Pierre Bourdieu |
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sociologue énervant |
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Des
textes de l'impétrant |
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Une
polémique oppose la famille de |
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Alain Salles, LE MONDE, 09.02.02. |
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La publication d'un texte inédit du sociologue par l'hebdomadaire est mise en cause. a famille de Pierre Bourdieu a décidé d'attaquer Le Nouvel Observateur pour "violation du droit moral", après la publication d'un texte inédit du sociologue, dans son numéro du 31 janvier, qui consacrait sa couverture et plusieurs pages au philosophe décédé. L'hebdomadaire avait publié un texte inédit de Pierre Bourdieu, titré "J'avais 15 ans : Pierre par Bourdieu", présenté comme un extrait d'un ouvrage autobiographique, Esquisse de socioanalyse. Pierre Bourdieu avait transmis ce texte à son ami Didier Éribon, journaliste au Nouvel Observateur. Didier Éribon et Laurent Joffrin décident d'en publier des extraits. Ce texte est le point d'orgue d'un long dossier consacré à "celui qui disait non". Mais personne ne demande l'autorisation de publication aux ayants droit de Pierre Bourdieu. Didier Éribon le signale à un fils de Pierre Bourdieu, le jour de l'enterrement du sociologue, la veille de la publication du Nouvel Observateur. Le dossier de l'hebdomadaire est précédé de trois chroniques de Françoise Giroud, de Jean Daniel et surtout de Jacques Julliard, critiquant le consensus qui a accompagné la mort de Pierre Bourdieu. L'éditorial de Jean Daniel évoque les relations très difficiles entre l'intellectuel et l'hebdomadaire, tandis que la chronique de Jacques Julliard, titrée "Misère de la sociologie", qui parle d'"échec" de Bourdieu et de sa "jalousie sociale", heurte particulièrement les fidèles du philosophe. La famille proteste contre cette publication et menace de faire un procès. Elle publie, le 31 janvier, un communiqué très virulent contre le Nouvel Observateur. Le texte est retiré du site Internet du journal. Des discussions entre avocats, pour la publication d'un droit de réponse, durent plusieurs jours, mais échouent peu avant le bouclage du numéro suivant. Le Nouvel Observateur refusait de publier un texte de la famille qui, selon Laurent Joffrin, était une atteinte à son honneur, tandis que la famille ne voulait pas que le communiqué soit coupé ou que le magazine réponde dans le même numéro. "ACCORD IMPLICITE " La famille critique la logique du "scoop" et le "goût du sensationnel et du profit"du magazine. Elle a vécu cette publication, dans une revue souvent critiquée par Pierre Bourdieu - et vice-versa -, comme un "outrage". Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, souhaite néanmoins "parvenir à une solution". Dans un texte signé Le Nouvel Observateur, paru sur le site www. nouvelobs.com, "Pierre Bourdieu et nous", le journal justifie son choix : "À la lecture du texte, émouvant et beau, nous avons décidé de lui consacrer une double page, dans l'intention de faire comprendre à nos lecteurs, autant que possible, qui était vraiment Pierre Bourdieu et en quoi ses engagements reflétaient - aussi - un itinéraire personnel à la fois difficile et courageux. Notre erreur a été de supposer que la proposition de Didier Eribon avait l'accord implicite de la famille de Pierre Bourdieu. Ce n'était pas le cas. Nous sommes désolés de ce malentendu." Au début du texte, Le Nouvel Observateur s'adresse à la famille, réaffirmant : "Nous sommes désolés de cet impair et nous la prions d'accepter ici nos excuses." Selon Emmanuel Pierrat, avocat de Pierre Bourdieu, devenu celui de sa famille, ce texte n'est pas suffisant : "La publication d'un texte sans l'accord des ayants droit est une violation du droit moral et patrimonial. Cela s'apparente à une contrefaçon. Il n'est pas normal que la voix de la famille n'ait pu se faire entendre dans le magazine qui l'avait agressée." La famille est prête à attaquer Le Nouvel Observateur, sous la forme d'une assignation à heure fixe, qui permet d'obtenir une audience dans un délai relativement rapide. La famille ne devrait pas demander de dommages et intérêts autres que symboliques et des publications judiciaires dans plusieurs journaux. Elle ne souhaite pas non plus poursuivre Didier Éribon, qui est depuis plus de vingt ans un proche de Pierre Bourdieu. Celui-ci lui communiquait ses manuscrits et écoutait ses avis. C'est ainsi qu'il lui a transmis en novembre par Internet le texte de cette Esquisse d'une socioanalyse, avec la mention : "Ne pas faire circuler". "Quand il me transmettait ses manuscrits, explique Didier Eribon, il ne faisait jamais cette mention. Il l'a indiqué car c'était envoyé par Internet. J'ai donné ces extraits au Nouvel Observateur, comme un hommage à Pierre Bourdieu. Avais-je le droit de le publier sans autorisation ? Non, mais j'admirais Bourdieu et je ne m'imaginais pas qu'on me contesterait le droit de publier cet extrait. Evidemment je n'avais pas vu les éditoriaux qui ont accompagné notre dossier et je n'imaginais pas qu'ils soient aussi violents. Pierre Bourdieu a tellement compté dans ma vie qu'il est inconcevable pour moi d'avoir le moindre conflit avec sa famille." Une édition en Allemagne
Le
texte inédit de Pierre Bourdieu, dont Le Nouvel Observateur
a publié des extraits, devrait paraître d'abord en Allemagne
chez Suhrkamp, sous le titre Pierre
Bourdieu über Pierre Bourdieu (Pierre Bourdieu sur
Pierre Bourdieu), "au plus tard au mois de juin", indique la
maison d'édition allemande. Cette Esquisse de socio-analyse
était le sujet de son dernier cours au Collège de France
(Le Monde
du 30 mars 2001). Il s'agit du texte transmis à Didier
Eribon, qui s'explique dans Livres Hebdo du 8 février.
Selon lui, "Pierre Bourdieu souhaitait donner les droits mondiaux
à Suhrkamp". Suhrkamp, éditeur allemand de Bourdieu
et de nombreux intellectuels français, de Georges Duby à
Claude Lévi-Strauss, indique que le livre est en cours de traduction.
"Suhrkamp est sans doute le plus légitime à publier
ce texte qu'il a reçu de Pierre Bourdieu, à condition
qu'un accord soit trouvé avec la famille", explique Emmanuel
Pierrat, avocat de la famille Bourdieu. |
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