|
Attac
s’est constituée malgré les médias qui mentent. Il y a trois
ans, le Quotidien vespéral des marchés [ex-Le Monde]
assimilait cette association aux « nationaux républicains
» et Bernard Cassen, son président, à Charles Pasqua. (QVM,
17-18.05.98) Les militants, qui tous méprisent le QVM,
affluaient par milliers. Parfois, les journalistes condescendaient
à traiter l’« antimondialisation » sous l’angle du folklore.
Puis le vent à tourné.
La
brise contestataire a été décrétée sujet vendeur. Désormais,
le Quotidien vespéral des marchés consacre sa « une »
à Attac, flatte le narcissisme de ses chefs, sollicite ses animateurs
pour remplir les pages de ses suppléments « Économie » du lundi.
Un éditorial s’esbaudissait : « Pas un grand quotidien économique
et financier, pas une page saumon qui, de Londres à Washington
et de Paris à Francfort, ne prenne au sérieux les critiques
de la mondialisation. Attac, sigle inconnu il y a peu encore,
a gagné une bataille politique. » (« Mondialisation
: le débat », QVM, 28.08.01)
PLPL
s’interroge. Les porte-voix de la contestation sont-ils assez
sots pour gober ce (provisoire) retournement du parti de la
presse et de l’argent (PPA) ?
Depuis
le printemps 2001, des responsables d’Attac se livrent à une
folle course-poursuite médiatique 1.
La joute a commencé bien avant que huit commis du capital ne
s’assemblent à Gênes. Christophe Aguiton, responsable des relations
internationales à Attac, avait effectué un tour de chauffe qui
lui avait valu le titre convoité de « BHL de la contestation
» (lire PLPL n°
5). Bernard Cassen, président d’Attac-France et directeur
général du Monde diplomatique, s’est lancé à sa poursuite.
À
l’abord du virage du G8 de Gênes, le BHL de la contestation
conservait une avance médiattaque confortable. D’une émission
de M6 (Lyonnaise-Suez) consacrée à la jet-set (17.07.01), il
bondissait dans les colonnes de Rouge, l’hebdomadaire
de la LCR (19.07.01), en passant par celles de Politis
(le même jour). Mais, galvanisé par les manifestations de Gênes,
le paisible poney Cassen se transforme en mustang.
Le 20 juillet, le président d’Attac est interrogé sur Europe
1 (Largardère) par un Jean-Pierre Elkabbach bouffi de prévenances
(20.07.01/8 h.20). Distrait, Cassen oublie de signaler aux auditeurs
que son vis-à-vis est « conseiller spécial pour la stratégie
média du groupe Lagardère ». La conversation se conclut sur
ces mots d’Elkabbach : « Nous aurons des occasions
de nous voir. Je vous souhaite une bonne journée à Gênes. »
Quelques mois plus tôt, le conseiller de Lagardère eût été moins
poli. N’avait-il pas interviewé sur la même station un député
insuffisamment enthousiasmé par le capitalisme en lui postillonnant
au visage : « Vous êtes archaïque ! ».
(23.04.01) Le même 20 juillet, Cassen est invité sur France
Inter (« Le téléphone sonne »). Trop absorbé par sa
dénonciation des « casseurs », il écoute sans broncher
le présentateur interrompre un auditeur qui soulignait la médiocrité
des médias.
Inquiet,
Aguiton réagit en saturant les télévisions italiennes. Le quotidien
Le Parisien lui rend hommage en publiant dans un petit
encadré les propos de trois global leaders : Jacques
Chirac, Georges Bush et… Christophe Aguiton (21.07.01).
Cassen,
cité par l’hebdomadaire Time (23.07.01), remonte toujours
à la corde. Et le 27 juillet, les deux destriers galopent bride
contre bride : Aguiton ostracise les « Black
blocs » dans Libération (en partie détenu par un
capital-risqueur britannique) tandis que le président d’Attac
s’épanouit dans les colonnes du Point (propriété de Pinault).
Soudain, Cassen sort sa botte secrète : une tribune
dans Le Journal du dimanche, propriété de Matra-Hachette
(29.08.01). Parade immédiate d’Aguiton, qui se fait lécher et
louer par son camarade de la LCR Philippe Corcuff dans le NEM
(Non-Événement du mercredi, ex-Charlie Hebdo,
propriété de Philippe Val Inc., 01.08.01). La réplique ne tarde
pas : dans un entretien à Témoignage chrétien
(03.08.01), une publication renflouée par Le Monde diplomatique,
Cassen confesse : « Nous évitons soigneusement
d’utiliser les mots en “isme”, capitalisme, par exemple. »
Le
museau fumant de rage, Aguiton fixe désormais la croupe de son
rival qui laisse choir sur la « une » fangeuse du QVM
une tribune contre Alain Minc (24.08.01). Quelques jours plus
tôt, ce nabot malfaisant avait en effet agité ses petits bras
pour imposer dans Le Monde, dont il préside le conseil
de surveillance, ses réflexions sur la « Mondialisation
heureuse » (17.08.01). C’est dans Politis, hebdomadaire
dont il vice-préside le conseil de surveillance, que Cassen
complétera son explication de texte (23.08.01).
Défait,
Aguiton en est réduit aux accessits : s’assoupir sur
LCI dans les bras d’Anita Hauser (11.09.01), palabrer sur la
chaîne Bloomberg d’information financières 2.
Attac
n’en était pas quitte pour autant. Le 1er septembre, Edwy Plenel,
Roi du téléachat sur LCI, convoquait à son émission « Le
Monde des idée » René Passet, président du conseil scientifique
de l’association. Ravi de s’exprimer dans la tour TF1, propriétaire
de LCI, le RTA remuait la queue : « Bienvenue
au “Monde des idées”. Ce sont les héros de la rentrée. Ils étaient
à Gênes dans la rue. Et ça a fait du bruit. Et ça a fait mal.
Et puis ils étaient aussi sur les plateaux de télévision. […]
Ce sont ceux qu’on appelle, dans un raccourci on va le voir,
les antimondialistes. Les militants notamment de l’association
Attac. » Tout en oubliant d’évoquer les méfaits d’une
multinationale nommée Bouygues, René Passet rassura le petit
télégraphiste ex-trotskyste, néo-mondain et toujours moustachu : « Vous
savez, les jeunes gens au regard fiévreux qui veulent nous imposer
leur perfection, ce n’est pas ma tasse de thé. […] Bien
sûr, nous ne sommes pas révolutionnaires. »
Distraire
le RTA sur les plateaux de Bouygues, braire dans les studios
de Lagardère ou noircir les colonnes Matra aboutit d’abord à
blanchir les médias de leurs anciens mensonges et à absoudre
leurs prochaines campagnes de propagande capitalistes et guerrières.
Mais collaborer avec les médias qui mentent, c’est aussi leur
octroyer le pouvoir de choisir des porte-paroles de la contestation
disponibles et conformes à leurs attentes. Conjoindre avec les
médias (qui mentent), c’est enfin leur concéder le pouvoir de
dénaturer le mouvement contestataire. Quand une poignée d’éditorialistes
exigera le ralliement d’Attac à la gauche plurielle, ils propulseront
au devant de la scène le réserviste adéquat. Dans les rédactions,
Pierre Tartakowsky, secrétaire général d’Attac, fait figure
de favori pour ce rôle de félon. Pendant qu’Aguiton et Cassen
se disputaient le trophée du PPA, « Tarta » flattait
en tapinois les socialistes et les médias. Palabrant aux Rencontres
de Pétrarque organisées par Le Monde et France Culture,
prêt à se déplacer dans les locaux du QVM dès qu’un rédacteur
le siffle, il a déjà donné à la gauche qui capitule des gages
de sa bonne volonté : « À Attac, il y a deux
écoles par rapport à Jospin. Ceux qui pensent que l’opération
séduction du gouvernement est une machination préélectorale
et ceux qui estiment qu’une vraie réflexion s’opère au sein
d’un PS confronté à l’effritement du PCF. » (Libération,
24.08.01) En attendant, la presse qui hurlait de joie quand
l’OTAN détruisait des bâtiments civils à Bagdad et à Belgrade
a sommé les opposants à la mondialisation de faire pénitence
(lire encadré) et de se dissoudre dans l’union sacrée derrière
George W. Bush.
1.
PLPL a consigné dans ses archives chacune de leurs interventions.
Mais, n’ayant pas pour vocation de publier des bottins, l’organe
central de la Sardonie libre a décidé de n’en évoquer qu’une
sur mille.
2.
Pour l’inviter à n’importe quelle émission, y compris la nuit,
écrivez-lui à <aguiton@mediattac.org>.
|
|
À
MORT L'ANTI-MONDIALISATION
Les
médias attendaient avec impatience un prétexte pour repartir
à la chasse aux anti-capitalistes à qui ils avaient dû concéder
quelques bribes de parole pendant l’été. Les attentats de New
York et de Washington, imputés à un milliardaire qui dissimule
sa moustache sous une barbe, ont fait l’affaire…
« C’est
la phrase de la semaine : Nous sommes tous des A-mé-ri-cains
! Elle est de Jean-Marie Colombani, le directeur du journal
Le Monde. […] Elle est parfaite. […] Mais
les amis de Milosevic et de Saddam Hussein se sont mobilisés.
[…] On peut se demander si toutes ces réticences qu’on
ne rencontre nulle part ailleurs en Europe ne sont pas le premier
signe d’un retour d’une veille maladie française, l’anti-américanisme
primaire. Avec son nouveau look, son corollaire, l’anti-mondialisation
primaire. » (Georges-Marc Benamou, Europe 1, 16.09.01)
« Depuis les attaques terroristes subies par les États-Unis,
les mouvements anti-mondialisation sont sur la défensive, confrontés
au début de procès qui leur est fait d’avoir nourri un ressentiment
contre l’Amérique et d’avoir contribué à la montée de certains
extrémismes. » (Les Échos, 21-22.09.01)
« La
montée de la violence lors des derniers sommets internationaux
(Nice, Göteborg, Gênes) a quand même de quoi laisser rêveur.
On pourrait même songer à quelques manipulations des milieux
les plus extrémistes : un mouvement international
voudrait en tout cas déstabiliser l’Occident qu’il ne s’y perdrait
pas d’une autre manière. À semer le vent, on peut récolter la
tempête… » (Philippe Chalmin, « Mondialisation,
antimondialisation : à revoir », Le Monde,
21.09.01)
«
Depuis les poseurs de bombe antimondialistes qui tuèrent
l’an dernier la jeune employée d’un MacDonald’s breton jusqu’aux
organisateurs du nouveau Pearl Harbor se dessinent les contours
d’une nouvelle internationale de la haine. » (Alain-Gérard
Slama, « Djihad contre McWorld », éditorial,
Le Figaro-Magazine, 15.09.01)
Florence
Belkacem, journaliste, interroge Bernard Cassen, président d’Attac-France : « Qu’est
ce que vous répondez à ceux qui disent : “Qui vole
un œuf vole un bœuf” ? Je traduis : “Qui arrache
un pied de maïs transgénique est capable un jour, on ne sais
pas, de poser une bombe” ? » (Europe 1, 16.09.01)
En
somme, et pour conclure, « La libéralisation des échanges,
réponse au terrorisme », titrait le Figaro-Économie
(13.09.01).
|