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& critique littéraire | ||||||||
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Critique littéraire : Petites promotions entre amis. | ||||||||
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| LES STRICTS laire Devarrieux, chef de service du Cahier Livres de Libération : « C’est une question d’indépendance et de liberté. » Quelles sont les règles éditoriales de Libération en matière de critique littéraire ? Elles sont extrêmement simples, faciles à respecter, et publiées dans la charte déontologique du journal, établies à la création du Cahier en 1988. On ne publie pas d’article sur les livres des collaborateurs du journal. Ils font l’objet d’un « Vient de paraître » dans le Cahier Livres. Si l’on est soi-même un auteur, on n’écrit pas d’articles sur les ouvrages publiés par sa maison d’édition. Quand on travaille au Cahier Livres, on refuse ou on se détache de tout engagement dans une maison d’édition. Par quoi sont motivées ces règles ? C’est une question d’indépendance et de liberté, une façon d’avoir les coudées franches pour travailler. Cela nous rend libres et c’est le plus important pour nous Certains de vos confrères affirment que cette ligne est une attitude de « vierge effarouchée ». Qu’en pensez-vous ? C’est triste pour eux. Cela signifie qu’ils trouvent que la déontologie anglo-saxonne est celle d’une vierge effarouchée. Ce qui n’est pas glorieux. Qu’avez-vous pensé de l’interview d’Edwy Plenel par Josyane Savigneau ? J’ai assisté à l’émission. Ca m’a fait rire. Cela relevait plus de l’observation humaine, de la comédie humaine, que d’une question déontologique. C’est plus une question de personne, de sentimentalité. Qu’ils se vouvoient, qu’il se mette à pleurer, c’était folklorique. L’essentiel est que personne ne soit dupe, et je pense que personne ne l’a été. elly Kaprièlian, chef du service Livres des Inrockuptibles « Ca décrédibilise complètement la critique littéraire, et, à terme, la littérature.» Quelle est la ligne déontologique des Inrockuptibles en matière de critique littéraire ? On ne traite jamais des ouvrages écrits par des collaborateurs. En revanche, quand ils paraissent en septembre, au moment de notre supplément « rentrée littéraire », on rédige un encart où nous rappelons notre règle tout en signalant les titres de nos rédacteurs. Et on n’y revient pas, sauf éventuellement par des encarts publicitaires, mais ce n’est pas mon problème. Par quoi est motivée cette ligne ? C’est une question de crédibilité. Quand un journal se fiche de déontologie, ça décrédibilise complètement la critique littéraire, et, à terme, la littérature. On n’est pas là pour faire de la propagande, ni de la promotion pour des livres, on n’est pas un catalogue de ventes. Quand on prend son métier au sérieux, quand, comme nous, on est un journal qui a une certaine notoriété, on n’essaie pas de mettre en avant les livres des collaborateurs. Si en plus on en dit du bien, les dés sont pipés ; si on en dit du mal, c’est mauvais pour les relations entre collègues. Le faire traiter par quelqu’un d’extérieur à la rédaction, je n’y crois absolument pas, le jeu est truqué dès le départ ; on choisit toujours la personne chargée du papier. Que pensez-vous de l’option consistant à indiquer en haut de l’article « Il/elle est notre collaborateur » ? Je suis contre, ça n’a pas de sens. C’est mieux que rien. Mais je continue à penser qu’il ne faut pas rendre compte de ses collaborateurs, il y a un minimum de pudeur. Les personnes qui occupent le terrain médiatique manipulent énormément les gens. Mais parfois, quand le média change, la règle n’est plus respectée. Qu’avez-vous pensé ou fait lorsque votre collaborateur Arnaud Viviant, en octobre 2000, dans une émission de Rive Droite-Rive Gauche (Paris-Première), a traité de Mariage Mixte (Stock) de votre autre collaborateur Marc Weitzmann ? J’ai trouvé ça anormal. D’autant qu’Arnaud est dans cette émission en tant que journaliste des Inrocks. Marc ne lui avait rien demandé. Par ailleurs, Viviant ne m’en avait pas parlé avant, et je n'avais pas vu l'émission. J’ai donc appris cette histoire quelques jours après, il était trop tard pour réagir. J’en ai parlé à la rédaction en chef, mais l’affaire s’est arrêtée là. Certains de vos confrères affirment que cette ligne est une attitude de « vierge effarouchée ». Qu’en pensez-vous ? On voit où se place le niveau sémantique du débat ; on n’est pas vierge. Pourquoi serait-il question d’innocence ? Je trouve ça pathétique. C’est dire à quel point le milieu littéraire est malsain ; les questions déontologiques y sont à géométrie variable. L’histoire de Josyane Savigneau et d’Edwy Plenel est assez révélatrice des pratiques de copinage, des questions d’ego et d’occupation du terrain médiatique. Je trouve ça très triste. Ce n’est pas de la comédie mais de la tragédie humaine. erge Halimi, journaliste au mensuel Le Monde diplomatique : « Il s'agit au fond d'une question de morale et de honte. » Il a publié en 1997 Les Nouveaux chiens de garde (Liber-Raison d’agir), qui dénonçait, preuves à l’appui, les travers actuels des médias français. Les exemples ne manquent pas de promotion déguisée au sein d’un même journal. Jusqu’à quel point les lecteurs ne se rendent-ils pas compte de la supercherie ? Les journalistes ont-ils une si mauvaise opinion de leur public ? L'intérêt des auteurs est d'autant plus grand que leur existence intellectuelle (et sociale) dépend de leur occupation du terrain médiatique. Un auteur déjà reconnu par ses pairs (professeurs, scientifiques, etc.) peut plus facilement survivre et exister sans ce genre de consécration médiatique. Quant aux lecteurs, la plupart ne se rendent pas compte de ce genre de choses car, pour s'en rendre compte, il faudrait qu'ils connaissent autant que nous les rapports qui relient Daniel à Joffrin, Joffrin à Tesson, Tesson au Figaro-Magazine, etc. La plupart des lecteurs ont des vies à vivre et pas le temps d'apprendre la nature de ces réseaux changeants. Quant aux journalistes qui profitent de ces situations, ils se disent que pour un qui sait et qui rit sous cape, il y en aura cent qui ne savent pas et qui sont susceptibles de mordre à l'hameçon, d'acheter le livre ou de penser que BHL est un grand intellectuel. Quand, de surcroît, le réseau est indirect — Colombani demande à Jean Daniel de rendre un service à Minc auteur d'un livre (plagié) — il est impossible de le percer à jour, à moins que ses protagonistes ne le fassent eux-mêmes. Dans son émission Le Monde des idées sur LCI, Edwy Plenel invite et encense régulièrement des collaborateurs du Monde — sans le préciser, comme Sollers, BHL, Poirot-Delpech ou Eric Fottorino (rédacteur en chef). Or, Le Monde revendique en permanence une éthique irréprochable. Le passage d’un média à un autre permet-il de mieux transgresser la règle ? Désormais, ce passage d'un média à l'autre est une technique courante. Les obligés les plus dociles, ou serviles — ou les plus exposés — se voient suggérer de jouer par la bande : BHL loue Plenel dans Le Figaro et dans Le Point, plutôt que dans Le Monde ; les « bonnes feuilles » du dernier livre de Joffrin sortent dans Marianne plutôt que dans le Nouvel Observateur, Colombani invite Minc à parler de son dernier livre à la gloire du capitalisme dans son émission de France Culture plutôt que d'en faire lui-même la critique dans Le Monde. À charge de revanche, elle aussi par la bande. Les multi-positionnements dans les médias rendent tout cela plus facile. Plenel, c'est à la fois le réseau BHL, LCI, Le Monde et tous les auteurs que Le Monde a consacrés ou continuera à consacrer. Franz-Olivier Giesbert, c'est à la fois Le Point et les invités de son émission littéraire à la télé. La merveille de la chose, c'est que certains imaginent que les journalistes sont concurrents entre eux et que si un journaliste du Point dit du bien d'un livre écrit par un journaliste du Monde, c'est qu'il doit être vraiment excellent. Cela changerait-il quelque chose de rappeler systématiquement l’appartenance commune à un même journal (à l’instar de la pratique anglo-saxonne) ? Le copinage s’arrêterait-il pour autant ? Il ne s'arrêterait pas car il s'agit au fond d'une question de morale (individuelle, collective) et de « honte » (« ça ne se fait pas »). Dans d'autres pays, les renvois d'ascenseur que j'ai mis en lumière — et d'autres avant moi — auraient disqualifié définitivement leurs bénéficiaires. Pour ceux qui ne l'éprouvent pas spontanément, la « honte » est installée par un système de sanction. Rien de tel en France. C'est comme le plagiat d'ailleurs. Aux Etats-Unis, ça peut tuer la réputation d'un auteur et provoquer la révocation d'un professeur. Chez nous, Attali a été convaincu de plusieurs plagiats successifs. Et rien ne se passe, Attali sort un nouveau bouquin. Quant à Minc, croyez-vous que sa condamnation infamante (2)(l'arrêt de la Cour parle de « reproduction servile ») lui interdira de publier à nouveau ? Ou qu'elle l'empêchera de continuer à se faire payer des fortunes par les patrons qu'il « conseille » ? Ou qu'elle mettra en cause sa présidence de la société des lecteurs et du conseil de surveillance du Monde ? Un remède possible : que chaque journaliste rappelle chaque fois que nécessaire que Minc a été condamné pour plagiat, que BHL est un spécialiste des renvois d'ascenseur, que Plenel utilise une bonne partie de ses tribunes diverses pour récompenser ses amis et ceux qui le flattent, lui et son journal. Ce n'est pas demain la veille. Mais nous, nous conservons la liberté de refuser de faire notre travail autrement. Quitte à ne pas pouvoir exercer le métier de journaliste tel qu'il est et à en tirer les conséquences. C'est-à-dire se résigner ou partir. (2) Alain Minc a été convaincu de plagiat le 29 novembre 2001. Sa biographie imaginaire de Spinoza, Spinoza, un roman juif (Gallimard, 1999) s‘inspirait largement de Spinoza, le masque de la sagesse (Climats, 1997), roman de Patrick Rodel. dossier Media et critique littéraire
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