, il conviendra par la suite de leur trouver une signification,
un usage ; une place parmi notre discours.
Examinons bruti. Bruti est le complément, linverse
dabruti. Un abruti est une personne qui nest pas brutie. Le dictionnaire nous
donne, pour abruti, la définition suivante : « sans intelligence ». Il
apparaît ainsi clairement, ici, que bruti = avec intelligence. On utilisera ce nouveau
mot comme son opposé, à la fois comme substantif et comme adjectif. Ex : « Notre
instituteur, qui était un bruti, nous considéra avec bienveillance », « Ce
matin-là, il se sentait bruti, comme si la lumière venait enfin dêtre
donnée ». Bien sûr, la contiguïté phonétique entre « brut » et
« bruti » rebutera sans doute quelques lecteurs. Mais sont-ils
aujourdhui gênés par lapparente et paradoxale parenté de ministère et de
minijupe? Je pense quil faut faire la part de la logique et si, de façon réflexe,
le mot bruti ne semble pas vouloir dire ce quil dit cest un peu
vite oublier larbitraire du signe.
Examinons bricot. Un abricot est un fruit dont la
caractéristique essentielle est quil nest pas bricot. Définir un
objet ou une personne par ce quil nest/na pas est monnaie courante (un
aveugle...). Mais, que signifierait « bricot »? Il suffit examiner les
caractéristiques de labricot pour déduire, en creux, ce que désigne bricot. Si,
pour une raison ou pour une autre, nous nétions pas capables de convenir des
caractéristiques de labricot, il va sans dire que nous ne saurions, non plus,
déduire celles de « bricot ». Mais que serait une langue dont on serait
incapable de définir et de caractériser lun de ses éléments constitutifs?
Moureux : est dit «
amoureux » un être « qui éprouve de lamour, qui aime ».
Ici nous sommes confrontés à un problème inédit : il y a dans la définition un mot en
« a ». Amour. Le dictionnaire, toujours, précise : amour «
inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée
sur linstinct sexuel mais entraînant des comportements variés ». Soit «
Mour » : antipathie, dégoût envers une personne, etc. Ainsi, est moureux
un être qui éprouve de la mour envers une personne. De la mour, ou du
mour? Le genre des mots que nous découvrons ainsi nest pas forcément défini par
sa source. A ce stade, rien nest figé, dogmatique. Nous indiquons seulement des
pistes, quil appartiendra à dautres, plus industrieux que nous, des
académiciens par exemple, dexplorer exhaustivement.
Libi enfin, dernier
exemple. Un alibi est « un moyen de défense tiré du fait quon se
trouvait, au moment de linfraction, dans un lieu autre que celui où elle a été
commise ». Un libi serait hélas à charge et indiquerait quon se
trouvait, au moment de linfraction, dans le même lieu que celui où elle a été
commise. Il ne sagit pas dune preuve formelle de culpabilité, mais dun
élément à charge, quil paraît utile de préciser, ce qui nétait pas le
cas jusquici, le concept de libi nétant pas connu. Ainsi, grâce à
nos travaux, le droit se trouve incidemment précisé.
Ces quelques exemples auront, je lespère, intéressé
suffisamment le lecteur pour linciter à poursuivre cette réflexion pour son propre
compte. Il va sans dire quil sagit, ici, dun très bref aperçu de nos
travaux.
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