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La publication
d'un texte inédit du sociologue par l'hebdomadaire est mise
en cause.
a
famille de Pierre Bourdieu a décidé d'attaquer Le
Nouvel Observateur pour "violation du droit moral", après
la publication d'un texte inédit du sociologue, dans son numéro
du 31 janvier, qui consacrait sa couverture et plusieurs pages au
philosophe décédé. L'hebdomadaire avait publié
un texte inédit de Pierre Bourdieu, titré "J'avais
15 ans : Pierre par Bourdieu", présenté comme un
extrait d'un ouvrage autobiographique, Esquisse de socioanalyse.
Pierre Bourdieu avait transmis ce texte à son ami Didier Éribon,
journaliste au Nouvel Observateur. Didier Éribon et
Laurent Joffrin décident d'en publier des extraits. Ce texte
est le point d'orgue d'un long dossier consacré à "celui
qui disait non". Mais personne ne demande l'autorisation de publication
aux ayants droit de Pierre Bourdieu. Didier Éribon le signale
à un fils de Pierre Bourdieu, le jour de l'enterrement du sociologue,
la veille de la publication du Nouvel Observateur.
Le
dossier de l'hebdomadaire est précédé de trois
chroniques de Françoise Giroud, de Jean Daniel et surtout de
Jacques Julliard, critiquant le consensus qui a accompagné
la mort de Pierre Bourdieu. L'éditorial de Jean Daniel évoque
les relations très difficiles entre l'intellectuel et l'hebdomadaire,
tandis que la chronique de Jacques Julliard, titrée "Misère
de la sociologie", qui parle d'"échec" de Bourdieu
et de sa "jalousie sociale", heurte particulièrement
les fidèles du philosophe. La famille proteste contre cette
publication et menace de faire un procès. Elle publie, le 31
janvier, un communiqué
très virulent contre le Nouvel Observateur. Le texte
est retiré du site Internet du journal. Des discussions entre
avocats, pour la publication d'un droit de réponse, durent
plusieurs jours, mais échouent peu avant le bouclage du numéro
suivant. Le Nouvel Observateur refusait de publier un texte
de la famille qui, selon Laurent Joffrin, était une atteinte
à son honneur, tandis que la famille ne voulait pas que le
communiqué soit coupé ou que le magazine réponde
dans le même numéro.
"ACCORD
IMPLICITE "
La
famille critique la logique du "scoop" et le "goût
du sensationnel et du profit"du magazine. Elle a vécu cette
publication, dans une revue souvent critiquée par Pierre Bourdieu
- et vice-versa -, comme un "outrage". Laurent Joffrin, directeur
de la rédaction du Nouvel Observateur, souhaite néanmoins
"parvenir à une solution".
Dans
un texte signé Le Nouvel
Observateur, paru sur le site www. nouvelobs.com, "Pierre Bourdieu
et nous", le journal justifie son choix : "À
la lecture du texte, émouvant et beau, nous avons décidé
de lui consacrer une double page, dans l'intention de faire comprendre
à nos lecteurs, autant que possible, qui était vraiment
Pierre Bourdieu et en quoi ses engagements reflétaient - aussi - un
itinéraire personnel à la fois difficile et courageux.
Notre erreur a été de supposer que la proposition de
Didier Eribon avait l'accord implicite de la famille de Pierre Bourdieu.
Ce n'était pas le cas. Nous sommes désolés de
ce malentendu." Au début du texte, Le Nouvel Observateur
s'adresse à la famille, réaffirmant : "Nous
sommes désolés de cet impair et nous la prions d'accepter
ici nos excuses."
Selon
Emmanuel Pierrat, avocat de Pierre Bourdieu, devenu celui de sa famille,
ce texte n'est pas suffisant : "La publication d'un texte
sans l'accord des ayants droit est une violation du droit moral et
patrimonial. Cela s'apparente à une contrefaçon. Il
n'est pas normal que la voix de la famille n'ait pu se faire entendre
dans le magazine qui l'avait agressée." La famille est
prête à attaquer Le Nouvel Observateur, sous la
forme d'une assignation à heure fixe, qui permet d'obtenir
une audience dans un délai relativement rapide. La famille
ne devrait pas demander de dommages et intérêts autres
que symboliques et des publications judiciaires dans plusieurs journaux.
Elle
ne souhaite pas non plus poursuivre Didier Éribon, qui est
depuis plus de vingt ans un proche de Pierre Bourdieu. Celui-ci lui
communiquait ses manuscrits et écoutait ses avis. C'est ainsi
qu'il lui a transmis en novembre par Internet le texte de cette Esquisse
d'une socioanalyse, avec la mention : "Ne pas faire
circuler". "Quand il me transmettait ses manuscrits, explique
Didier Eribon, il ne faisait jamais cette mention. Il l'a indiqué
car c'était envoyé par Internet. J'ai donné ces
extraits au Nouvel Observateur, comme un hommage à Pierre
Bourdieu. Avais-je le droit de le publier sans autorisation ?
Non, mais j'admirais Bourdieu et je ne m'imaginais pas qu'on me contesterait
le droit de publier cet extrait. Evidemment je n'avais pas vu les
éditoriaux qui ont accompagné notre dossier et je n'imaginais
pas qu'ils soient aussi violents. Pierre Bourdieu a tellement compté
dans ma vie qu'il est inconcevable pour moi d'avoir le moindre conflit
avec sa famille."
Une
édition en Allemagne
Le
texte inédit de Pierre Bourdieu, dont Le Nouvel Observateur
a publié des extraits, devrait paraître d'abord en Allemagne
chez Suhrkamp, sous le titre Pierre
Bourdieu über Pierre Bourdieu (Pierre Bourdieu sur
Pierre Bourdieu), "au plus tard au mois de juin", indique la
maison d'édition allemande. Cette Esquisse de socio-analyse
était le sujet de son dernier cours au Collège de France
(Le Monde
du 30 mars 2001). Il s'agit du texte transmis à Didier
Eribon, qui s'explique dans Livres Hebdo du 8 février.
Selon lui, "Pierre Bourdieu souhaitait donner les droits mondiaux
à Suhrkamp". Suhrkamp, éditeur allemand de Bourdieu
et de nombreux intellectuels français, de Georges Duby à
Claude Lévi-Strauss, indique que le livre est en cours de traduction.
"Suhrkamp est sans doute le plus légitime à publier
ce texte qu'il a reçu de Pierre Bourdieu, à condition
qu'un accord soit trouvé avec la famille", explique Emmanuel
Pierrat, avocat de la famille Bourdieu.
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