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En attendant, Edwy Plenel, directeur de
la rédaction du quotidien pro-américain, a lancé ses limiers
sur la piste de la peur, c’est-à-dire dans « les trains
qui relient la banlieue à Paris ». Évoquant une bagarre
entre jeunes, Le Quotidien vespéral des marchés citait
goulûment un certain « Manu », qui expliquait :
« S’il n’y avait pas eu les CRS, y aurait pu avoir des
morts. » (Le Monde 2, 03.01, p. 94-97 6)
Les chemins de fer, c’est la guerre ; la police, c’est
la vie 7.
Quelques semaines après cette percutante analyse du Monde
et de « Manu » (militari), Carlo Giuliani mourait
à Gênes. Il n’avait pas pris le train mais rencontré des policiers
italiens.
Pour
gagner la guerre du racolage, remplir d’euros ses caisses exsangues
et réussir son introduction en Bourse, Le Monde devait
en faire davantage. En août dernier, des milliers de vendeurs
de journaux se virent offrir par les services du QVM
des affichettes publicitaires « Délinquance :
Alerte ! » (voir
p. 4). À l’égal des marchés, la propagande policière
dispose ainsi désormais de son quotidien vespéral. Et sur ce
nouveau front choisi par le Roi du téléachat Edwy Plenel, ce
fut l’avalanche. Le 2 août, Le Monde faisait sa « une »
sur « Délinquance : les chiffres qui inquiètent ».
Un des articles, titré « Week-end de violences ordinaires
dans la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne », ressemblait
à un libelle de France Soir mâtiné de National Hebdo :
« Le samedi, à 7 heures, un homme a été agressé à son
domicile, à Vaujours. Après l’avoir ligoté, ses trois agresseurs
lui ont dérobé son téléphone mobile et une somme de 13 000
francs. Quatre heures plus tard, un chauffeur qui rentrait chez
lui a été attaqué à Saint-Ouen. Sous la menace d’une arme, il
a dû vider son portefeuille, qui ne contenait que 350 francs.
À 14 heures 30, des violences avec arme ont été signalées
à Bagnolet. »
Un
éditorial moustachu complétait le propos : « On
doit constater que l’insécurité des citoyens s’accroît et que
les craintes, voire les angoisses, dont beaucoup d’entre eux
se font l’écho, sont en grande partie justifiées. C’est sans
doute le principal échec de la gauche, qui a tardé à prendre
conscience de cette situation et qui ne s’est pas donné, en
temps voulu, les moyens d’y faire face. 8 »
La police italienne s’était, elle, donné les moyens de « faire
face ». Tout en versant quelques larmes de crocodile sur
le corps du manifestant assassiné, Le Monde avait stigmatisé
en priorité « une minorité d’anarchistes formée en commandos
de casseurs ». Quant aux tueurs et aux matraqueurs,
ils étaient tout juste coupables de « bavures dans l’organisation
de la sécurité ». Le QVM les avait absous :
« On peut comprendre que, à Gênes comme à Göteborg,
des policiers cernés par des manifestants déchaînés aient pris
peur au point d’utiliser leurs armes. 9 »
Georges
Frèche, de Mao à Mussolini
C’était
quelques jours après l’assassinat d’un manifestant anticapitaliste
par la police italienne. Lors des Rencontres de Pétrarque
organisées par Le Monde et France Culture – deux
médias fascinés par la police 1 –
Georges Frèche, maire « socialiste » de Montpellier
et ancien militant maoïste, s’emporte et vocifère :
—
Je regardais la pancarte qui était là tout à l’heure :
« Policiers assassins ! » Je ne suis pas
d’accord ! Les policiers sont des êtres humains !
Le policier qui a tiré à Gênes a eu peur. Il a tiré parce
que les policiers, la nuit, dans les rues… C’est pour
ça que je défends la police. Le mot « police »,
ça vient du grec polis qui veut dire « ville ».
Une ville c’est l’endroit où il y a la sécurité. Sans
police, il ne peut pas y avoir de sécurité. Et sans sécurité,
il ne peut pas y avoir de démocratie. S’attaquer à la
police en général, c’est une forme de racisme. […] Un
jeune est tué par un policier qui a peur. Et y a des tartines
dans le journal. Et moi, j’ai un de mes amis dont le fils
est gendarme, il a été abattu par un jeune d’une balle
dans la tête. Mais ça n’a fait que trois lignes dans la
presse ! Ce n’était qu’un gendarme ! Il ne faisait
que son travail ! Il était bon à tuer ! Le public
de notables socialistes et de profs de philo ratés fit
à l’auteur de cette harangue un triomphe digne de Mussolini
2. Les glapissements
de Georges Frèche furent promptement diffusés par France
« Culture »…
1.
Le journaliste du Monde chargé des questions de
sécurité, Pascal Ceaux, est un ancien élève de l’Institut
des hautes études de la sécurité intérieure, une officine
du ministère de l’Intérieur qui se consacre à « forger
l’esprit de sécurité intérieure » chez des chercheurs,
des juges, des journalistes et des patrons. Quant à France
Culture, ses émissions du dimanche matin ressemblent à
un forum du délire sécuritaire (lire
PLPL, n° 4).
2. Les habitants
de Montpellier ne cessent d’évoquer la mégalomanie de
Frèche et ses goûts architecturaux très proches de ceux
du dictateur fasciste italien.
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Dans
les médias (qui mentent), la mansuétude pour la police, y compris
quand elle tue, devient routine. Dès le 1er février dernier,
Jacques Julliard faisait l’éloge dans Le Nouvel Observateur
des méthodes pratiquées aux États-Unis : « Ce que
les Américains appellent “tolérance zéro” n’est pas autre chose
que la volonté de faire respecter et d’appliquer la loi dans
son intégralité. » L’ambassadeur des États-Unis en
France avait détaillé quelques mois plus tôt le fonctionnement
de cette « tolérance zéro » qui séduit Julliard et
ses amis socialistes : « On vous arrête aussi bien
pour avoir utilisé le métro sans titre de transport que pour
avoir vendu de la marijuana à la porte d’une école. […]
Aucune circonstance atténuante. […] On met en prison
les contrevenants puis on les interroge, l’idée étant que les
petites délinquances conduisent, tôt ou tard, aux grandes. »
(Le Figaro Magazine, 09.05.98) Une telle philosophie
du « qui vole un œuf vole un bœuf » a permis aux États-Unis
de pulvériser des records d’incarcération (près de 2 millions
de détenus !). Elle ne pouvait manquer de fasciner Laurent
Joffrin-Mouchard, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur.
Toujours aussi menteur, Mouchard expliqua : « Le
point faible du bilan de la gauche, c’est bien l’insécurité.
[…] La gauche a échoué sur un point décisif : l’usage
efficace de l’administration policière. […] Voilà sans
doute, dans la campagne qui s’annonce, le vrai talon d’Achille
de la majorité. Ou le talon de Lionel… » (Nouvel
Observateur, 19.07.01) Effaré par la sottise de ce jeu de
mot final, Julliard dut reprendre la plume pour « théoriser »
le problème. Il avoua enfin que la liberté de licencier et de
placer ses capitaux avait pour corollaire nécessaire un boom
des commissariats et des prisons. C’était là, selon lui, « le
paradoxe du monde moderne : plus une société se libère
des contraintes et des contrôles sociaux, ce qui est en soi
une bonne chose, plus elle a besoin de flics pour subsister.
Les sociétés de demain seront libertaro-policières ».
(Le Nouvel Observateur, 09.08.01).
Un
tel avenir radieux illumine aussi l’hebdomadaire « contestataire »
Politis. Un éditorial titré « Questions de sécurité »
(19.07.01) a estimé : « D’un point de vue de gauche,
Jacques Chirac a parfaitement raison. Le saviez-vous ?
Un quart des habitants de l’Île-de-France ont eu leur auto cambriolée
en trois ans. Et 10 % leur appartement. […] Il est
grand temps pour les intellectuels de gauche et leurs médias
[sic] de reconnaître qu’il y a là un très grave problème. »
Chacun
était prêt pour « La guerre ».
L’insécurité,
première préoccupation des journalistes
Le
17 avril 2001, Gérard Leclerc, Françoise Laborde et Olivier
Mazerolle, journalistes de France 2, recevaient Lionel
Jospin.
Gérard
Leclerc : Le gouvernement a défini six axes de lutte
contre la violence, notamment en ce qui concerne la délinquance
des jeunes avec la lutte contre les bandes, avec les centres
de placement immédiats. Mais beaucoup voient là-dedans
surtout des demi-mesures. Pourquoi ne pas aller au bout
de la logique et pourquoi ne pas revenir sur la fameuse
ordonnance de 1945, ce qui permettrait par exemple d’abaisser
l’âge de la majorité pénale à 13 ans, voire en dessous,
de recourir davantage à des unités pénitentiaires pour
les mineurs ? […] On a le sentiment 1
que les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus ceux de 1945
[…] pourquoi vous n’en tirez pas les conséquences. […]
Jospin
(défensif) : Le gouvernement que je conduis a quand
même tout à fait rompu avec, je dirais, une conception
un petit peu angélique des problèmes. […]
Olivier
Mazerolle : Les Français ne semblent pas convaincus 2 :
ils ont retenu la loi sur la présomption d’innocence.
Et ils disent : « Mais tous ces petits délits pour
lesquels d’ailleurs les plaintes ne sont même pas toujours
enregistrées par la police, ils ne sont pas punis, ils
ne sont pas sanctionnés. 3 »
Alors, d’un côté, présomption d’innocence, bravo pour
les droits de l’homme (narquois). Mais où est la sanction
(menaçant) ?
Gérard
Leclerc : Pourquoi ne pas aller par exemple jusqu’à
la tolérance zéro ? Des plans, des mesures, il y
en a depuis des années. Et on voit que l’an dernier encore
la délinquance a progressé de 5 %. Pourquoi ne pas
dire, carrément : la tolérance zéro ?
Le 14 juillet 2001, Patrick Poivre-d’Arvor,
Béatrice Schönberg et Élise Lucet interrogent Jacques
Chirac, cerné par la justice.
Les
premiers mots de la toute première question posée par
Béatrice Schönberg (France 2) sont :
— Nous vous interrogerons sur toutes les questions que
les Français se posent, l’insécurité…
Puis Élise Lucet (France 3) :
— Nous allons aborder la question de l’insécurité. C’est
le sujet de préoccupation numéro un des Français 4.
L’entretien consacre plus de quinze minutes au sujet.
Même Chirac s’en lasse :
— On parle d’insécurité et on ne va pas parler indéfiniment
de ce sujet.
Le
28 août 2001, Patrick Poivre d’Arvor interroge Lionel
Jospin sur TF1.
La
chaîne Bouygues, dont le propriétaire a été mis en examen
en 1995 pour abus de biens sociaux, est dirigée par Patrick
Le Lay, mis en garde à vue en 1995 dans une affaire de
pot-de-vin. Quant au présentateur, il a été condamné pour
complicité de recel d’abus de biens sociaux.
PPDA : Puisqu’on parle d’insécurité, nous avons été parmi
les premiers à donner le chiffre d’une augmentation de
près de 10 % de la délinquance au premier semestre.
Les autorités avaient nié ; or, c’est le chiffre
officiel aujourd’hui. On est loin du « sentiment
d’insécurité », idée d’extrême-droite. C’est quelque
chose qui existe ! (Il hurle.) Pouvez-vous
avoir des moyens supplémentaires pour rassurer les Français,
qui sont légitimement inquiets, ainsi qu’on le constate
dans les études d’opinion ?
1.
Qui est « on » ? • 2.
Les Français ou Mazerolle ? 3.
Mazerolle, voix de la France ? • 4.
Et d’Élise Lucet ?
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6. Le Monde
2 est le supplément de photos racoleuses et vulgaires publié
par le QVM en collaboration avec Paris Match et
destiné à concurrencer Entrevue sur le marché juteux
des jeunes cadres célibataires en rut.
7. Ce sujet de
l’insécurité dans les trains avait déjà été longuement traité
par Claire Chazal dans son journal de TF1. Edwy Plenel, Roi
du téléachat sur LCI et directeur de la rédaction du Monde,
est également un employé du groupe TF1 (dont LCI est une filiale
à 100 %).
8. Éditorial
« La gauche et la sécurité » (QVM, 02.08.01). Le médiateur
docile du QVM a expliqué : « L’absence de
signature indique que l’éditorial engage le journal. »
(QVM, 26-27.08.01)
9. Éditorial
« Mort à Gênes » (QVM, 22.07.01).
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