CQFD

 

dossier
CQFD, n°3, juillet 2003.

  

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Ouverture du dossier

Entretien avec Stéphane Goxe

 Olivier Cyran : Appel général à la désertion

 Radiations et contes de fées à l'ANPE de Paris 12

ANNEXES :
- entretien avec Jeanne
- entretien avec Hervé

Radiations et contes de fées
à l’ANPE de Paris 12

Dans une autre vie, Jeanne a été câbleuse, soudeuse et même « ébavureuse sur binoculaires » dans une boîte d’aéronautique. Aujourd’hui, cette réfractaire rieuse de 52 ans est ce que l’on appelle une « chômeuse de longue durée », grassement entretenue à raison de 400 euros par mois (allocation de « solidarité »). Mais depuis son apparition dans Danger Travail, les Assedic ont percé à jour le terrible secret de Jeanne : elle n’est pas assez « dynamique » dans sa recherche d’emploi. Du coup, son alloc va lui être supprimée. Un point de moins dans les statistiques, et un de plus dans le combat républicain contre l’oisiveté.

Témoignage : « En septembre 2002, suite à un déménagement, je m’inscris à l’ANPE de Paris 12. Quinze jours plus tard, je reçois une convocation. À l’entretien, on me dit que je dois absolument chercher du travail et suivre un « stage » pour apprendre à rédiger un CV, à taper sur un ordinateur, ce genre de trucs. Deux semaines plus tard, je reçois une nouvelle convocation. Je suis reçue par une dame à qui j’explique que je ne suis pas friande d’un emploi. Elle était sidérée. “Attention, qu’elle me fait, on va vous supprimer vos droits”. Puis elle me redonne rendez-vous pour une matinée de “formation”. Le jour dit, je me retrouve avec trois nanas devant une responsable qui nous demande comment nous comptons nous sortir du chômage. Une nouvelle fois, j’explique que je n’ai pas envie d’un de ces boulots de merde comme j’en ai eus pendant une moitié de ma vie, où on te sous-paie à ne pas réfléchir et à la boucler. Forcément, ça ne lui a pas plu. Ça n’a pas plu non plus aux trois autres du groupe. Faut dire qu’ils leur font croire que tu peux trouver un super-métier, épanouissant et tout, sans jamais avoir fait d’études, en y mettant juste un peu de bonne volonté... Dans le groupe, il y avait une ex-comptable sans diplôme qui disait vouloir devenir psy. La responsable l’a encouragée : “excellent, faudra juste reprendre vos études”… Ils nous prennent vraiment pour des cons.

  

 

Le plus drôle, c’est le questionnaire qu’on nous a remis à la fin. Avec des questions du genre : est-ce que faire carrière, pour vous, c’est important ? Est-ce que vous seriez prête à faire des heures sup’ sans être payée ? Est-ce que vous préféreriez que votre patron soit là toute la journée sur votre lieu de travail ? Chaque fois, j’ai répondu non. La responsable a lu ma feuille, m’a regardé puis elle a secoué la tête : “c’est pas possible, déjà qu’on vous voit jamais à l’ANPE”… Puis elle me dit qu’on va sûrement me supprimer mes droits. Mais moi, je suis déjà en fin de droits depuis longtemps. Si on me les sucre, je me mettrai au RMI : ça ne me fera que 40 euros de moins et on ne m’emmerdera plus. Enfin, c’est pas sûr, avec leur projet de RMA… Une semaine plus tard, je reçois un courrier m’informant que je ne fais plus partie des demandeurs d’emploi. À l’ANPE, faut surtout pas leur dire que tu veux pas bosser, c’est une hérésie pour eux. Pourtant, il n’y a pas assez de boulot pour tout le monde, alors ils devraient remercier ceux qui n’en veulent pas. »