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L’AUTRE
GUERRE DES MÉDIAS
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Les
pyromanes de l’insécurité
« Insécurité »
sur tous les fronts. « Une véritable scène de guerre
urbaine », « La nouvelle guerre » :
le premier titre (France Inter) renvoie à un tir de bazooka
à Béziers, le second (Le Figaro) à une double frappe
chirurgicale à New York. Les sujets changent, le matraquage
demeure. Après la pensée unique – l’économie, c’est
le marché –, la presse découvre la déclinaison unique :
l’« insécurité » quel que soit le sujet.
En
1997, le gouvernement Jospin choisissait de masquer son
libéralisme économique par l’interventionnisme policier.
Privatisations d’un côté, Vigipirate de l’autre. Quatre
ans plus tard, au moment d’expirer, englouti sous un amas
de barbe molle, le parti communiste vend L’Humanité
à Matra-Hachette et se déclare « solidaire »
des maîtres du Pentagone.
Le
parti de la presse et de l’argent (PPA) ne se contente plus
de relater les croisades sécuritaires. Il les mène en première
ligne, tambour battant. Robert Solé, médiateur du Quotidien
vespéral des marchés, fait le paon : « La
rédaction du Monde a décrété la mobilisation générale. »
(QVM, 16-17.9.01)
Elle
n’est pas la seule.
Sur France Inter, le 6 septembre dernier, un auditeur excédé
par l’endoctrinement sécuritaire interpellait un journaliste
galonné : « Moi je me dis que si demain il
y avait la même médiatisation sur l’écart grandissant entre
les rémunérations des salaires et du capital, dans les sondages
les Français diraient que le problème numéro un c’est l’augmentation
des salaires. » On lui coupa la parole. Pour la
donner à un commissaire de police. Depuis, cet auditeur
a rejoint les camps d’entraînement de PLPL. Et ce
qu’il n’a pas pu dire, c’est ce qui suit…
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Quand
les médias (qui mentent) ont oublié, PLPL se souvient.
C’était il y a dix-sept ans. Le 29 octobre 1984, Jean-Pierre
Destrade, porte-parole d’un parti socialiste dont Lionel
Jospin est alors le premier secrétaire, donne de la voix :
« Il est urgent que le gouvernement s’engage plus résolument
dans le combat contre l’insécurité. » Destrade
exige davantage de « fermeté », « des
peines incompressibles pour certains criminels, une réduction
encore plus notable du nombre de permissions de sortir et
des libérations conditionnelles », sans oublier
« un plan d’équipement de la police » (QVM,
01.11.84). Le président de la Ligue des droits de l’homme
s’avoue « consterné » : « Ces déclarations
sont imprégnées de l’idéologie sécuritaire la plus réactionnaire.
Il est stupéfiant de voir les théories de l’extrême droite
reprises en compte par une certaine gauche. »
Nul
ne serait stupéfié aujourd’hui… Demandeur de « peines
incompressibles pour certains criminels », Jean-Pierre
Destrade peut se féliciter de n’avoir pas été tout à fait
entendu à l’époque. Car, grâce au « laxisme »
judiciaire ambiant, il n’eut pas eu à purger l’intégralité
de sa peine de prison… Il est vrai qu’il avait eu l’habileté
de voler un bœuf plutôt qu’un œuf, s’engraissant personnellement
grâce aux énormes dessous-de-table versés au parti socialiste
par des hypermarchés.
Parce
qu’ils ont pris place dans une croisade sécuritaire et guerrière
nauséabonde, les médias (qui mentent) au service des patrons
(qui plastronnent) s’abstiennent d’évoquer ce genre de souvenirs.
Pourtant, on le sait à présent, la plupart de ceux qui,
moustache au clair, ont glapi en faveur de la loi et l’ordre
se sont révélés être des fripouilles. Tel ancien maire de
Nice, proche du Front national, ne cessait de réclamer davantage
de police et de poigne… jusqu’au jour où les tribunaux l’ont
contraint à aller dépenser en Uruguay les sommes extorquées
à ses administrés. Tel autre champion de la « lutte
contre l’insécurité », réélu maire RPR d’une ville
détenant le record de caméras de surveillance au centimètre
carré, restera célèbre pour avoir tout à la fois utilisé
des employés municipaux à titre de domestiques personnels
et contraint, pistolet au poing, une malheureuse à lui faire
une fellation. Tel ancien ministre de la Justice, théoricien
sécuritaire du RPR dans les années 1980, a fini mis en examen,
le 30 août dernier, pour « recel d’abus de biens sociaux ».
Gauche
plurielle :
de Robert Hue à Robert Pandraud
Lionel
Jospin a récemment distingué Robert Pandraud, député RPR
de Seine-Saint-Denis, en lui confiant une mission de réflexion
destinée à « élaborer un nouvel instrument statistique
de l’insécurité. » Dans Le Point du 13 juillet
2001, Pandraud fut aussitôt décrété « en forme ».
PLPL rappelle les états de service du nouveau conseiller
de Jospin : c’est au moment où Pandraud était ministre
délégué chargé de la Sécurité dans le gouvernement Chirac
que furent renforcés les pouvoirs de la police sous couvert
de lutte contre le « terrorisme » ; qu’on
utilisa massivement les camps de rétention, créés par la
gauche, pour regrouper les étrangers en instance de reconduite
à la frontière ; qu’une réforme du code de la
nationalité permit de trier plus facilement ceux qui « méritaient »
d’être Français ; que furent institués le système
des repentis et la pratique de la délation rémunérée ; qu’on
revint de fait à une juridiction politique d’exception,
laquelle s’« illustra » à l’occasion du procès
d’Action directe 1.
Et
PLPL n’oublie pas non plus qu’en décembre 1986, quinze
ans avant les exploits de la police italienne à Gênes, Malik
Oussekine fut matraqué à mort par une brigade de voltigeurs
français galvanisés par les discours de Pandraud. Est-ce
un tel bilan qui lui a valu d’être promu statisticien de
l’insécurité par le gouvernement de la gauche plurielle,
communistes et écologistes compris ?
Non,
car il fut jugé insuffisant. Actuel porte-parole du parti
socialiste, Vincent Peillon a ainsi reproché aux « braillards
de la droite qui veulent exploiter le sentiment d’insécurité »
de n’avoir « rien fait quand ils étaient au pouvoir ».
(QVM, 05-06.08.01) Quelques jours plus tôt, au moment
de l’assassinat du militant anticapitaliste Carlo Giuliani
à Gênes, le petit braillard Peillon feignait pourtant l’indignation
et dénonçait la « prise en otage » des
manifestants de Gênes par « une police à la stratégie
pour le moins douteuse ». Et il pleurnichait :
« Nous aurions dû être à Gênes parce que les valeurs
que défendent ces manifestants sont les nôtres. […]
Les socialistes ne seront plus absents. » (Le
Nouvel Observateur, 25.07.01)
En
somme, ils tirent et ils pleurent. À moins que ce ne soit
l’inverse. Les socialistes et leurs alliés s’apitoient sur
un manifestant tué par la police puis ils arment la police
qui tuera les manifestants.
Le
dictateur de l’hebdomadaire Marianne, Jean-François
Kahn, n’a pas tous ces scrupules. Aussi favorable à la répression
chez Berlusconi que dans les banlieues françaises, il siffle
de rage : « Les méthodes débiles des anarcho-casseurs,
si privilégiées par les médias [sic], et que la gauche
bourgeoise n’a pas hésité à caresser dans le sens du poil
[re-sic], sont répugnantes. Elles le sont à Gênes,
mais aussi dans nos cités. » Les lecteurs de PLPL
comprendront à quel point les médias « privilégient »
la contestation radicale quand ils sauront que : « La
tactique des Black-Blocks, c’est “mords et fuis”. 2 »
Fuir ? Comment y parvenir dans une Europe qui se construit
chaque jour un peu plus autour de la police et de l’argent
(euro), de la police pour protéger les détenteurs d’argent ?
Otto Schily, ministre allemand de l’Intérieur, a proposé
la création d’une « police anti-émeute européenne. »
Si demain elle intervient dans « nos cités »,
Jean-François Kahn s’avouera comblé…
Interrogé
le 28 août 2001 sur TF1, le Premier ministre Lionel Jospin
avait rappelé le sens de la « lutte collective »
menée depuis 1997 : « gagner la bataille de
l’insécurité. » Il y a deux ans, l’ancien ministre
Pierre Pasquini et le député UDF Arthur Paecht jalousaient
déjà la surenchère policière de l’axe socialo-citoyenno-vert-huiste
et interrogeaient : « Croit-on qu’il faille,
sans réagir, laisser la gauche être sécuritaire à notre
place ? » (Le Figaro, 26.01.99) François
Goulard, secrétaire politique de Démocratie libérale (DL,
madeliniste) cherchait à les rassurer : « Nous
pouvons encore attaquer le gouvernement sur le problème
de l’insécurité. » (L’Express, 01.06.00)
Le petit traître balladurien Nicolas Sarkozy leur fit écho
quelques mois plus tard : « La prison doit
être un élément majeur de notre politique de sécurité. »
(Le Point, 31.08.01)
1.
Lire Jean-Paul
Jean, « Le libéralisme autoritaire », Le Monde
diplomatique, octobre 1987.
2. « Les
casseurs du G8. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?
Jusqu’où iront-ils ? », Le Figaro-magazine,
28 juillet 2001.
3. Alors
directeur d’un obscur institut de sondage raminagrobique,
le Cecop.
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L’AUTRE
GUERRE DES MÉDIAS
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De droite ou de « gauche », chaque thuriféraire
de la police sait pouvoir compter sur l’axe que forment
les médias et les sondeurs colporteurs de peur. Dès août
1999, Jérôme Jaffré 3
– que Philippe Seguin décrira plus tard, à juste titre,
comme « un fat, imbécile et prétentieux »
(FIP), « un copain de Colombani » (lire
PLPL, n° 5) – donna le ton : « Il
y a une montée de l’insécurité dans les priorités des Français.
Au premier semestre de cette année, plus d’un quart des
interviewés cite “la lutte contre la violence et la criminalité”
comme problème numéro un du pays, score jamais atteint depuis
un quart de siècle. Au début de 1995, seuls 6 % des
Français plaçaient ce problème en tête de leurs préoccupations.
[…] Le discours plus ferme [du gouvernement de
gauche] sur l’insécurité et les peines infligées aux
délinquants, même très jeunes, visent à prendre en charge
ces préoccupations. » (QVM, 15-16.08.99)
Le
FIP Jaffré aurait-il détecté cette « montée de l’insécurité
dans les priorités des Français » sans le fanatisme
doctrinaire des médias qui lui paient ses sondages ?
Fanatisme, le mot est encore faible quand des dessinateurs
de presse assimilent les délinquants à des « rats »
qu’on doit « exterminer » (voir ci-dessous
l’un des ultimes croquis du grabataire Jacques Faizant dans
Le Figaro), ou lorsque le QVM sonne l’« alerte »
contre la « délinquance » à coup d’affichettes
dignes de la propagande « anti-terroriste »
du régime de Vichy.
Dénoncer
l’insécurité ou le terrorisme à coups de manchettes hurlantes
est aussi la spécialité du quotidien Le Parisien.
La politique éditoriale de ce torchon consiste en effet
à décliner la thématique de l’insécurité sur tous les tons.
PLPL a conservé les « unes » de ce journal
(lire
page 12 de ce numéro) qui, avec son édition
nationale Aujourd’hui, endoctrine deux millions de lecteurs.
Dès
le 3 janvier 2001, Le Parisien prévient en « une » :
« Trains de banlieue : l’insécurité monte »
Un mois plus tard, c’est « Violence des enfants :
les parents débordés ». (03.02.01) Le 25 février,
l’édition dominicale dévoile « Les vraies raisons
de la guerre des bandes ». Une semaine passe et
« La violence est entrée à l’hôpital ».
(02.03.01) Puis vient le tour des médecins : « Banlieue :
le SOS des médecins », l’interview d’une commerçante
« agressée 56 fois dans sa pharmacie ».
À partir de juillet, le terrorisme sécuritaire devient quasi
quotidien. Le 7, on annonce une « Montée de la violence
dans les trains grande ligne » – au retour
des vacances, ce sera : « Trains. Comment
voyager en sécurité ». (31.08.01) Au plus fort
de cette vague, Le Parisien titrait : « Banlieues.
Les pompiers ont peur ». (17.07.01)
Début
septembre, un individu tire sur la police à coups de bazooka.
La télévision embraye avec de nouvelles idées. Du 4 au 6
septembre, les journaux de France 2 et de TF1 enchaînent
des sujets sur les armes dans les cités, l’islam dans les
banlieues, la menace terroriste (déjà !). « De
la ville à l’école, l’insécurité est devenue le principal
sujet de préoccupation », coassait Daniel Bilalian.
(France 2-13 heures, 06.09.01) N’est-il pas temps pour le
FIP Jaffré de sonder à nouveau quelques drogués des médias
chauffés à blanc ? La lutte contre l’insécurité est,
assurément, leur première priorité…
Le
monde enchanté de la délinquance patronale
Pittbulls,
bandes de délinquants, « tournantes » dans les
caves, couvre-feux, violences urbaines, bandes de filles,
palmarès des « cités interdites », convoyage d’euros
dans les quartiers chauds, incivilités, chiffres de la l’insécurité,
héroïsme de la police, délinquance en vacance, fondamentalisme
musulman… les thèmes retenus par les journalistes au prétexte
d’informer sur « l’insécurité » suggèrent que
les quartiers populaires seraient aussi mal famés que des
bagnes. Et que ces « jeunes » représentés avec
un bandeau noir sur les yeux ou le visage « mosaïqué »
auraient davantage leur place devant un échafaud qu’au pied
des tours. Les médias que détiennent des milliardaires se
plaisent à criminaliser les pauvres.
« Il
faut maintenant tourner une page », plaide Nicolas
Sarkozy dans Le Point (31.08.01). Mais ce n’est pas
le sort des habitants des quartiers pauvres qui préoccupe
le petit traître balladurien (PTB), maire de Neuilly. C’est
le destin de ses amis patrons. Sarkozy est indigné :
« La moitié des chefs d’entreprises du CAC 40 a
été mise en examen. » De fait, au cours du seul
mois de juin dernier, Claude Bébéar, patron d’Axa, a été
mis en examen pour « blanchiment de capitaux aggravé »
et Alain Gomez, ancien patron de Thomson, inculpé de « complicité
de tentative d’extorsion de fonds, abus de biens sociaux
et recel ».
PLPL,
qu’aucun préjugé n’encombre, s’est demandé si les médias
(qui mentent) traitent sur le même registre nauséeux les
turpitudes patronales et les quartiers populaires. Le 21
octobre 2000, Le Point (propriété de Pinault) publiait
un dossier sur Jean-Luc Lagardère, patron de Matra-Hachette.
Pour évoquer la manière dont ses missiles sèment la mort ?
Pas tout à fait. Les journalistes avaient préféré consacrer
six pages à la « passion » des chevaux qui, selon
eux, consumait le marchand de canons 4 .
Plus agressif, Le Figaro Magazine a enquêté sur la
« passion » musicale « secrète » de
trois exploiteurs : Bernard Arnault (LVMH), Jean-Marie
Messier (Vivendi) et Michel Pébereau (BNP-Paribas) 5.
Patron-passion, patron-pianiste, patron-artiste, l’image
fut jugée à ce point délicieuse que Les Échos consacrèrent
à leur tour deux pages aux goûts musicaux de Bernard Arnault
(12-13.01.01). Serge July-Crassus, patron de l’Écho des
start-up (ex-Libération), ordonna sur le champ
à ses commis de rédiger un article dont il aurait choisi
le titre : « Ces entreprises où l’on dit “Merci
patron” ». (ESU, 28.12.00)
Aux
profiteurs, qui sont leurs propriétaires, les médias servent
des compliments plein d’aromates. Du peuple, ils imposent
l’image d’un ramassis de fripouilles. Les médias mentent.
Incivilités
médiatiques
La
poigne et la cogne qui alimentent les programmes des médias
protègent également les journalistes de la haine croissante
qu’ils inspirent. Canal+ (Vivendi) vient ainsi de recruter
pour « directeur des moyens généraux »
un certain Gilles Kaehlin. Cet ancien barbouze de Mitterrand
a participé à l’arrestation des membres d’Action directe,
« lors d’une opération hasardeuse qui a failli très
mal tourner ». Puis, devenu « chef de la
police de l’air et des frontières de l’île de Saint-Martin,
il dut s’enfuir après que deux cents personnes eurent saccagé
le commissariat local pour protester contre l’expulsion
massive d’étrangers en situation irrégulière ».
(Le Point, 17.08.01) Karl Zéro, employé de Canal+,
devrait enquêter…
TF1
n’est pas en reste. Relatant une conférence de presse de
la chaîne Bouygues du 29 août 2001, Le Journal du dimanche
écrivait : « On se serait cru au G8 avant la
bastonnade, avec service d’ordre recruté dans l’amicale
des paras : cheveux ras, mâchoires serrées, oreillette
en sautoir. » (02.09.01)
« Sécuriser »,
ce mot d’ordre est désormais celui des dirigeants du journal
Le Monde qui, de plus en plus, redoutent une occupation
de leurs locaux (21 bis, rue Claude-Bernard, 75006 Paris)
par des militants anticapitalistes. Instruits par PLPL,
ces derniers ont en effet compris que, au nombre des cibles
de la guerre idéologique, le sigle QVM devait rejoindre
OMC, USA et FMI.
4.
À cette occasion, Jean-Luc Lagardère (à qui Jospin et Strauss-Kahn
ont bradé Aérospatiale) explique : « Quand
je veux comprendre un homme, je l’observe comme un cheval. »
5. Le
Figaro-magazine, « Piano. Trois grands patrons
donnent le la » (03.06.00).
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L’AUTRE
GUERRE DES MÉDIAS
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En attendant, Edwy Plenel, directeur de la rédaction du
quotidien pro-américain, a lancé ses limiers sur la piste
de la peur, c’est-à-dire dans « les trains qui relient
la banlieue à Paris ». Évoquant une bagarre entre
jeunes, Le Quotidien vespéral des marchés citait
goulûment un certain « Manu », qui expliquait :
« S’il n’y avait pas eu les CRS, y aurait pu avoir
des morts. » (Le Monde 2, 03.01, p. 94-97 6)
Les chemins de fer, c’est la guerre ; la police,
c’est la vie 7.
Quelques semaines après cette percutante analyse du Monde
et de « Manu » (militari), Carlo Giuliani mourait
à Gênes. Il n’avait pas pris le train mais rencontré des
policiers italiens.
Pour
gagner la guerre du racolage, remplir d’euros ses caisses
exsangues et réussir son introduction en Bourse, Le Monde
devait en faire davantage. En août dernier, des milliers
de vendeurs de journaux se virent offrir par les services
du QVM des affichettes publicitaires « Délinquance :
Alerte ! » (voir
p. 4). À l’égal des marchés, la propagande
policière dispose ainsi désormais de son quotidien vespéral.
Et sur ce nouveau front choisi par le Roi du téléachat Edwy
Plenel, ce fut l’avalanche. Le 2 août, Le Monde faisait
sa « une » sur « Délinquance : les chiffres
qui inquiètent ». Un des articles, titré « Week-end
de violences ordinaires dans la Seine-Saint-Denis et le
Val-de-Marne », ressemblait à un libelle de France
Soir mâtiné de National Hebdo : « Le samedi,
à 7 heures, un homme a été agressé à son domicile, à Vaujours.
Après l’avoir ligoté, ses trois agresseurs lui ont dérobé
son téléphone mobile et une somme de 13 000 francs.
Quatre heures plus tard, un chauffeur qui rentrait chez
lui a été attaqué à Saint-Ouen. Sous la menace d’une arme,
il a dû vider son portefeuille, qui ne contenait que 350 francs.
À 14 heures 30, des violences avec arme ont été
signalées à Bagnolet. »
Un
éditorial moustachu complétait le propos : « On
doit constater que l’insécurité des citoyens s’accroît et
que les craintes, voire les angoisses, dont beaucoup d’entre
eux se font l’écho, sont en grande partie justifiées. C’est
sans doute le principal échec de la gauche, qui a tardé
à prendre conscience de cette situation et qui ne s’est
pas donné, en temps voulu, les moyens d’y faire face. 8 »
La police italienne s’était, elle, donné les moyens de « faire
face ». Tout en versant quelques larmes de crocodile
sur le corps du manifestant assassiné, Le Monde avait
stigmatisé en priorité « une minorité d’anarchistes
formée en commandos de casseurs ». Quant aux tueurs
et aux matraqueurs, ils étaient tout juste coupables de
« bavures dans l’organisation de la sécurité ».
Le QVM les avait absous : « On peut
comprendre que, à Gênes comme à Göteborg, des policiers
cernés par des manifestants déchaînés aient pris peur au
point d’utiliser leurs armes. 9 »
Georges
Frèche, de Mao à Mussolini
C’était
quelques jours après l’assassinat d’un manifestant
anticapitaliste par la police italienne. Lors des
Rencontres de Pétrarque organisées par Le Monde
et France Culture – deux médias fascinés par
la police 1 –
Georges Frèche, maire « socialiste » de
Montpellier et ancien militant maoïste, s’emporte
et vocifère :
—
Je regardais la pancarte qui était là tout à l’heure :
« Policiers assassins ! » Je ne suis
pas d’accord ! Les policiers sont des êtres humains !
Le policier qui a tiré à Gênes a eu peur. Il a tiré
parce que les policiers, la nuit, dans les rues… C’est
pour ça que je défends la police. Le mot « police »,
ça vient du grec polis qui veut dire « ville ».
Une ville c’est l’endroit où il y a la sécurité. Sans
police, il ne peut pas y avoir de sécurité. Et sans
sécurité, il ne peut pas y avoir de démocratie. S’attaquer
à la police en général, c’est une forme de racisme.
[…] Un jeune est tué par un policier qui a peur. Et
y a des tartines dans le journal. Et moi, j’ai un
de mes amis dont le fils est gendarme, il a été abattu
par un jeune d’une balle dans la tête. Mais ça n’a
fait que trois lignes dans la presse ! Ce n’était
qu’un gendarme ! Il ne faisait que son travail !
Il était bon à tuer ! Le public de notables socialistes
et de profs de philo ratés fit à l’auteur de cette
harangue un triomphe digne de Mussolini 2.
Les glapissements de Georges Frèche furent promptement
diffusés par France « Culture »…
1.
Le journaliste du Monde chargé des questions
de sécurité, Pascal Ceaux, est un ancien élève de
l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure,
une officine du ministère de l’Intérieur qui se consacre
à « forger l’esprit de sécurité intérieure »
chez des chercheurs, des juges, des journalistes et
des patrons. Quant à France Culture, ses émissions
du dimanche matin ressemblent à un forum du délire
sécuritaire (lire
PLPL, n° 4).
2. Les habitants
de Montpellier ne cessent d’évoquer la mégalomanie
de Frèche et ses goûts architecturaux très proches
de ceux du dictateur fasciste italien.
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Dans
les médias (qui mentent), la mansuétude pour la police,
y compris quand elle tue, devient routine. Dès le 1er février
dernier, Jacques Julliard faisait l’éloge dans Le Nouvel
Observateur des méthodes pratiquées aux États-Unis :
« Ce que les Américains appellent “tolérance zéro”
n’est pas autre chose que la volonté de faire respecter
et d’appliquer la loi dans son intégralité. » L’ambassadeur
des États-Unis en France avait détaillé quelques mois plus
tôt le fonctionnement de cette « tolérance zéro »
qui séduit Julliard et ses amis socialistes : « On
vous arrête aussi bien pour avoir utilisé le métro sans
titre de transport que pour avoir vendu de la marijuana
à la porte d’une école. […] Aucune circonstance atténuante.
[…] On met en prison les contrevenants puis on les
interroge, l’idée étant que les petites délinquances conduisent,
tôt ou tard, aux grandes. » (Le Figaro Magazine,
09.05.98) Une telle philosophie du « qui vole un œuf
vole un bœuf » a permis aux États-Unis de pulvériser
des records d’incarcération (près de 2 millions de détenus !).
Elle ne pouvait manquer de fasciner Laurent Joffrin-Mouchard,
directeur de la rédaction du Nouvel Observateur.
Toujours aussi menteur, Mouchard expliqua : « Le
point faible du bilan de la gauche, c’est bien l’insécurité.
[…] La gauche a échoué sur un point décisif :
l’usage efficace de l’administration policière. […]
Voilà sans doute, dans la campagne qui s’annonce, le vrai
talon d’Achille de la majorité. Ou le talon de Lionel… »
(Nouvel Observateur, 19.07.01) Effaré par la sottise
de ce jeu de mot final, Julliard dut reprendre la plume
pour « théoriser » le problème. Il avoua enfin
que la liberté de licencier et de placer ses capitaux avait
pour corollaire nécessaire un boom des commissariats et
des prisons. C’était là, selon lui, « le paradoxe
du monde moderne : plus une société se libère des contraintes
et des contrôles sociaux, ce qui est en soi une bonne chose,
plus elle a besoin de flics pour subsister. Les sociétés
de demain seront libertaro-policières ». (Le
Nouvel Observateur, 09.08.01).
Un
tel avenir radieux illumine aussi l’hebdomadaire « contestataire »
Politis. Un éditorial titré « Questions de sécurité »
(19.07.01) a estimé : « D’un point de vue de
gauche, Jacques Chirac a parfaitement raison. Le saviez-vous ?
Un quart des habitants de l’Île-de-France ont eu leur auto
cambriolée en trois ans. Et 10 % leur appartement.
[…] Il est grand temps pour les intellectuels de
gauche et leurs médias [sic] de reconnaître qu’il
y a là un très grave problème. »
Chacun
était prêt pour « La guerre ».
L’insécurité,
première préoccupation des journalistes
Le
17 avril 2001, Gérard Leclerc, Françoise Laborde et
Olivier Mazerolle, journalistes de France 2, recevaient
Lionel Jospin.
Gérard
Leclerc : Le gouvernement a défini six axes de
lutte contre la violence, notamment en ce qui concerne
la délinquance des jeunes avec la lutte contre les
bandes, avec les centres de placement immédiats. Mais
beaucoup voient là-dedans surtout des demi-mesures.
Pourquoi ne pas aller au bout de la logique et pourquoi
ne pas revenir sur la fameuse ordonnance de 1945,
ce qui permettrait par exemple d’abaisser l’âge de
la majorité pénale à 13 ans, voire en dessous, de
recourir davantage à des unités pénitentiaires pour
les mineurs ? […] On a le sentiment 1
que les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus ceux de
1945 […] pourquoi vous n’en tirez pas les conséquences.
[…]
Jospin
(défensif) : Le gouvernement que je conduis a
quand même tout à fait rompu avec, je dirais, une
conception un petit peu angélique des problèmes. […]
Olivier
Mazerolle : Les Français ne semblent pas convaincus 2 :
ils ont retenu la loi sur la présomption d’innocence.
Et ils disent : « Mais tous ces petits délits
pour lesquels d’ailleurs les plaintes ne sont même
pas toujours enregistrées par la police, ils ne sont
pas punis, ils ne sont pas sanctionnés. 3 »
Alors, d’un côté, présomption d’innocence, bravo pour
les droits de l’homme (narquois). Mais où est la sanction
(menaçant) ?
Gérard
Leclerc : Pourquoi ne pas aller par exemple jusqu’à
la tolérance zéro ? Des plans, des mesures, il
y en a depuis des années. Et on voit que l’an dernier
encore la délinquance a progressé de 5 %. Pourquoi
ne pas dire, carrément : la tolérance zéro ?
Le 14 juillet 2001, Patrick
Poivre-d’Arvor, Béatrice Schönberg et Élise Lucet
interrogent Jacques Chirac, cerné par la justice.
Les
premiers mots de la toute première question posée
par Béatrice Schönberg (France 2) sont :
— Nous vous interrogerons sur toutes les questions
que les Français se posent, l’insécurité…
Puis Élise Lucet (France 3) :
— Nous allons aborder la question de l’insécurité.
C’est le sujet de préoccupation numéro un des Français
4.
L’entretien consacre plus de quinze minutes au
sujet. Même Chirac s’en lasse :
— On parle d’insécurité et on ne va pas parler
indéfiniment de ce sujet.
Le
28 août 2001, Patrick Poivre d’Arvor interroge Lionel
Jospin sur TF1.
La
chaîne Bouygues, dont le propriétaire a été mis en
examen en 1995 pour abus de biens sociaux, est dirigée
par Patrick Le Lay, mis en garde à vue en 1995 dans
une affaire de pot-de-vin. Quant au présentateur,
il a été condamné pour complicité de recel d’abus
de biens sociaux.
PPDA : Puisqu’on parle d’insécurité, nous avons été
parmi les premiers à donner le chiffre d’une augmentation
de près de 10 % de la délinquance au premier
semestre. Les autorités avaient nié ; or,
c’est le chiffre officiel aujourd’hui. On est loin
du « sentiment d’insécurité », idée d’extrême-droite.
C’est quelque chose qui existe ! (Il hurle.)
Pouvez-vous avoir des moyens supplémentaires pour
rassurer les Français, qui sont légitimement inquiets,
ainsi qu’on le constate dans les études d’opinion ?
1.
Qui est « on » ? • 2.
Les Français ou Mazerolle ? 3.
Mazerolle, voix de la France ? • 4.
Et d’Élise Lucet ?
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6. Le
Monde 2 est le supplément de photos racoleuses et vulgaires
publié par le QVM en collaboration avec Paris
Match et destiné à concurrencer Entrevue sur
le marché juteux des jeunes cadres célibataires en rut.
7. Ce sujet
de l’insécurité dans les trains avait déjà été longuement
traité par Claire Chazal dans son journal de TF1. Edwy Plenel,
Roi du téléachat sur LCI et directeur de la rédaction du
Monde, est également un employé du groupe TF1 (dont
LCI est une filiale à 100 %).
8. Éditorial
« La gauche et la sécurité » (QVM, 02.08.01). Le
médiateur docile du QVM a expliqué : « L’absence
de signature indique que l’éditorial engage le journal. »
(QVM, 26-27.08.01)
9. Éditorial
« Mort à Gênes » (QVM, 22.07.01).
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