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Le journal qui mord et fuit...  

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Les misérables

(1) La rentrée littéraire des patrons

La rentrée littéraire fut à l’image de l’année économique : tout pour les riches et leurs propagandistes. Se répondant de manière presque parfaite, trois comportements ont donné le ton : l’impudence chamarrée du milliardaire Bernard Arnault (publié par Plon) ; l’omniprésence du milliardaire Jean-Marie Messier (publié par Hachette) ; la connivence débridée de Jean-Marie Colombani, patron du Monde, et de son conseiller milliardaire Alain Minc (tous deux publiés, au même moment, par Grasset).

Commençons par Bernard Arnault. Le patron de LVMH (Dior, Vuitton, Guerlain, etc.) et deuxième fortune de France (89 milliards de francs, dont 74 « gagnés » ces deux dernières années) a convié un journaliste de (bonne) compagnie à lui demander : « Êtes-vous d’un naturel dépensier ? Avez-vous par exemple plusieurs maisons, un château ? » Patiemment, Arnault a expliqué : « Je ne suis ni dépensier, ni pingre. Quant aux maisons, je crois qu’il ne faut pas en avoir trop. Il faut avoir le temps d’y aller. 1 »

Au moment où Arnault enseignait ce principe de frugalité élémentaire – ne pas avoir « trop » de maisons –, deux autres gloseurs opulents, Jean-Marie Messier et Alain Minc, encombraient les rayonnages et enfumaient les médias de leur remugles éditoriaux.

Dans ses carnets tout juste publiés par Grasset, le directeur du Nouvel Observateur a expliqué comment opère en France le système de renvois d’ascenseur au service de la sous-pensée de marché. Le 13 octobre 1999, le téléphone de Jean Daniel sonne. « Jean-Marie Colombani me demande “comme un service” de rendre compte, dans Le Monde, du livre d’Alain Minc. Je n’ai pas donné de réponse. D’abord parce que le directeur du Monde n’a pas été poli ces derniers temps avec moi… 2 »

  Jean-Marie Colombani me demande “comme un service” de rendre compte, dans Le Monde, du livre d’Alain Minc.

La mémoire défaillante du vieillard lui revint. Colombani (alias Raminagrobis 3), dont le manque d’imagination rivalise avec l’obséquiosité, lui avait un jour susurré : « Je vous confesse que, sans la lecture de vos écrits, l’idée ne me serait pas venue de faire du journalisme. 4 » Un mois plus tard, le 14 novembre 1999, le téléphone de Daniel sonne à nouveau : « Jean-Marie Colombani me demande encore de parler du livre de Minc. » Cette fois, Jean Daniel, dorloté par le souvenir de la flatterie raminagrobique, s’exécuta.

L’heure sonna de rendre la politesse à Jean Daniel. Raminagrobis siffla son palefrenier. Une moustache vibra. Deux petits yeux de fouine se plissèrent. C’était Edwy Plenel. Le directeur de la rédaction du Monde démarcha frénétiquement le dernier livre de Jean Daniel dans son émission de télé-achat de LCI (« Le Monde des idées », LCI, 10.12.2000). Edwy fit ensuite publier un compte rendu, naturellement enthousiaste, de l’ouvrage du directeur du Nouvel Observateur dans Le Monde (22.12.2000). Dans ce même numéro, une éditorialiste du Nouvel Observateur, Françoise Giroud, faisait la critique, naturellement enthousiaste, du livre (naturellement falot) d’un journaliste du Monde, Daniel Schneidermann. Ces affaires réglées, le grand journal de référence s’indigna des partages de pots-de-vin entre RPR et PS…

Alain Minc : « Les gens qui sont au chomâge depuis plus de deux ans fabriquent avec leurs familles et leur environnement les 5 ou 6 millions d’exclus qui sont la honte de la société française. »

Alain Minc n’attend jamais longtemps avant de récidiver dans la jacasserie éditée. En octobre dernier, donc, le président du conseil de surveillance du Monde, désormais surnommé « le nabot malfaisant » (une expression empruntée à Karl Marx), prétend avoir écrit « Le Capital, tome II ». Ce nouveau livre de Minc constitue surtout un pot-pourri des niaiseries dont l’auteur, également PDG de A. M. Conseils, abreuve les patrons de l’ex-« nouvelle économie ». Raminagrobis-Colombani est une fois de plus préposé au service de presse. Mais le directeur du Monde ne se contente plus d’exiger de ses confrères des odes éblouies célébrant les incontinences « littéraires » de Minc. Non, Colombani a le toupet d’inviter Minc à France Culture dans une émission de ragots hebdomadaire, « La rumeur du monde », offerte l’année dernière aux chefs du Monde par Laure Adler. Selon une étude consultée par PLPL, cette production provoquerait l’accablement des auditeurs que la station a conservés malgré les monde-anités arrivistes de sa directrice. Le 25 novembre 2000, France Culture faisait écouter sa déférence.

Colombani : Nous sommes aujourd’hui avec Alain Minc, avec qui nous allons parler du nouvel âge du capitalisme. Il vient d’écrire un livre qui est un succès de librairie, qui s’appelle […] et qui justement pénètre un petit peu au cœur de la machine, de ses mécanismes et de, au fond, de ce qui nous attend probablement parce que nous vivons dans l’idée que, au fond, l’Europe est toujours avec un temps de retard par rapport aux États-Unis. Il y a deux choses fortes, au fond, dans le livre d’Alain Minc… Et je vais inciter tout de suite Alexandre, Alexandre Adler évidemment, à engager le fer avec Alain Minc. Alexandre ?

Alexandre Adler : Oh, engager le fer, non ! Parce que, en fait, moi, ce que j’ai beaucoup admiré dans l’analyse d’Alain Minc, ce que j’ai trouvé remarquable dès le départ, il montre au fond que il s’agit de la combinaison d’éléments aléatoires ou un peu indépendants les uns des autres.

Avec cette bouillie de mots mal mâchés par des mondains arnachés, France Culture venait – « au fond » – de toucher le plancher de la culture. Restait, pour la radio de Laure Adler, à pulvériser ses concurrents sur le front de la canaillerie patronale, à faire encore plus vil que Jean-Marc Sylvestre ou Jean-Pierre Pernaut. Chauffé à blanc par son attaché de presse (Colombani), Alain Minc s’y employa. Du haut de sa dizaine de millions de francs de revenus annuels gagnés en partie grâce à François Pinault (dont Minc est le conseiller 5) et à l’argent du Crédit Lyonnais, le président du conseil de surveillance du Monde toisa les chômeurs et les pauvres avec dégoût, les qualifiant de « sous-société ». Puis il insulta ceux qui, pour lui, ne représentaient que des bras à peine bons à le servir : « Les gens qui sont au chômage depuis plus de deux ans fabriquent avec leurs familles et leur environnement ces 5 ou 6 millions d’exclus qui sont la honte de la société française. » S’avisant de l’étendue de sa vilenie, Minc, qui n’a que 51 ans, ajouta néanmoins comme pour s’excuser : « On finit par être obsessionnel en vieillissant. »

La suite du dossier...

1. Bernard Arnault, La passion créatrice, Plon, 2000, p. 134.

2. Jean Daniel, Soleil d’hiver : Carnets 1998-2000, Grasset, p.190.

3. Colombani a été affublé de ce surnom – emprunté à un personnage de Rabelais puis de La Fontaine – par une journaliste du Monde des Livres, en avril 1998. Au figuré, Raminagrobis désigne un individu à la fois hypocrite et prétentieux (lire PLPL n°1). Immédiatement adopté par l’ensemble de la rédaction, puis par la fabrication, ce surnom s’est ensuite propagé dans les salons parisiens où il est désormais aussi célèbre que les pitreries de son support. Fou de rage, Raminagrobis aurait lancé son limier Edwy sur la piste de la journaliste irrévérencieuse.

4. Jean Daniel, op. cit., p. 235.

5. Sur les manigances de Minc avec Pinault, sur les liens du Monde et des grands capitalistes, lire le dossier de PLPL n°1.