| (Extrait du dossier "La peste France Inter" de PLPL 7) À l’instant précis où les tours hideuses du World Trade Center cessaient d’encombrer l’horizon de Manhattan, Stéphane Paoli, animateur de la tranche matinale 7-9 sur France Inter, calculait mentalement le nombre de gourmettes en or que lui rapporterait son prochain ménage 2. Tiré de sa torpeur, il dut s’envoler avec Nicole Bacharan, « historienne, spécialiste de la politique américaine », dont l’intarissable prolixité lui a valu, dès son premier cours de Sciences-Po, le surnom de « La Pie qui chante » et qui chante en anglais ! La virée du duo infernal à New York, six jours après la chute historique du Word Trade Center, a donné lieu à un festival de perles. Perles précieuses : les auditeurs de France Inter apprennent tous les quarts d’heure l’existence d’un décalage horaire entre la France et les États-Unis, la météo de septembre à New York et le tout au saut du lit. Lundi 17 septembre, Paoli invite un sociologue américain qui parle français : « France Inter est à New York. Il est ici 1 h 16, 7 h 16 à Paris. Et en studio avec nous, et merci car il tard pour vous, Bill Canblum. » Près des ruines fumantes du World Trade Center, Paoli est enthousiaste : « Il y a toujours beaucoup de monde, même à cette heure-ci encore ! » Bill Canblum, endormi et décontenancé par l’allégresse du journaliste, répond d’une voix pâteuse : « Non, il n’y a pas beaucoup de monde ce soir. D’habitude il y en a beaucoup, beaucoup, davantage… » Mais Paoli, déchaîné, entend accomplir sa mission de service public à n’importe quel prix : « Vous dites que, pour vous, ce n’est pas beaucoup. Nous, on est frappés de voir encore tellement de gens à cette heure-ci avec les bougies. Ça devient presque un rituel maintenant le soir dans les rues de New York. » Canblum, auditivement en train d’entamer sa nuit : « Ces jours-ci, oui, mais vous êtes à Times Square, il y a très peu de monde à vrai dire… » N’y tenant plus, Bacharan caquette à tue-tête : « Oui, moi je trouve aussi. Très peu de monde à Times Square. Times Square c’est [rires] un zoo absolument extraordinaire… » Du fond du studio resurgit la voix du sociologue désormais galvanisé par l’importance du débat : « Il y a des touristes, mais très peu de monde… » Bacharan le coupe, presque blessante : « Peu de touristes… » L’Américain triomphera en fin de compte de cette pie qui chante : « Peu de touristes, mais… mais les New-Yorkais ils sont en famille, chez eux… » Bacharan va profiter du sommeil de Canblum pour administrer aux auditeurs les audaces conceptuelles que seul procure le savoir complexe de Sciences-Po 3 : « New York, c’est une ville assez dure. Et finalement, les gratte-ciel sont un peu un symbole, un message. Quand on arrive, on voit cette ville qui est folle, d’une certaine manière, et qui vous dit : “On est différent du monde entier.” L’Amérique construit une autre démocratie, un autre monde et, dans l’Amérique, New York c’est la ville où tout est possible, où rien n’est inatteignable. Donc c’est vrai, un peu de douceur à New York, c’est assez surprenant. » Ce n’était pas fini ; la pie était décidément intarissable. Très fière d’avoir soufflé à Raminagrobis [Jean-Marie Colombani, directeur du quotidien vespéral des marchés Le Monde et « professeur » à Sciences-Po 4] son « Nous sommes tous américains », elle débite son credo : « Et je parle de patriotisme, pas de nationalisme, c’est-à-dire la fierté de son pays, des notions simples comme la liberté, la démocratie et savoir jusqu’au fond de son cœur que ce sont des valeurs à défendre. Et à l’heure actuelle, ce qu’on voit, c’est des gens qui veulent la défendre, mais la défendre raisonnablement, intelligemment. C’est assez touchant je trouve, assez bouleversant. » Philippe Reltien lui aussi a été bouleversé. Ébloui par la logorrhée de la Pie qui chante (en anglais), cet ancien correspondant de France Inter à Washington devenu spécialiste de la police tient lui aussi à tirer son Scud radiophonique : « On m’a raconté une histoire, c’est formidable. Après le premier choc sur la première tour, il paraît qu’il y avait des gens qui continuaient d’acheter en bas des hot dogs et du Coca Cola. […] Bon, un accident, je vais quand même pas m’arrêter de m’acheter mon coca, etc. C’est ça New York, quoi ! […] C’est dingue, ils réinventent la vie ! » Paoli, qui a reniflé le scoop que les agences vont s’arracher, râle de joie : « Vous avez raison de dire que c’est dingue ! Il y a des trucs sidérants. […] Partout par terre, on vend des photos du drame, mais on les vend ! On vend des tee-shirts aussi ! Le bizness continue, quoi. » C’est à cet instant que la pie devient chouette ; Bacharan hurle : « Ah oui, c’est dans l’esprit de la ville ! Il y a une chose qui m’a toujours frappée quand je vais à New York, c’est que si tout d’un coup une averse se déclenche, vous avez au coin de chaque rue un vendeur de parapluies, alors que la minute d’avant il n’existait pas [gloussements], vous ne savez pas d’où ils sortent. Eh ben écoutez, voilà, on s’adapte. » La professeure à l’Institut d’études politiques de Paris ajoute : « Les Américains sont brutaux. Ils sont quelquefois cyniques. Mais quand même ! Si on a le choix, ne vaut-il pas mieux que ce soient eux, s’il en faut un, qui soient première puissance mondiale ! Un pays qui partage nos idéaux de liberté et de démocratie. Plutôt que la Russie. Plutôt que la Chine ! » Pensant alors à la muraille de Chine dont il a découvert l’existence grâce à une vieille publicité pour une marque d’automobiles, Paoli rebondit : « C’est des débris à la taille américaine ! C’est monstrueux ! C’est énorme ! Ce sont des choses gigantesques sur des camions comme nous n’en connaissons pas, qui sont eux-mêmes totalement disproportionnés. Mais ça c’est vrai que c’est impressionnant ! » Jean-Luc Hess était comblé. Le directeur d’antenne de France Inter avait été correspondant aux États-Unis du temps de Reagan. Et, pour lui, l’événement avait permis à France Inter de « faire écouter la différence » au moyen de commentaires étincelants d’intelligence et de finesse. Dépêchés depuis Paris, les quarante fantassins de l’information pouvaient également être fiers et, parapluie, hot dog et tee-shirt sous le bras, regagner leurs suites au Sofitel, NY. PLPL révèle le coût de l’opération pour la radio publique : 3 millions de francs. 2. Le métier de journaliste à la radio publique laisse beaucoup de temps à Paoli ; il en profite. Présentateur épisodique de la chaîne satellite Forum, une filiale de Vivendi-Canal+ et de Bouygues-TF1, il touchait 40 000 F mensuels que venaient compléter de juteux appointements de la chaîne TMC (Monte-Carlo). Paoli, qui estime « n’avoir jamais assez d’argent », s’en procure quelques louches supplémentaires en alignant des « ménages », notamment via la société CCV Consultants, dont l’ancien patron n’est autre que Jean-Marie Cavada. En septembre 2000 par exemple, Paoli « animait » le congrès des organismes HLM à Bordeaux.
3. Sur le dressage par Sciences-Po des otaries savantes de la bourgeoisie, c’est-à-dire sur la construction sociale des vermisseaux boutonneux au service du capital (qui tue dans d’atroces souffrances), lire les textes de Pierre Bourdieu et Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », Actes de la Recherche en sciences sociales (n° 2-3, 1976) et le livre d’Alain Garrigou, Les Élites contre la République : Sciences-po et l’ENA (La Découverte, 2001). 4. Échange de bons procédés caractéristique des méthodes mafieuses mises au jour par la science sardonne, Ramina hérite du prestige de l’institution universitaire en récitant ses éditoriaux indigents et les « analyses » de son Pygmallion le Nabot malfaisant [Alain Minc, président du conseil de surveillance du QVM]. De son côté, Le Monde présentera systématiquement Sciences-Po comme un établissement intellectuellement respectable… |