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e poids des générations mortes n’en finit pas de pourrir le
cerveau des vivants. Enfin, ce qui leur sert de cerveau : reptilien de préférence !
À la bourse des valeurs, les indices cumulés de la peur et de la bêtise améliorent
leur score. la peur devient un marché rentable. L’apocalypse a ses actionnaires,
pourvu que les retombées éditoriales ou sur le web se traduisent en termes de cash-flow.
Ça fait peur, mais ça se vend : argument imparable, qui concerne le dernier movie made
in Hollywood ou le nouvel ersatz mystique disponible sur les linéaires. Sectes, bazar
mystique, l’Apocalypse, c’est très " tendance ".
L’économie de la peur fonctionne à plein rendement. le futur est plein de
" trous noirs ", histoire de masquer une peur bien réelle. La peur du
vide, celle du non-événement total : l’an 2000. L’an 2000, il ne se passera rien, du moins pour les media. Rien
d’autre qu’un sinistre recyclage dont on connaît déjà les ingrédients : des
catastrophes prétendument naturelles ; des zones d’ombre sur les " zones
grises " avec attentats, massacres et meurtres en série. Ajouter la touche
(obligatoire) de l’actualité people, publicitaire et commémorative.
Sans oublier une touche, tout aussi obligatoire d’apitoiement humanitaire (excellent
pour les digestions difficiles). Menu invariable, quoique parfois avarié. Rien que de
très normal : l’écume des jours...
L’actualité est soumise au
même principe d’obsolescence qui s’applique aux rasoirs jetables, à Alain
Minc, ou aux " penseurs " post-modernes et autres philosophes de Cour.
Durée d’utilisation limitée. Après, c’est direct poubelle...
Il n’empêche qu’avec
la peur du Millenium, le temps cyclique revient en force : fin du devenir historique, fin
de l’Histoire. Tout n’est que retour de l’identique, du même. Reviens à
l’éternel, à l’immuable. Fais gaffe à ton karma ! Après tout, le valium
n’est pas fait pour les chiens.
Justement. T’as tout compris : CAVE CANEM !
La peur du Millenium a de quoi
nous énerver. Qui a besoin après tout de régresser au stade des terreurs de l’an
mil ? Nostalgie de l’horreur ou envie de la fin du monde ? La peur du millénium,
rumeur de fin des temps n’est au mieux qu’une régression totale.
Au commencement était la fin ! La catastrophe ! Manière d'ignorer que la peur de la fin
est d'abord peur d'un monde qui a perdu son sens, fonctionne comme théâtre absurde,
théâtre de l'Horreur : ingestion de boues animales, techniques de clonage
(anthropotechnologie) voire armes psychotroniques… Au Carnaval de l'Horreur les
rôles sont déjà bien distribués !
La perte de sens du monde n'est point liée au destin, au fatum, au hasard (1). Mais bel et bien liée à l'ordre des choses. Un ordre où les
choses, la valeur comptent plus que le vivant, comme dans le scénario d'une alchimie
négative où l'or devient boue. S'agit-il d'un mauvais rêve ? Tout le problème vient du
fait que le mauvais rêve est devenu réel. La catastrophe n'est pas à venir : elle a
déjà eu lieu. L'enfer, le Sheol n'est pas dans l'au-delà, mais bien ici-bas. À nous
d'en sortir (comment?).
On peut répondre que la raison
n'a pas à s'effacer devant des mystiques de bas étage. Tout cela pue comme le vieux
couple Peur/artefacts mystiques. Il faut avoir le Q.I. bloqué à 105 pour croire au new
age, au kali yuga, au qui jong ou aux "centuries". Ou —ce qui n'est pas
incompatible— le cerveau ramolli par la syphilis, l'absinthe, TF1 ou le stalinisme.
Ne nous faisons pas trop d'illusions cependant quant à une éventuelle "sortie du
tunnel". La force de la bêtise réside dans la non-pensée érigée en système. «
La bêtise au front de taureau » (Baudelaire) ou « la nuit où toutes les vaches sont
noires », comme le disait Hegel à propos de l'idéalisme de Schelling, qui croit que
l'attitude philosophique implique l'accès immédiat à l'Absolu. Imposture de l'Absolu et
de ceux qui en font leur fonds de commerce. Imposture du Millenium. On solde. Le futur est
à notre portée.
À portée de quoi au fait ?
P.S. : Si « le sommeil de la Raison engendre des monstres
», il est temps de passer un pacte avec l'insomnie ! Ne pas dormir, cela vaut mieux que
de mauvais rêves !
(1) W. Benjamin, d'après Adorno, explique pourquoi la tête de mort
fonctionne comme objet-symbole de l'âge baroque. Qu'évoquent la confrontation à des
orbites noires, vides, à un rictus grimaçant, sinon le face à face avec le néant.
Celui de l'être face à un ciel vide ; où la vieille évidence théocentrique laisse
place à l'angoisse. |
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